Chansons patriotiques
Publié vendredi 21 février 2014
Dernière modification jeudi 20 février 2014
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Si les films qu’on peut qualifier de propagandistes sont plutôt rares, l’amour pour la jeune nation indienne s’exprime en revanche assez souvent dans des chansons du cinéma hindi. On pourrait les imaginer conventionnelles et répétitives. Or les représentations du thème patriotique sont en réalité diverses, complexes et beaucoup plus émouvantes qu’on pourrait le penser. En voici quelques-unes…
Titre : Vande Mataram
Année : 1952
Chanteur : Lata Mangeskar
Compositeurs : Hemant Kumar (musique), Bankimchandra Chatterji (paroles)
Ce qui se passe à l’écran : Jivanand (Pradeep Kumar) part à la tête de l’armée affronter les anglais. Shanti (Geeta Bali), son épouse, convaincue qu’elle ne le reverra pas vivant, entonne Vande Mataram…
Pourquoi ce choix ? : Anand Math mêle de façon indissociable hindouisme et patriotisme. La dévotion à la déesse mère Durgâ y est assimilée à celle de la mère-patrie, et c’est en son nom que les santan (ses enfants) mènent une guerre religieuse de libération. Vande Mataram, littéralement « Je m’incline devant Toi, Ô Mère », est dans le film à la fois un mantra, un cri de ralliement et un cri de guerre.
Bankimchandra Chatterjee a écrit en 1875 le poème qui sera intégré un peu plus tard à son roman sur la révolte des Sannyasi (les saints). Chantée pour la première fois par Rabindranath Tagore à une session de l’Indian National Congress en 1896, elle connait un vif succès dans les mouvements nationalistes et accompagne dès lors la lutte contre la colonisation anglaise.
De nombreuses musiques ont été apposées à ce poème écrit en bengali et en sanskrit. Les chansons ont été enregistrées par une multitude d’artistes, mais c’est la version d’Hemant Kumar qui est entrée dans l’Histoire. Anand Math en propose deux interprétations : complète par Hemant Kumar lui-même, et une version réduite aux trois premiers couplets par Lata Mangeskar et incarnée par Geeta Bali. Elle la ré-enregistrera près de 50 ans plus tard, arrangée par Ranjit Barot sur des paroles légèrement modifiées de Mehboob.
Titre : Ae Watan Ke Naujawan Jaag
Année : 1953
Chanteur : Geeta Dutt
Compositeurs : OP Nayyar (musique), Majrooh Sultanpuri (paroles)
Ce qui se passe à l’écran : Nisha (Geeta Bali), vendue à un ignoble pirate portugais, incite ses compagnons d’infortune à se révolter…
Pourquoi ce choix ? : Dans les jeunes années de son indépendance, la nation avait besoin d’histoires fondatrices. Guru Dutt s’y essaye lui aussi en prenant comme toile de fond la résistance à la domination portugaise de la côte de Malabar au XVIe siècle. La chanson, qui exhorte la jeunesse à se battre pour la liberté, trouve cependant un écho bien plus large.
L’esthétique de la réalisation est clairement d’inspiration soviétique, mais Ae Watan Ke Naujawan Jaag n’est pas martiale. Elle ne rappelle pas non plus le conflit indo-pakistanais encore très présent et qui avait débouché sur une première guerre 5 ans plus tôt. Le tableau final, comme le fait de l’avoir fait chanter et incarner par une femme, évoque plutôt la Liberté guidant le peuple de Delacroix, une allégorie de la démocratie de portée universelle.
Titre : Watan Walo
Année : 2001
Chanteur : Roop Kumar Rathod
Compositeurs : Anand Raj Anand (musique), Anand Bakshi (paroles)
Ce qui se passe à l’écran : Cette chanson est interprétée plusieurs fois dans le film, dont le générique d’ouverture. Elle y exhorte la jeunesse à s’engager pour défendre la patrie.
Pourquoi ce choix ? : En un peu plus de 50 ans depuis son indépendance, l’Inde a combattu quatre fois contre le Pakistan et une fois contre la Chine. Quelques jours seulement avant la sortie du film, les forces armées indiennes ont ouvert le feu sur des postes frontaliers pakistanais au Kashmir. Deux mois plus tard, la tension entre les frères ennemis est devenue si vive que la cinquième guerre indo-pakistanaise a semblé imminente.
C’est dans ce contexte que Indian sort sur les écrans. Il montre un Sunny Deol sauvant son pays des manœuvres ignobles d’un taliban pakistanais affreux à souhaits. Watan Walo n’est cependant pas aussi ridiculement simpliste que le film. Bien sûr elle appelle la jeunesse à défendre militairement la nation. Elle commence avec la voix douce de Roop Kumar Rathod sur des images de héros historiques, pour se finir sur un ton plus martial et des archives de guerres passées. Elle culmine avec des soldats défendant vraisemblablement la frontière du Kashmir, qui crient leur amour de la patrie comme pour appeler le spectateur à les rejoindre. Mais ce générique évoque aussi fugitivement la cérémonie de la descente des couleurs au poste frontière de Wagah. Il s’agit un moment extraordinaire de coopération entre les deux voisins, réalisé quotidiennement depuis 1959. Cette vidéo vous la montre vue du coté pakistanais, comme si vous y étiez…
Titre : Jana Gana Mana
Année : 2001
Compositeurs : Rabindranath Tagore (paroles et musique)
Ce qui se passe à l’écran : Le jeune Khrish doit chanter une chanson à la fête de son école, à Londres. Il surprend ses parents et toute l’assistance en entonnant Jana Gana Mana, l’hymne national indien.
Pourquoi ce choix ? : Tout comme Indian, La Famille Indienne est sortie sur les écrans alors que la crainte du feu nucléaire se faisait pressente. Dans cette scène totalement invraisemblable, Karan Johar choisit de toucher le spectateur au cœur plutôt que d’en appeler à l’Histoire. Il fait ainsi chanter des petits anglais, et nous montre leurs parents portant un respect très digne à l’hymne de l’ancienne colonie. C’est une façon émouvante d’indiquer que l’Inde est devenue une grande nation, à l’égale de l’Angleterre.
Dans le même temps, Khrish montre son attachement à la mère patrie. Et c’est tout naturellement qu’il s’adresse à sa propre mère (Kajol), qui symbolise alors l’Inde elle-même. Cette Inde fière de ses enfants, reconnaissante et presque surprise de l’amour qu’ils lui portent. Dans un dernier geste, Krish essuie les larmes de sa mère et fait un salut militaire malhabile. Il affiche ainsi que le pays peut avoir confiance car tous sont prêts à s’engager à ses côtés, même militairement.
Cette scène va plus loin encore en cherchant à rassembler tous les indiens. Khrish chante l’hymne national Jana Gana Mana, et lorsqu’Anjali court pour rejoindre son fils, nous entendons Vande Mataram dans une interprétation récente de Lata Mangeskar. Lors du choix de l’hymne national, en 1950, Jana Gana Mana a été retenu essentiellement parce que Vande Mataram, faisant référence à la déesse Durgâ, choquait certains religieux rigoristes. Ne pouvant se résoudre à rejeter cette chanson chère à de très nombreux indiens, il lui a été conféré le titre de chanson nationale, à égalité de traitement avec Jana Gana Mana. Karan Johar se devait donc de nous les donner à entendre toutes les deux.
Titre : Chak De ! India
Année : 2007
Chanteurs : Sukhwinder Singh, Salim Merchant et Marianne D’Cruz
Compositeurs : Salim-Sulaiman (musique) et Jaideep Sahni (paroles)
Ce qui se passe à l’écran : Ce clip musical n’est pas intégré au film, mais en reprend des images clé. Une version raccourcie de cette chanson-titre, avec un couplet différent, est présentée juste après l’entracte.
Pourquoi ce choix ? : Chak De ! India est un film de sport où un entraîneur décrié amène à la victoire une équipe à laquelle personne ne croit. C’est aussi un film féministe dans lequel les femmes triomphent du machisme de la société. Mais c’est également un authentique film patriotique.
Les 16 joueuses viennent de tout le pays, ne parlent pas la même langue et ne se ressemblent pas physiquement. Elles symbolisent à elles toutes l’Inde dans sa grandeur et sa diversité. Les paroles de la chanson qui appellent au dépassement de soi s’adressent avant tout à la nation. Elles l’incitent à aller de l’avant dans la compétition mondiale.
Chak De ! India ne fait pas référence à des valeurs communes, à l’Angleterre ou aux encombrants voisins. L’Inde n’est plus un pays du tiers-monde cherchant à se remettre de la colonisation et de la partition en puisant dans son histoire multi-millénaire. Elle fait déjà partie des BRICK…