Amitabh au Théâtre des Champs-Elysées
Publié mercredi 4 août 2010
Dernière modification lundi 10 mars 2014
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Le dimanche 13 juin 2010, la star Amitabh Bachchan était en représentation exceptionnelle dans le bel écrin pour l’art qu’est le prestigieux Théâtre des Champs-Elysées : retour en poésie et images sur cette très belle soirée.
Le programme l’annonce sobrement : "Amitabh Bachchan lit et chante Harivansh Rai Bachchan". Il se peut que comme moi, en réservant votre billet, la perspective de passer quelque temps avec Big B vous ait plus inspiré que celle d’écouter la poésie de son père. Mais Amitabh Bachchan est un artiste unique, qui tout au long de deux heures de spectacle, a su captiver son public en se mettant à sa portée, avec son lot d’anecdotes, des chansons et… le charme indéfinissable de son incroyable voix ! M. Bachchan lirait l’annuaire, on l’écouterait religieusement, or il se trouve qu’il avait ce soir-là bien mieux à faire découvrir au public parisien : son poète de père Harivansh Rai Bachchan, très célèbre en Inde, inconnu en France.
Sur la scène un dispositif sobre, une grande photo du grand poète, un grand banc pour la grande star, et une estrade pour la petite dizaine de musiciens derrière lui. En petit également un écran avec des sous-titres, un peu difficile à lire, mais ceux qui comprennent l’anglais ont pu suivre directement les commentaires des poèmes de la bouche d’Amitabh. Le spectacle commença par le célèbre poème (en Inde en tout cas donc) appelé "Madhushala" (Au Cabaret), chanté à la manière d’une folk song (chanson traditionnelle) par la star. En voilà un extrait :
Qui a brûlé dans le feu de son âme les livres de piété,
Temple, mosquée, église - ivre de vérité qui a tout fracassé,
Qui du pandit a rabattu l’orgueil, et du mollah, du prêtre,
Il peut lui faire aujourd’hui bon accueil mon cabaret.
Plutôt insolent non, pour l’époque ? Et encore moderne aujourd’hui ! Madhushala est en effet un bel hymne à la tolérance, qui nous permit de commencer à réaliser combien était grande la liberté de pensée de Bachchan père. Son fils nous raconte qu’à la sortie de son poème, l’homme fut accusé d’incitation à la débauche, à la boisson. Qu’il fut marginalisé à cause de ces vers et que la "caste" à laquelle il appartenait, réputée pour être celle de gros buveurs, lui porta préjudice. Mais le poète alla voir le Mahatma Gandhi qui ne trouva vraiment rien de mal au poème : les extrémistes et les bien-pensants se calmèrent un peu, sans pour autant laisser tranquille Harivansh.
Un autre poème frappant du récital, déclamé cette fois, fut "Traces de sang", sur l’oppression de l’Inde pendant sa colonisation et les drames accompagnant son indépendance. Là encore, la voix d’Amitabh mit merveilleusement en valeur les vers funèbres de son père.
Une autre anecdote que nous livra Big B : Harivansh écrivait pour ses épouses. La première femme du poète mourut jeune de tuberculose, le plongeant dans la tristesse. Lorsqu’il rencontra sa seconde épouse, la mère d’Amitabh, il lui écrivit le beau et réaliste poème "Que faire de ta compassion ?", et ils décidèrent de se marier.
Un autre moment marquant fut le poème-fleuve "Bouddha et le bal", qui commence par un mantra bouddhique, et dénonce toute la marchandisation et l’hypocrisie que l’on peut trouver autour de toutes les religions. Un nouvel extrait :
Ce sont prisons de Dieu ;
Que - regarde l’ironie -
Ces lieux que l’homme nomme lieux sacrés ?
Elle lui dit,
"Reposez-vous tranquillement,
Le monde chante vos louanges,
Moi je viendrai vous voir matin et soir,
J’ai beaucoup de travail tout le reste du temps".
Là encore, quelle jolie indépendance d’esprit, mise en vers avec humour et lucidité : le public a d’ailleurs apprécié en se manifestant par des rires et des applaudissements.
Amitabh nous raconta alors que son père n’était pas du genre à s’arc-bouter sur les traditions (on commençait à s’en douter d’ailleurs un peu). Quand de jeunes poètes arrivèrent avec un nouveau style, fait de poèmes plus courts, plus incisifs, il décida d’embrasser cette nouvelle forme. Amitabh nous régala de quelques-uns de ces poèmes, pleins d’ironie et de vérité. En voici un troisième extrait, "L’Escalier" :
J’ai grimpé jusqu’au toit,
Et regardé de haut les marches d’escalier
Elles m’ont dit
"Et comment tu descends ?"
Un thème évident était présent également ce soir-là dans les œuvres que Bachchan fils avait choisi de lire : la transmission. Tout d’abord avec le poème "Le testament", sur la nécessité (ou pas) d’écrire ses dernières volontés, mais surtout grâce au poème "Ligne d’avenir". Où l’acteur nous apprend que lui aussi fut un jeune diplômé, un peu désœuvré, un peu en galère niveau boulot (c’est dur à imaginer, mais c’est lui-même qui nous l’a dit !), et qu’à cette époque, lui et ses amis, se cherchant et cherchant un fautif à cette situation, avaient décidé d’accuser leurs pères de les avoir fait naître. A ce reproche assez inattendu, Amitabh père avait répondu par un poème, qu’il avait laissé à son fils au petit matin, en partant pour sa promenade matinale, et dont voici la dernière strophe :
Le grand capharnaüm qu’est la vie et l’époque
A toujours été là,
A présent comme avant, peut-être encore bien davantage.
Vous autres, instaurez donc une ligne nouvelle
Consultez donc vos fils pour les bien engendrer.
Le spectacle se termina par deux autres poèmes mis en musique, toujours façon folk song : "Poisson d’or", relecture d’une légende indienne, et "J’ai perdu ma petite", dont le refrain emporta l’adhésion du public qui se mit à taper des mains.
Lorsqu’Amitabh Bachchan salua le public à la fin du spectacle, ce fut un vrai triomphe : la foule s’avança près de la scène, les flashes crépitèrent de plus belle, et la star signa quelques autographes avant de disparaître dans les coulisses. Lorsque les lumières se rallumèrent, un frisson parcourut les spectateurs : Jaya Bachchan se tenait dans une loge au milieu de la salle, applaudissant haut sa star de mari en fervente supportrice, et l’on pouvait lire sur son visage toute l’admiration et la fierté qu’elle ressentait (là je romance peut-être un peu, mais je vous jure que c’était l’impression qu’elle donnait).
Le public vida lentement la salle, et encore plus lentement le hall du théâtre des Champs-Elysées : chacun était encore sous le charme de la star, chacun encore sous l’influence des si belles paroles dont elle nous avait bercés ce soir. En bonne reportrice, je restai avec une vingtaine de fans à faire le pied de grue devant la sortie de service du théâtre, mais Amitabh sortit rapidement en voiture noire, sans prendre le temps de s’arrêter pour saluer ces derniers irréductibles : personne ne saura lui en tenir rigueur, vu la générosité dont Big B fit preuve sur scène durant cette magnifique soirée. Il expliqua d’ailleurs la forte émotion ressentie à la fin de la représentation, liée bien sûr au souvenir de son père, dans son blog, dès le lendemain.
Pour terminer, un seul bémol à souligner : malgré un avertissement d’avant-spectacle demandant aux spectateurs de s’abstenir de prendre des photos pendant la représentation (mais nous donnant le feu vert pour en prendre à la fin, lors du salut), les flashes ont commencé à crépiter 10 secondes après l’apparition d’Amitabh Bachchan en scène. La star, d’un grand professionnalisme, ne s’est pas laissé déconcentrer, mais personnellement j’ai pensé "quel manque de respect face au travail de ce grand acteur", et puis "quelle gêne" pour les spectateurs qui voulaient assister paisiblement à ce moment magique sans flashes éblouissants ni bruits d’appareils-photo en fonctionnement ! Il va sans dire que les photos illustrant cet article ont été prises à la fin du spectacle.
Pour compléter ce texte seront en ligne très prochainement deux nouveaux articles relatant la précédente venue de Big B à Paris : c’était en janvier 2009, à l’occasion du Salon du Cinéma de Paris, et pour ceux qui y étaient ça reste également un souvenir mémorable.
Enfin, un grand MERCI à Wanda de Jeanine Roze Production, qui nous a permis de vous faire gagner des places pour cette inoubliable soirée !