Entretien avec Rana Daggubati
Publié vendredi 21 avril 2017
Dernière modification samedi 6 mai 2017
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Rana Daggubati est le petit-fils du fondateur des studios Suresh Productions, basés à Hyderabad. Connu pour ses productions depuis plus de 50 ans, cette société fait partie des célèbres maisons de production du pays.
Rana Daggubati est un homme aux multiples facettes : producteur, coordinateur d’effets spéciaux, et acteur dans le cinéma hindi et telugu. Il n’hésite pas à passer des rôles principaux dans des films telugu aux seconds rôles — comme dans Baby avec Akshay Kumar — pour ensuite incarner le terrible méchant de Baahubali, Bhallala Deva ou un officier de marine dans The Ghazi Attack, dirigé par Sankalp Reddy. On sent une personnalité réceptive aux innovations techniques et à l’écoute d’un public moderne, qui aime être surpris.
Très grand, mince et athlétique, polyglotte, acteur accompli, appartenant à une famille de cinéma, Rana Daggubati réunit bien des qualités pour briller dans une carrière d’acteur de tout premier plan. Il me reçoit dans les locaux de la Société de production familiale à Hyderabad.
Brigitte Leloire Kérackian : Vous appartenez à une famille du cinéma. Avez-vous ressenti une pression lorsque vous avez débuté dans votre métier ? Avez-vous étudié dans une école de cinéma ?
Rana Daggubati : Pas vraiment. Toute ma famille a toujours travaillé dans le cinéma. Mon grand-père produisait des films, mon oncle était acteur, ma mère était poétesse. J’ai démarré dans les effets spéciaux. J’ai juste grandi dans les studios. Mettez un enfant dans un studio, et vous verrez qu’il va apprendre des choses. Donc, je n’ai jamais fait d’école de cinéma.
Cette activité d’effets spéciaux et de nouvelles technologies m’a permis d’imaginer aussi des productions de jeux on-line. J’ai ensuite produit des films.
En vivant dans une famille dont le quotidien est le cinéma, malgré les nombreuses créations, j’ai commencé à penser qu’il pouvait exister un nouveau genre de cinéma ! J’ai senti qu’il y avait peut-être une opportunité, une alternative à ce qui était déjà connu. Après avoir suivi des cours de théâtre, j’ai appris à faire des cascades et ensuite je suis devenu cinéaste.
BLK : Vous avez reçu un prix (National Film Award) pour votre film Bommalata – A Bellyful of Dreams. Comment est-ce que l’idée de ce film vous est venue ?
Rana Daggubati : J’avais déjà produit des films. Cette histoire vient du théâtre de marionnettes, avec un personnage qui rêve d’aller à l’école. Le père du personnage est d’ailleurs marionnettiste. Le conte permet à l’enfant de réaliser son rêve !
BLK : Dans le cinéma indien, les acteurs sont souvent soit le héros soit le méchant et ils ne passent pas d’un personnage à l’autre ; mais vous avez choisi de franchir cette ligne. Dans votre carrière, on se rappellera de vous comme le personnage que tout le monde déteste. Comment avez-vous imaginé cette étape de votre carrière professionnelle ? Combien d’années de votre vie avez-vous consacrées au personnage du méchant de Baahubali ?
Rana Daggubati : J’ai consacré quatre ans à ce personnage. En Inde, vous avez l’opportunité de travailler dans différents cinémas, c’est ainsi que j’ai joué en plusieurs langues : en telugu, en tamoul. Je peux jouer un gentil, un méchant, tout en tas de personnages différents. Quand au départ, Rajamouli m’a rencontré avec cette idée novatrice, j’ai pressenti un projet de dimensions bien différentes de ce qu’on a pu voir jusqu’ici ! Par conséquent, j’ai eu envie d’y participer. D’autre part, nous avons tous grandi avec une franchise comme Star Wars ! Est-ce que vous n’aimeriez pas contribuer à ce phénomène ? Personnellement, cela m’a complètement séduit.
BLK : Comment avez-vous préparé le personnage de Bhalalla Deva ? Quelle est la psychologie du personnage ?
Rana Daggubati : Le producteur Shobu Yarlagadda et le réalisateur m’ont d’abord décrit une scène, qui n’est pas dans le film mais représentative du personnage : un homme se tient sur un balcon, placé à 30 m de hauteur et il contemple son royaume immense et sa statue en or de 30 mètres de haut ! C’est ainsi qu’on imagine le puissant roi Bhalalla Deva qui ne croit en aucune divinité mais qui se considère comme un dieu. Sous la statue, il y a 100 noms. Des hommes ont failli se faire écraser et au dernier moment, il les a libérés. C’est un homme qui pense qu’il peut donner ou prendre la vie. C’est une image de ce qu’il est capable de faire. Si vous lisez l’histoire et les grandes mythologies indiennes, ce personnage aurait pu être Ram ou Drona du Mahabharata ou Ramayana, que nous connaissons depuis notre enfance.
Notre réalisateur tente de le récréer au cinéma aujourd’hui. En Occident, on a l’habitude de voir ces grandes fresques historiques
Il faut une grande bravoure pour se lancer dans un tel film ! Une équipe très nombreuse a maintenu sa concentration pour construire un produit jamais vu encore dans notre pays ! Si je laisse passer un projet aussi innovant, je vais devoir attendre un grand nombre d’années avant de revoir un long-métrage comparable !
Rajamouli avait une idée bien précise du personnage ! Il a écrit des scènes qui finalement ne seront pas visibles dans la partie 1, ni dans la partie 2. Il y décrivait la manière dont Bhallala Deva a été élevé, ce qu’il aime ou non, les armes qu’il apprécie, ses paroles sont très mesurées, calculées ! Nous avons eu des détails très fournis. Pour respecter la maîtrise physique requise pour les scènes de guerre, et aussi en tant que commandant d’une armée, il a fallu une préparation physique adaptée, ainsi qu’un entrainement aux arts martiaux.
Il fallait recréer des armes, des arts martiaux indiens, avec une inspiration de la tradition indienne. Nous avons aussi tourné en deux langues : en telugu et tamoul. La préparation a demandé environ cinq mois avant le tournage effectif qui a demandé environ deux ans et demi alors que Prabhas a été mobilisé pendant quatre ans puisqu’il avait bien plus de scènes que moi.
BLK : Pensez-vous que Baahubali créé une nouvelle tendance dans le cinéma indien ?
Rana Daggubati : Pour comprendre l’Inde, il faut prendre en compte les particularités régionales comme dans le cinéma tamoul, malayalam, ou kannada ; et Baahubali a dépassé tout cela. C’est devenu un grand film tamoul et telugu. En brisant toutes ces barrières, il a donné confiance à de nombreux cinéastes qui ont le droit de rêver en grand ! Quand vous créez un produit juste avec un pays d’un milliard de personnes qui vous suit, on peut dire que Baahubali créé un espoir unique !
BLK : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre nouveau film The Ghazi Attack ?
Rana Daggubati : The Ghazi Attack est basé sur des faits réels. Je joue un officier dans un sous-marin de guerre, inspiré d’une histoire vraie datant de 1971. Comme cela a eu lieu pendant la guerre indo-pakistanaise, l’épisode a été classé secret pendant de nombreuses années. Cela s’est passé à Visakhapatnam, dont j’ai toujours entendu parlé et qui n’est qu’à une heure de Hyderabad. Très peu de gens connaissent la vérité sur les événements. Le réalisateur a écrit un livre sur ces faits. Les informations sont classées (secret défense). En Inde, on voit beaucoup de films sur l’armée ou la police mais peu sur la marine. Notre marine est la sixième du monde et on a très peu glorifié la Navy dans des films, jusqu’ici.
BLK : Est-ce votre premier film Bollywood ? Quelle est la différence entre un film telugu et un film bollywood ? Y a-t-il une différence dans les organisations etc… ?
Rana Daggubati : C’est mon troisième ou quatrième film Bollywood. La folie de produire un film est identique quel que soit le lieu dans le monde ! Cette folie est similaire en France ou au Japon ou en Inde. Vous essayez de raconter une histoire à un groupe de gens. De toute évidence, à Bombay, étant donné la taille de l’industrie, ils ont un peu d’avance, donc ils ont un peu plus d’organisation. Mais les barrières sont en train d’être dépassées puisqu’un film comme Baahubali va sortir. Le changement est vraiment à notre porte. Les réalisateurs et les acteurs travaillent dans les industries telugu et bollywood. Les techniciens sont passés d’un secteur à l’autre depuis très longtemps.
BLK : Vous recevez surement de nombreuses propositions, alors pourquoi avoir accepté ce personnage spécifique dans The Ghazi Attack plutôt qu’un autre ?
Rana Daggubati : Avant de jouer ce rôle, je n’avais jamais entendu une telle histoire ! Quasiment personne n’en a eu connaissance jusqu’ici. C’est le premier film de guerre dont l’action est sous-marine. Dès qu’il y a un sujet concernant l’Inde et le Pakistan, on assiste systématiquement à une grande agitation partout. J’avais donc envie d’en faire partie.
En fait en 2017, j’ai quatre sorties de films. Après Ghazi Attack et Baahubali, il y aura un film lié à un drame politique, une fiction qui pourrait être comparée à House of Cards. Et ensuite, un autre film de guerre qui se tient dans les années 1940, pendant la colonisation britannique, ce dont on a très peu parlé jusqu’à présent.
Pouvoir montrer des histoires différentes, dans des périodes inhabituelles, cela nous motive énormément ! Pendant le tournage de Baahubali, j’ai pris le temps de trouver les bons auteurs pour mettre au point des récits originaux.
BLK : Pensez-vous que votre carrière sera plus orientée vers le jeu d’acteur ou la production ?
Rana Daggubati : Certaines histoires me conviendront pour y jouer et d’autres vont me motiver pour la production. Je serai dans l’activité cinématographique, c’est certain ! Ma carrière, ce sont les films ! Jouer est l’activité la plus raisonnable. J’aime être un peu partout. Dans ces studios, j’ai tout appris !
Propos recueillis et traduits de l’anglais par Brigitte Leloire Kérackian. Hyderabad. Janvier 2017.