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La critique de Fantastikindia

Par Maya - le 27 février 2005

Note :
(7.5/10)

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Binodini (Aishwarya Rai) est une jeune femme ravissante et éduquée, qui sait lire, écrire, parler anglais. Malgré cela (ou à cause de cela ?) Mahendra (Prosinjeet Chatterji) et Behari (Tota Raychaudhari), étudiants en médecine à Calcutta, rejettent la proposition de mariage.

Behari est promis à Ashalata (Raima Sen), mais Mahendra jette son dévolu sur la jeune fille et l’épouse. Ashalata a été élevée de façon traditionnelle, elle est dévouée à son époux et à sa belle-mère, satisfaite de son sort entre les murs de cette jolie maison. Quand Binodini, jeune veuve, est amenée dans cette famille par la mère de Mahendra, Ashalata est toute heureuse de devenir l’amie de la jeune femme, admirant son savoir et son assurance.

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Binodini et Ashalata, amies ?

Binodini semble se conformer au mode de vie des veuves : sari blanc, aucun maquillage, aucun bijou, s’absorbant dans les travaux ménagers et acceptant l’abstinence de tout plaisir (sauf… le thé !). Pourtant, quelque chose en elle se révolte contre cette vie que le sort lui a infligée. Quand on sait que "Binodini" signifie "sensuelle, aimant le plaisir", on se dit que l’histoire ne va pas s’arrêter là…

Séduisant Mahendra, elle sera pour cette famille le "grain de sable dans l’œil" (chokher bali), irritante et insaisissable, brouillant la vue des uns et des autres, faisant grincer les rouages en apparence bien huilés de cette société bourgeoise bengalie du début du siècle.
Le grain de sable est-il responsable de l’irritation qu’il provoque ? Là est toute la question.

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Binodini et Behari

En regardant Chokher Bali, inspiré de la nouvelle de Rabindranath Tagore "Binodini", on peut voir la jolie veuve comme une jeune femme émancipée qui se joue des faiblesses des uns et des autres, assumant ses désirs et jouant de sa séduction auprès de la Mère, d’Ashalata, de Mahendra, de Behari enfin, simplement pour le plaisir de se sentir exister et de protester contre les lois et le sort, comme les étudiants de Calcutta protestent contre l’envahisseur anglais (toile de fond -discrète- du film).

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Le grain de sable

Ou bien on peut voir Binodini comme une poussière emportée par la vie, ballottée par les courants, cherchant son chemin sans vraiment avoir de but, à la fois prédateur et gibier, fragile papillon de nuit qui se brûle à la lumière, voletant de l’un à l’autre sans pouvoir se poser.
La mise en scène de Rituparno Ghosh, les adaptations qu’il a apportées à l’histoire originale, sa façon de filmer Binodini, le jeu d’Aishwariya, me font pencher vers la seconde hypothèse. Les cadrages serrés sur un visage sans sourire et sans apprêt révèlent un regard infiniment vulnérable et triste. Des quelques sourires sans joie, se dégage plus de dérision que de rouerie. La scène la plus poignante est sans doute celle où, couverte de bijoux devant Behari, Binodini semble pourtant totalement nue.

Le jeu d’Aishwariya est remarquable de finesse et de réalisme, dans un rôle complexe et tout en demi-teintes. On la (re)découvre extrêmement belle et sensuelle, incroyablement jeune et naturelle.

Raima Sen dans le rôle de la gentille Ashalata, est tout aussi émouvante, attachante, présente à l’écran. Elle est l’ombre quand Binodini est en pleine lumière, elle est la lumière quand l’autre devient ombre…
Rituparno Ghosh crée dans Chokher Bali tout un univers, avec une unité de couleurs chaudes dans laquelle tranche le blanc des saris des veuves, avec une lumière ocre, sensuelle, qui filtre les rayons au travers des volets tirés sur un soleil trop brûlant.
La musique est agréable, mais très discrète. Pas de chanson, pas de play-back, pas de danse dans ce huis-clos feutré. On est loin ici de Bollywood, plus proche de Satyajit Ray.

Chokher Bali est un film troublant car il pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Rien n’y est simple et le réalisateur ne tient pas forcément à être explicite. Binodini est un caractère instable et contradictoire, le film suit les méandres de sa personnalité, sans expliquer au public ce que la jeune femme aurait du mal à s’expliquer à elle-même.
Ajoutées à cela quelques ellipses sans doute dues au doublage bengali-hindi et à un sous-titrage vraisemblablement lapidaire, et le spectateur a parfois l’impression d’avoir raté une étape…Mieux vaut se laisser porter par le film, qui recèle même avec ces légères imperfections, richesse et poésie.

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