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La critique de Fantastikindia

Par Suraj 974 - le 10 mai 2005

Note :
(7.5/10)

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Chandni Bar représente un cinéma indien contemporain différent, dans la lignée des réalisations de la nouvelle vague des années 80. Second film de Madhur Bhandarkar, il est de loin le plus abouti.

Il nous raconte sur 15 années le destin de Mumtaz (Tabu), jeune musulmane poussée à fuir son village par des émeutes religieuses attisées par des politiciens, pour rejoindre la grande ville, Mumbai. Là, arrivée dans les quartiers pauvres, livrée à elle-même, elle trouve un emploi de danseuse dans un bar à bière. Au contact des autres danseuses, elle va goûter un peu de chaleur humaine et même épouser le riche bandit Pothia Sawant (Atul Kulkarni) qui la met à l’abri du besoin pour un temps. Il lui donne deux enfants, pour qui elle espère une vie meilleure que la sienne…

Réalisé sans chansons, Chandni Bar est ancré dans la réalité sociale de l’Inde contemporaine, avec le phénomène de l’exode rural et de l’influence tentaculaire de la mafia dans les quartiers pauvres. Il livre une vision complètement désabusée et pour le moins déprimante de la société indienne qui apparaît comme un monde figé : un fils de gangster deviendra fatalement gangster, une fille de danseuse forcément danseuse de bar, et quiconque essaye d’échapper à cette logique est immanquablement rattrapé. Au final, personne ne peut survivre dans la jungle urbaine sans se compromettre, Mumbai/Bombay y est représentée comme une ville aliénante qui a raison de tout et de tous. Mêmes les sacro-saints liens familiaux de la société indienne traditionnelle n’y résistent pas, un oncle en vient à violer sa nièce et celle-ci à se venger en l’assassinant de sang-froid. Même le plus innocent des enfants peut se retrouver catapulté en prison et, gonflé de haine à sa sortie, abattre sauvagement ceux qui l’ont perdu, pour sombrer dans le banditisme à l’âge où les plus chanceux vont à l’école…

Ce film, parmi les plus noirs que nous ait donné le cinéma indien récemment, est porté par des acteurs irréprochables. Tabu, dans le rôle de Mumtaz, est impressionnante de dignité et de tristesse. Elle incarne à la perfection ce personnage qui perd progressivement toutes ses illusions, elle est aussi crédible en jeune fille fraîchement débarquée qu’en mère de famille. Dans le rôle du mafieux qui la sauve un temps en l’épousant, Atul Kulkarni donne toute la mesure de son immense talent dans un rôle réellement marquant où il fait tellement froid dans le dos que cela lui a valu d’avoir à jouer ensuite uniquement des rôles de méchants charismatiques, dans des films comme Satta du même réalisateur ou encore dans le film tamoul Run où il interprète un chef de la mafia paranoïaque.

Même s’il ne comporte aucune chanson, c’est peut-être paradoxalement le film indien où il y en a le plus. Comme Mumtaz danse dans les bars au son des chansons à la mode sur une période de quinze années, on entend défiler le temps au travers des différentes mélodies qui ont marqué leur époque. Ce qui produit au final un immense medley.

Chandni Bar fait partie de ces films indispensables qui viennent rappeler que sous les paillettes de Bollywood, des gens se battent toujours au quotidien pour construire leur vie. Fortement ancré dans la réalité sociale tout en possédant une dramaturgie classique redoutablement efficace, il touche là où ça fait mal. Il montre aussi que le cinéma indien ne se limite pas que à Bollywood. Il remporta un succès tant critique que public, qui valut à Madhur Bhandarkar une reconnaissance immédiate le posant comme l’un des réalisateurs-auteurs les plus prometteurs de sa génération.

Présenté aux côtés de films tels que Bandit Queen lors de la Rétrospective "Vous avez dit Bollywood !" en 2004, le public du centre Pompidou ne s’y est pas trompé, il a été divisé entre ceux qui ont adoré cette vision sans fard de l’Inde d’aujourd’hui et ceux que ce genre de films déprimants rebute. C’est indéniablement un film à voir et à revoir… si vous en avez le courage.

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