Devdas (1955)
Langue | Hindi |
Genres | Drame, Classique |
Dir. Photo | Kamal Bose |
Acteurs | Dilip Kumar, Vijayantimala, Pran, Suchitra Sen |
Dir. Musical | S. D. Burman |
Parolier | Sahir Ludhianvi |
Chanteurs | Lata Mangeshkar, Asha Bhosle, Mohammad Rafi, Manna Dey, Geeta Dutt, Usha Mangeshkar, Talat Mehmood, Mubarak Begum |
Producteur | Bimal Roy |
Durée | 159 mn |
Le roman de Sarat Chandra Chattopadhyay (Chatterjee) a fait l’objet de nombreuses adaptations télévisuelles et cinématographiques, notamment cette version de Bimal Roy réalisée en 1955 et inscrite dans la mouvance néo-réaliste bengali insufflée par l’emblématique Satyajit Ray. En respectant les lois du genre, Roy nous livre une œuvre intimiste, humaniste, au rythme posé, antithèse du fougueux et flamboyant Devdas de Sanjay Leela Bhansali sorti 47 ans plus tard. Ceci dit, il est tout à fait possible d’apprécier ces deux moutures éloignées aussi bien dans la forme que dans le temps.
Devdas et Paro sont inséparables, et même si lui n’est pas toujours tendre avec elle, le garçon et la fillette entretiennent une profonde amitié. Mais les frasques répétées du jeune homme poussent son père à l’éloigner du village en l’envoyant étudier à Calcutta. Paro se retrouve seule et désemparée. Des années plus tard, Devdas, adulte (Dilip Kumar) revient sur les lieux de son enfance et revoit son amie devenue une ravissante jeune femme. La complicité enfantine se transforme inévitablement en passion adulte. Mais les barrières sociales les ramènent vite à la réalité. L’opposition du père de Devdas à leur union, l’indécision du jeune homme et le mariage précipité de Paro (Suchitra Sen), sont autant d’évènements qui conduisent le couple à se séparer définitivement. Impuissant et inconsolable, Devdas se réfugie en ville dans l’antre de la courtisane Chandramukhi (Vyjayanthimala) ainsi que dans l’alcool. La suite et la fin sont bien connues…
Images granuleuses en noir et blanc, mouvements légèrement saccadés, fondus enchaînés d’un autre âge… Non ! Ne fuyez pas ! Car dès les premières images, l’espièglerie des deux enfants captive et attendrit. Surtout cette adorable petite Paro prévenante et admirative des effronteries de son ami. La jeunesse des héros a été occultée dans la version de Bhansali, mais pose bel et bien ici les jalons de l’histoire, elle légitime et explicite l’amour infaillible que se portent les deux jeunes gens et la déchéance future de Devdas. Une immaturité qui transparaît tout au long du film au travers de la mine boudeuse de Dilip Kumar mais aussi de la confusion, de lâcheté et de l’égoïsme de son personnage.
Hormis l’épisode de l’enfance, l’intérêt majeur du film réside dans ses dimensions sociales et tragiques. Cet aspect social, très présent dans le courant néo-réaliste apparaît bien dans cette chronique rurale quasi-documentaire où chacun occupe sa fonction de manière définie et dans un ordre bien établi (l’instituteur, le notable, les saltimbanques, les femmes). La tragédie ressort fondamental du métrage, se traduit quant à elle par le côté inéluctable
des évènements. Dans cette version pas de belle-soeur vénale, d’odieux beau-fils ni de mère mesquine qui viennent s’opposer au bonheur des héros, mais plutôt des traditions bien encrées, une vie, un destin auxquels nul ne peut échapper. Quand Bhansali trace un récit fleuve tumultueux, où les vils seconds rôles sont les détenteurs de l’étincelle dramatique, celui de Roy apparaît comme un ruisseau qui coule tranquillement et irrémédiablement vers sa triste issue .
Une tragédie au sens noble et classique du terme où les protagonistes sont les jouets de la destinée et non de leurs congénères. Cette fatalité se manifeste clairement dans la psychologie des personnages. Personne ne lutte, personne ne se plaint. Paro tente bien de garder son bien-aimé dans cette scène où elle se rend en pleine nuit chez Devdas (scène reprise d’ailleurs dans le film de 2002), mais très vite, elle se résigne et accepte son sort. Même Devdas souffre, pleure et boit en silence, il trouve asile chez la bienveillante Chandramukhi, un des rares personnages (de par sa fonction) à incarner l’audace et le libre-arbitre, mais elle aussi, attend patiemment que naisse en Devdas l’affection tant espérée. Une Chandramukhi qui au passage exécute de façon gracieuse et aérienne ses chorégraphies et qui ne démérite pas face à son alter ego de 2002.
La fin est à l’image du film. Quand le héros tente de fuir son triste sort (la maladie, son amour pour Paro) dans un long périple en train à travers l’Inde, celui-ci le rattrape et s’abat sur lui dans un final tout aussi émouvant que celui de Bhansali. Cette dernière scène commune aux deux réalisateurs a d’ailleurs fait l’objet d’une mise en parallèle dans les bonus de l’édition française du DVD de Devdas 2002.
Regarder pour comparer est souvent la démarche initiale de ceux qui ont vu le film de Bimal Roy. Et sous des aspects peu attrayants (voici un film qui mériterait vraiment une remastérisation), on découvre une œuvre délicate et totalement affiliée au courant de son époque.