Guddu
Langue | Hindi |
Genre | Drame |
Dir. Photo | Durga Prasad |
Acteurs | Shah Rukh Khan, Manisha Koirala, Naveen Nischol, Mukesh Khanna, Deepti Naval, Maya Alagh |
Dir. Musical | Naushad |
Parolier | Majrooh Sultanpuri |
Chanteurs | Kumar Sanu, Devki Bose, Sadhana Sargam, Suresh Wadkar, Mohammad Aziz, Majid Shola, Lata Mangeshkar, Devaki Pandit |
Producteur | Prem Lalwani |
Durée | 168 mn |
Entreprendre la critique de Guddu en 2013 s’apparente à une plongée archéologique dans les vielles malles du grenier. Que va-t-on y découvrir ? Bide retentissant, ce film sorti en 1995 a été l’un des plus grands échecs de la carrière de Shahrukh Khan. Etait-ce mérité et n’y avait-il rien à sauver ou, au contraire, est-on devant une œuvre injustement méprisée à redécouvrir d’urgence ? Ni l’un, ni l’autre. Guddu entre difficilement dans les catégories habituelles mais mérite que l’on s’y arrête un peu.
Guddu (Shah Rukh Khan), jeune étudiant désinvolte et un peu dragueur, est le fils de Vikram Bahadur (Mukesh Khanna), avocat rationaliste et athée, et de Kavita, son épouse (Deepti Naval), superstitieuse et très pieuse, dévote de Krishna. Un jour Guddu rencontre Salina Gupta (Manisha Koirala) et ils tombent amoureux l’un de l’autre. Mais un grave accident de voiture, dont le jeune homme se sent responsable, et l’annonce d’une terrible maladie vont changer le cours des choses et révéler les conflits latents dans la famille.
On voit que l’histoire n’est pas d’une franche gaieté. Rarement, un film de Bollywood place à ce point la mort au centre de l’intrigue. Le concept même de mort et non la simple disparition d’un personnage. Car elle finit par devenir l’un des protagonistes de l’histoire. Guddu souffre d’une tumeur au cerveau qui le condamne à très court terme… Dans une scène étonnante à plusieurs titres et plutôt bien filmée, il engage un dialogue avec sa mort.
Hélas, le scénario, qui se veut grave, ne parvient pas à convaincre en raison d’invraisemblances trop criantes. La fratrie, dont on ne comprend pas pourquoi le garçon est musulman et la sœur (la mère de Guddu) hindoue, en est une ; la greffe des yeux, dont Salina qui a perdu la vue doit bénéficier pour la recouvrer, n’est pas la moindre, et d’autres sont à l’avenant. Il est aussi beaucoup trop embrouillé pour être crédible.
Par ailleurs, des séquences franchement ridicules alternent avec des moments de vraie émotion. Le long duo chanté Hum Do Panchhi, pendant les évolutions aériennes des deux héros en parapente, est une des ces séquences. La scène où Guddu, affichant un sourire niais et affublé d’un horrible casque rouge, clame son amour pour Salina évoque davantage le vol nuptial de deux coccinelles (pour autant que ces insectes effectuent ce genre de parade amoureuse) que la naissance d’une passion. Pardon Shah Rukh !
En revanche, les conflits intérieurs de Kavita, au tribunal, tout comme l’opposition d’abord feutrée puis affirmée entre le père et le fils, sont filmés avec sobriété et sans le pathos habituel. On n’en dira pas autant des scènes de souffrance de Guddu, lorsque la maladie se manifeste. Est-ce une demande du metteur en scène ou un cabotinage malheureux de l’acteur ? Là encore, les hurlements, reptations et grimaces de Shah Rukh ne convainquent pas. Il a, fort heureusement, depuis 1995 beaucoup gagné en sobriété. L’acteur, qui dit n’avoir que très rarement tourné pour de l’argent, a déclaré que sa participation à ce film n’était due qu’à la nécessité de payer sa maison. Est-ce son manque de conviction qui transparaît à l’écran ?
Particulièrement intéressante et originale est la façon d’utiliser les décors dans le développement de l’intrigue, notamment ceux de Khajurâho. On aurait pu craindre le pire face aux bas-reliefs érotiques de ce site, il n’en est rien. Ils viennent souligner l’éveil du désir amoureux chez les deux protagonistes principaux et permettent à la jeune fille d’en prendre conscience, tandis que le garçon s’en amuse. L’usage des miroirs et des photographies, dont l’appartement des Bahadur est parsemé, est lui aussi peu banal. Un exemple : la chambre du héros est ornée d’un grand poster de Michael Jackson qui, seul, se reflète dans le miroir dont s’approche Guddu en pleine crise morale et psychologique.
Les passages musicaux sont plutôt de qualité, à l’exception du grotesque duo en parapente déjà mentionné et de son crispant, « Salina, Salina… ». Le premier du film, au tout début, est une interprétation de Lata Mangeshkar. Le chant qawwali, Dil Kahe Har Dum, dans une scène destinée à montrer la confusion psychologique de Guddu à l’heure des choix, accompagne excellemment ce moment de tension puis d’apaisement du héros, une fois sa résolution assumée.
A travers ce qui vient d’être dit, on sent que le réalisateur, Prem Lalwani, qui est également co-scénariste, avait un réel désir de sortir des sentiers battus. Mais le résultat est inégal. Son œuvre paraît hésiter entre plusieurs genres, romance, mélodrame ou même film à thèse. C’est sans doute ce qui a fait fuir les spectateurs. Une autre raison probable de leur désaffection réside dans son côté moralisateur appuyé, dans l’opposition manichéenne et récurrente qu’il fait entre croyance et rationalisme. Lalwani prend parti si maladroitement que la chute du film, plaquée, semble une maladresse scénaristique — il fallait bien en finir — plutôt qu’une adhésion réelle à des valeurs. Après l’échec de cet opus, il ne commettra qu’un autre film, Aatang, en 1996, remake médiocre des Dents de la mer.
Malgré toutes les réserves émises, Guddu est loin d’être un film déshonorant pour le metteur en scène comme pour son acteur principal. Le film peut être regardé avec indulgence, pour ce qu’il aurait pu être si Lalwani avait osé aller au bout de ses trouvailles et de son ambition.