Interview N. Tarbouriech : Origine de la rétrospective
Publié lundi 15 mars 2004
Dernière modification dimanche 9 mars 2014
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Eulika : Et l’idée du festival à Paris, c’était quoi ?
Nadine
Tarbouriech : Alors l’idée, c’était une proposition de ma part.
Suraj : Ah ! C’est vous qui êtes l’instigatrice de cette rétrospective ?
Nadine
Tarbouriech : Oui, j’ai fait cette proposition au Centre Pompidou. J’avais
un peu travaillé avec le Festival de Cannes, j’avais imaginé déjà une rétrospective
du cinéma indien au moment de la venue de Devdas à Cannes. J’étais à ce
moment-là correspondante pour Cannes en Inde et je suis rentrée avec beaucoup
plus de matériel et de possibilités que prévu. Mais Cannes n’est pas le lieu
des rétrospectives, j’ai donc essayé d’étudier les possibilités sur Paris. Le
Centre Pompidou avait aussi dans l’idée de faire une rétrospective du cinéma
indien, car la précédente datait déjà de presque vingt ans (ndlr : 1983 et
1987). Ils ont donc très vite accepté mon idée. À ce moment-là, on pouvait
décider de jouer à la fois sur le cinéma d’auteur indien, le « cinéma d’art » comme
on dit en Inde, ou sur le cinéma populaire. Je trouvais que c’était intéressant
d’axer la rétrospective sur le cinéma populaire à un moment où on commençait à parler
beaucoup plus de Bollywood, en remontant aux origines de ce cinéma, car la mission
d’un endroit comme le Centre Pompidou est d’expliquer, de raconter un peu les
origines de ce cinéma en Inde… En plus, l’idée de base est de préparer le public
français à l’arrivée du cinéma Bollywood, à cette « mode » qui survient.
Eulika : À votre avis, l’effet de mode ne concerne que le cinéma ? Parce qu’on
le voit aussi dans la musique avec Punjabi MC, etc.
Nadine
Tarbouriech : Oui, effectivement, la mode ne concerne pas que le cinéma. Ça
fait deux-trois ans déjà qu’on voit arriver aussi pas mal de choses d’inspiration
indienne dans la mode, dans la musique. Cela correspond aussi à une ouverture
du pays depuis les années 90, qui, doucement, commence à ouvrir ses frontières
et à faire circuler un peu cette culture.
Suraj : On a même l’impression que l’Occident est plus tourné vers l’Asie
maintenant.
Nadine
Tarbouriech : Oui, on peut l’observer dans le domaine du cinéma. Depuis quelques
années, on s’est intéressé à beaucoup de cinématographies asiatiques, avec succès
: la Chine, le Japon, la Thaïlande, HongKong, récemment la Corée. La seule qu’on
n’avait pas explorée, ou ré-explorée, c’était la cinématographie indienne…
Musicalement aussi, depuis les années 80, on s’est beaucoup ouvert à d’autres
formes musicales, les oreilles des Européens sont de plus en plus habituées à entendre
des choses qu’on n’entendait pas avant, qu’on n’avait pas envie forcément d’écouter.
Eulika : Vous pensez que le public français est désormais prêt pour le cinéma
de Bollywood aussi ?
Nadine Tarbouriech : Je pense… C’est mitigé ! Je pense que le public français est curieux. Bollywood, c’est un mot qui excite pas mal en ce moment… Je ne sais pas si c’est pour de bonnes raisons. Je pense que l’idée d’un cinéma d’aventure,
chanté, dansé, festif, excite beaucoup, comme une réponse à un manque qu’on ressent
ici. On arrive un peu à saturation par rapport au cinéma américain et au cinéma
de SF. On en reviendrait à d’autres valeurs et à cette forme de « comédie musicale » qu’on
n’exploite pas du tout ici, en France.
Eulika : Il y a eu quelques films récemment : 8 femmes, Moulin Rouge…
Nadine
Tarbouriech : Il y a eu des films récemment, mais on ressort encore Les
demoiselles de Rochefort et les films de Demy, on est tous capables de chanter
les airs de ces films. Cela veut dire aussi qu’il existe d’autres cinémas, que
d’autres choses peuvent arriver.
Suraj : Mais en même temps, Bollywood a tendance à s’américaniser de plus en plus. Récemment, on voit de plus en plus de films policiers, de science-fiction ou même d’horreur.
Nadine
Tarbouriech : Oui, c’est la tendance actuelle, mais ce n’est pas nouveau.
C’est la réponse que le cinéma indien a toujours eue par rapport aux cinématographies étrangères, à la
cinématographie américaine en particulier. L’Inde apporte toujours ses réponses
complètement personnelles à d’autres cinémas. C’est pour cette raison aussi que,
jusqu’à maintenant, le cinéma américain n’a pas vraiment percé en Inde, même
s’il y arrive un peu plus aujourd’hui. Il n’y a rien de mieux en Inde qu’un cinéma
qui investisse totalement la tradition et la culture indiennes.
Suraj : Quel public vise cette rétrospective ? Est-ce que vous cherchez à viser
un public ou est-ce purement informatif ?
Nadine
Tarbouriech : Nous n’avons pas de volonté précise sur un public particulier.
Il s’agit d’une rétrospective dans un musée, un grand centre culturel, donc il
n’y a pas d’idée commerciale derrière, plutôt une envie de découverte, et la
découverte est pour tout le monde.
Eulika : Mais vous trouvez qu’il y a une demande par rapport à ça ?
Nadine Tarbouriech : Je l’ai mesuré auprès des jeunes. D’abord, les jeunes sont des habitués de cinéma qui n’ont pas connaissance de ce cinéma, qui n’ont pas l’occasion de voir ces films-là en France. C’est quand même un manque aussi,
ils sont très demandeurs. Beaucoup de jeunes font des études de cinéma et répondent à ce
manque en se spécialisant dans ce cinéma. J’ai eu une assistante sur Marrakech,
que peut-être vous connaissez, elle s’est spécialisée dans le cinéma hindi et
est en train d’écrire un mémoire là-dessus (ndlr : Annakhan du forum Allociné Devdas).
Suraj : A priori, un musée n’est pas forcément l’endroit pour voir des films… Vous pensez que le public fera la démarche
de venir ?
Nadine
Tarbouriech : Oui ! Le Centre Pompidou n’est pas un musée comme les autres,
c’est d’abord un centre culturel, un endroit assez libre d’accès, dont on passe
assez facilement les portes. Il est beaucoup plus accessible quelque part que
la Cinémathèque Française plutôt « réservée aux cinéphiles ». Ce n’est pas le
cas du Centre Pompidou.
Suraj : Qu’est-ce qui a guidé votre choix de films ?
Nadine Tarbouriech : Mon choix a été guidé par deux choses. D’une part, il devait être représentatif des grands moments et des grands chefs-d’œuvre de cette cinématographie.
D’autre part, il me semblait important de faire découvrir certains réalisateurs
qu’on ne connaissait pas sans aller forcément du côté des petits films ou des
films pas connus du tout, d’essayer en même temps de faire découvrir de beaux
films et des incontournables.
Suraj : Pour la première partie, en tout cas, ce sont des incontournables.
Nadine Tarbouriech : (Catégorique) Ce sont des incontournables. Des films qu’il faut avoir vus absolument et qu’on a rarement l’occasion de voir sur un grand écran, alors qu’ils en valent vraiment la peine…
Suraj : …Et c’est vrai qu’il y a même des films qu’on ne peut plus trouver
en VHS ni en DVD ?
Nadine
Tarbouriech : Oui. Il y a aussi quelques inédits, mais le principe était
d’aller vraiment sur une base de films incontournables pour avoir une connaissance
de ce cinéma-là. J’ai essayé aussi de regarder les films non avec un regard indien
ou un regard de quelqu’un qui serait habitué à ce cinéma, mais avec le regard
d’un spectateur français. Parce que si on se réfère au choix des films préférés
des spectateurs en Inde, on n’a pas du tout les mêmes critères, mais alors, absolument
pas. Donc, pour moi, ce qui était important, c’est que les films soient bien
reçus ici et qu’on y trouve du plaisir.
Suraj : Pour la seconde partie qui concerne le cinéma plus contemporain, vous avez essayé de faire des thématiques aussi, c’est toujours dans la même
optique ?
Nadine
Tarbouriech : Oui. Nous souhaitions couvrir les grandes thématiques de ce
cinéma et d’arriver à traiter une même thématique sur plusieurs époques, afin
d’observer aussi au travers du film comment la société indienne se reflète au
travers de son cinéma. Cela me paraissait vraiment intéressant.