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Le Seigneur de Bombay

Publié mardi 19 août 2008
Dernière modification vendredi 8 mai 2015
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Par Lalita

Rubrique Littérature
▶ Une nuit @thecallcenter

Bombay est un monstre. Cruelle aux misérables, douce aux corrompus, elle grouille, vibre, enfle et dévore les imprudents qui gênent sa croissance. Pourtant, ceux qui goûtent trop longtemps à l’air vicié de ses rues défoncées ne peuvent plus s’en passer. Bombay est une drogue. Et le lieu de tous les possibles. Là, vivent deux hommes qui ne se connaissent pas : Ganesh, un gangster, roi de la pègre - le seigneur de Bombay ; Sartaj, flic de quartier sur le retour, ancien play-boy vieillissant, qui a perdu ses ambitions et ses illusions. Le grand banditisme n’est pas de son ressort. Mais un jour, Sartaj se trouve face au cadavre de Ganesh. Pourquoi le seigneur de Bombay s’est-il mis une balle dans la tête dans le sous-sol de son bunker flambant neuf ? De la réponse dépend la vie de vingt-six millions de personnes - de tous les habitants de la région de Bombay.

Véritable corps à deux têtes, Le Seigneur de Bombay est un livre alliant polar et chronique de la vie quotidienne. Ce ne sont d’ailleurs pas seulement deux livres en un seul, mais une dizaine d’histoires humaines ainsi qu’un polar qui s’emmêlent dans près de 1000 pages de texte.

Côté pile :

Pris d’une logorrhée incessante, Vikram Chandra vous dit tout de son fief. Mais alors tout ! Bombay est sa ville et le terreau de son imagination, fertile en détails sur la vie du quidam mumbaïte. Cette cité est un capharnaüm permanent dans lequel chacun essaie de gagner plus, vivre ou survivre. Nous y faisons la connaissance de l’inspecteur Sartaj Singh. Survivant sans grande ambition, il va se retrouver confronté à une enquête trop grande pour ses épaules de flic de quartier. Mais avant d’en arriver aux premiers soubresauts de cette histoire, nous saurons tout de sa vie, de celle de sa mère, de celle de ceux qu’il traque, de celle de la femme qu’il aime, de ceux qu’il n’aime pas, et ainsi de suite. Dès qu’un personnage participe à l’action, Vikram Chandra fait un arrêt sur image pour parler en détails de sa vie, et à travers lui, de l’histoire de la couche sociale qu’il représente. Tous les milieux ou presque sont explorés, du politique au religieux, en passant par Bollywood, ou par la sphère privée. Certaines histoires restent incomplètes, d’autres s’éternisent, d’autres sont inutiles, certaines donnent envie de jeter le livre par la fenêtre, mais toutes forment un carnet de route indispensable pour connaître l’Inde contemporaine et ses vieux démons. Chandra vous abreuve d’anecdotes, et vous en redemandez. Bombay, devenue Mumbaï, est sale, belle, polluée, riche, luxueuse, pauvre, sordide, étouffante, attrayante… Vous sentez tout, vous goûtez de tout, et vous adorez cette littérature luxuriante qui vous fait aimer la moindre montagne d’ordures au coin d’une rue, maderchods ! Il faut préciser que le livre est pourvu d’un très bon lexique avec quelques mots d’argot hindi. Rien de mieux pour faciliter l’immersion !

Côté face :

Le Seigneur de Bombay est malheureusement aussi un polar un peu faiblard qui reprend les codes du genre avec la subtilité d’un éléphant dans une rizière. Sartaj Singh est divorcé, fatigué, vieux beau vieillissant d’une quarantaine d’années plus usé par l’ennui que par les épreuves de la vie (même si Chandra tente de faire croire le contraire). Remplacez le poulet tikha par le donut et vous tenez le personnage-type du policier paumé de série américaine. Vu que l’histoire principale n’avance qu’une fois toutes les 100 pages, nous
le suivons dans ses petites affaires oridinaires pour lesquelles il déploie des trésors d’énergie, de finesse, mais aussi de brutalité. Sartaj Singh aime son métier, et le fait de manière correcte dans la mesure du possible. Cependant, ce petit inspecteur de police confronté à une situation qui le dépasse ne peut compter que sur des coups du sort pour résoudre sa plus grosse affaire. La plupart des énigmes se dénouent de façon étrange, grâce à des rêves, à des tuyaux louches ou aux élucubrations d’un vieillard malade qui nous plombe l’ambiance pendant une vingtaine de pages. L’auteur donne l’impression de ne pas avoir su quel genre d’enquête lui faire mener pour dévoiler un complot de grande envergure. Mais le côté sensible et un peu paumé de son personnage pricipal nous le rend sympathique, loin de ce que nous sommes habitués à voir dans le cinéma du nord comme du sud de l’Inde des forces de l’ordre et qui ferait frémir les pires flics de la BAC (la brigade anticriminalité française) !

Justement, parlons-en du cinéma. Nous découvrons l’envers du décor à travers quelques personnages-clés. Tout est une histoire de sexe et d’argent : la productrice arrondit ses fins de mois en faisant la proxénète ; l’actrice lance sa carrière grâce à cette productrice en devenant la maîtresse d’un gangster puissant ; le gangster s’envoie l’actrice et crache des billets à la productrice, ce qui lui permet de faire tourner son affaire et d’injecter de l’argent dans l’industrie. La boucle est bouclée. La recette-miracle pour faire un film Bollywood nous est même révélée : des chansons, de l’action qui commence dès le début pour tenir le public en haleine, une histoire qui se déroule à l’étranger (très tendance), la figure de la mère pour apaiser le héros et faire pleurer la ménagère, et une héroïne belle comme le jour toujours disposée à faire l’amour mais jamais en position de le faire. Et, tenez-vous bien, dans le livre, ce film fictif a même un titre, International Dhamaka, et sort sur les écrans indiens ! Toutefois, il existe une justice, puisque finalement les critiques assassines fusent, et c’est un énorme flop. Une façon peut-être pour l’auteur de rappeler que le cinéma indien est bien plus riche que ce condensé de clichés pour mauvais films masala, tout en se moquant au passage du niveau de certaines séries B (et même parfois A) qui cartonnent en Inde…

En conclusion, Le Seigneur de Bombay est un peu volumineux pour la plage avec ses 1000 pages et quelque (lexique inclus). Il part dans tous les sens et peut se révéler confus à force de vouloir parler de tout. Mais il reste passionnant pour la même raison. Pour les amoureux de l’Inde et pour les autres, ce roman est à lire d’urgence !

Titre : Le Seigneur de Bombay
Date de parution : Janvier 2008
Auteur : Vikram Chandra
Editeur : Robert Laffont
Nombre de pages : 1037 pages (lexique inclus)

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