Angry Indian Goddesses
Traduction : Déesses indiennes en colère
Langue | Hindi |
Genre | Drame |
Dir. Photo | Swapnil S. |
Acteurs | Adil Hussain, Tannishtha Chatterjee, Amrit Maghera, Rajshri Deshpande, Pavleen Gujral, Anushka Manchanda, Sandhya Mridul, Sarah-Jane Dias |
Chanteurs | Anushka Manchanda, Hard Kaur, Pratichee Mohapatra, Kary Arora, Raman Negi |
Producteur | Gaurav Dhingra |
Durée | 115 mn |
Peu de temps après la sortie française de La Saison des femmes, un nouveau film aborde le thème de la condition féminine en Inde. Cette fois-ci, on s’intéresse à la population urbaine, celle qui vit de manière moderne et plutôt émancipée. Des filles qui travaillent, s’habillent à la manière occidentale et qui ne mâchent pas leurs mots, qui sont intelligentes, drôles et jolies. Modernes et éduquées, elles subissent malgré tout au quotidien les pressions du patriarcat et des mentalités arriérées que l’on camoufle sous couvert de « tradition ».
Dès le début de l’histoire, on perçoit la rébellion qui sommeille dans chacune de ces sept filles aux vies différentes. Un rapide tour d’horizon des humiliations, remarques sexistes et avances de la part de la gent masculine à leur égard annonce un pétage de plomb imminent…
Frieda (Sarah-Jane Dias), photographe, invite ses amies dans la maison familiale à Goa pour leur annoncer une grande nouvelle : elle va se marier ! Pamela (Pavleen Gujral), épouse (ar)rangée et un peu précieuse débarque avec Madhurita (Anushka Manchanda), chanteuse au look rock’n’roll. S’en suivent Suranjana (Sandhya Mridul), la femme d’affaire rivée à son téléphone, et sa fille Maya, ainsi que Joanna (Amrit Maghera), mi-anglaise mi-indienne, qui rêve de percer à Bollywood. La maison s’anime, les fous rires fusent, elles sont entre elles, libres et libérées. Lakshmi (Rajshri Deshpande), la femme de ménage et cuisinière, veille au grain, et Nargis (Tannishtha Chatterjee), militante sociale, rejoint la troupe par la suite. En confiance et heureuses de passer ces quelques jours à la mer, loin des parents ou des conjoints, chacune se livre au fur et à mesure du film.
Là où certains verront une série de clichés, il faut malheureusement y voir un échantillon non exhaustif des blessures dont sont victimes les femmes dans ce pays. Dépréciées, rabaissées, rarement prises au sérieux, elles explosent les unes après les autres avant de vouloir reprendre le contrôle de leur vie. L’ambiance de ces moments d’intimités, où les conversations apparemment frivoles soulèvent de vrais problèmes de société, fait penser à Caramel, le film libanais de Nadine Labaki (2007), où on retrouve des filles fragiles, amoureuses et toujours solidaires entre elles. Pas de mélo ni de bonnes femmes « gnagna » comme on en voit dans les films populaires indiens, ces femmes-là sont fortes, autonomes et n’aspirent qu’à une seule chose : être libres.
On a beau être dans une ambiance très « girly », leur vie n’est pas rose pour autant et elle vire même au noir, précipitant le film dans le drame quand l’histoire rejoint les faits divers. Une des composantes du film, la violence, qui était souterraine au départ et venait d’une société figée dans les coutumes, jaillit enfin dans le cœur de ces filles face à l’accumulation des injustices. Et c’est avec elles toutes que l’on prend part à cette fureur et qu’on accueille leur colère, telles sept déesses enragées, sept Kali, la langue sortie et les bras menaçants. Comme dans le film de l’égyptien Mohamed Diab, Les Femmes du bus 678 (2010), il arrive un moment où les seules solutions qui restent sont l’auto-défense et la vengeance…
Le long métrage de Pan Nalin, considéré comme le premier « buddy movie » féminin indien, a reçu un très bon accueil au Festival International du Film de Toronto 2015 où il a été présenté pour la première fois. La distribution est un des gros points positifs de cette œuvre, les filles sont touchantes de sincérité et de naturel. Il aura fallu auditionner plus de 200 personnes pour sélectionner les sept amies du film. Parmi elles, et seul visage connu, Tannishtha Chatterjee, précédemment remarquée dans le film anglais Brick Lane de Sarah Gavron (2007), puis dans Road, Movie de Dev Benegal (2009) et dernièrement dans La Saison des femmes (de Leean Yadav, 2016) dont vous pouvez retrouver les critiques sur notre site… À noter, la participation de l’excellent Adil Hussain (Sunrise, English Vinglish, Lootera…) dans le rôle du chef de police, un des rares personnages masculins du film.
Il est d’ailleurs surprenant que ce soit un homme, Pan Nalin, qui arrive à donner corps à cette composition féministe et engagée. Le réalisateur indien, originaire du Gujarat et qui a appris son métier sur le tas, a beaucoup voyagé en Europe et aux USA. Pour son film Déesses indiennes en colère, il a sillonné, avec son équipe, les grandes villes indiennes pour collecter des faits et les traits de caractère de ses personnages. Pendant plusieurs années, ils ont pris le pouls d’une société malade et ont écouté les problèmes de centaines de femmes afin de délivrer une histoire aussi réelle que possible.
Porté par une bande son qui alterne entre le festif et l’émouvant, on retiendra principalement deux chansons : la très douce Zindagi interprétée par Anushka Manchanda aka « Mad », une des héroïnes du film, et la puissante chanson Kattey qu’on entend dans la bande-annonce du film.
Kattey est la reprise d’une ancienne chanson folklorique du Rajasthan « Thaane Kathe ». Elle est ici interprétée par deux femmes aux univers totalement opposés : d’un côté l’exceptionnelle Bhanwari Devi, chanteuse rajasthanie traditionnelle à la voix rauque, et de l’autre la rappeuse Hard Kaur qu’on a déjà pu entendre dans Patiala House ou ABCD Any Body Can Dance. Et c’est justement ce mélange de références millénaires et de rythme moderne qui fait de ce titre un cri qui vient du cœur, la complainte explosive et contestataire de plusieurs générations de femmes. L’énergie qui s’en dégage booste véritablement le film et nous aide à entrer de plein pied dans la narration.
Pour terminer, j’aimerais vous faire part de mon expérience lors de la projection du film :
Alors que je savourais cette ambiance 100% filles, j’ai été fauchée par le caractère tragique du film et, c’est assez rare pour que j’en parle, j’ai pleuré. Oui, j’ai pleuré, pas comme on pleure devant un Bollywood parce que les deux amoureux ne peuvent pas vivre ensemble ; non, j’ai pleuré à chaudes larmes parce que ce film est trop proche de la réalité ; parce que, toutes ces situations, des milliers de femmes les ont réellement vécues en Inde ou ailleurs ; parce qu’elles sont le quotidien de trop de filles, et qu’elles déciment les familles qui sont impuissantes face à l’indifférence des autorités ; parce que, malgré tous les drames, toutes les victimes qui succombent à leurs sévices et toutes les manifestations populaires, les choses ne s’améliorent pas beaucoup et pas assez vite.
La société est en train de changer, l’indignation est son moteur. Des hommes et des femmes se battent pour un monde plus juste mais le titre est là pour rappeler qu’il existe des pays où on vénère les déesses mais où on maltraite leurs descendantes.