Interview d’Anurag Kashyap
Publié mardi 28 mai 2013
Dernière modification mardi 28 mai 2013
Article lu 412 fois
Par
Dans le cadre de la Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes 2013, après la projection d’Ugly, des questions ont été posées par le public. Anurag Kashyap a confié que c’est la séparation d’avec la mère de sa fille qui lui a fait penser à cette histoire. En fait, un dialogue entre le père et la fille sont des répliques réelles entre lui et sa propre fille. Avec humour, sa fille lui a dit : « je devrais te demander de l’argent car je suis l’auteur de ce dialogue ». La salle a ri spontanément de cette jolie réplique.
Brigitte Leloire Kérackian : Après la projection de Ugly, vous avez dit que vous aviez commencé à penser à cette histoire après la séparation avec votre première épouse, la mère de votre fille.
Anurag Kashyap : C’est exact. Mes relations avec ma fille aussi sont reprises dans les cinq premières minutes du film. Un de mes amis, qui dirige les Forces Spéciales en Inde, a lu mon script et il m’a dit que les choses ne se passaient pas réellement comme cela. Il a commencé à me raconter certaines enquêtes d’investigations relatives aux disparitions d’enfants. Environ 33 000 enfants ont disparu rien que l’année dernière en Inde. Il faut savoir que l’Inde est un pays réputé pour les adoptions d’enfants, des personnes du monde entier sont à la recherche d’enfants à adopter, mais souvent ce sont aussi des adoptions illégales.
Entre 10 et 15% des disparitions donnent lieu à des demandes de rançon et donc 85% des enfants disparaissent purement et simplement. C’est ainsi que ces affaires sont devenues la base du film.
Brigitte Leloire Kérackian : J’ai été surprise par une scène : quand ils arrivent dans la première cellule de prison, ils sont effrayés par quelque chose mais le spectateur ignore ce qu’ils voient, ensuite ils en sortent toujours avec une expression d’effroi, comment comprendre ce lieu ?
Anurag Kashyap : Ce n’est pas une prison, c’est un refuge. La police crée ces refuges dans leurs locaux pour que le suspect soit en lieu sûr, et aussi l’intimider car il est entouré de policiers. Cependant, des familles vivent aussi dans les immeubles environnants. Les enfants sont témoins de ces lieux où on place des suspects. Les enfants les observent chaque jour, d’une façon imperturbable, ils observent donc ces personnes en état d’arrestation. L’idée était de créer un sentiment d’angoisse et de tension par l’attitude des gens qui entrent et sortent de cet endroit.
Brigitte Leloire Kérackian : Comment vous vient votre inspiration quand vous écrivez ? En combien de temps produisez-vous un script ?
Anurag Kashyap : Il y a toujours un élément déclencheur, une information, une expérience personnelle. Cela me prend beaucoup de temps, je mûris l’idée longtemps. Ce film, je l’ai écrit seul. Normalement, maintenant pour mes films, je n’écris plus seul, j’essaie travailler avec d’autres scénaristes. Ugly a été entièrement écrit par moi-même après de nombreuses années, et l’autre film que j’ai écrit seul est Black Friday, en 2004.
Brigitte Leloire Kérackian : Vos films sont toujours ancrés dans le réel, ceux que j’ai vus en tous cas. Est-ce qu’un jour vous aurez le désir de créer une histoire plus fantaisiste ? Ou une histoire typiquement Bollywood ?
Anurag Kashyap : En fait, mon prochain projet est une histoire d’amour, mais qui reste ancrée dans le monde. Pour moi, ce qui compte, c’est le monde réel. Ce sera une histoire qui s’enracinera dans l’univers souterrain du monde du Jazz de Bombay, dans les années 60. Le tournage démarrera dans deux mois.
Brigitte Leloire Kérackian : Est-ce que vous choisissez la musique avant le tournage en général ?
Anurag Kashyap : En général, non. Selon le film cela change, par exemple pour Gangs of Wasseypur ou Dev D, la musique a été conçue avant le tournage. Dans ce film, la musique est venue après.
Brigitte Leloire Kérackian : Pourquoi l’affiche de Ugly est-elle si mystérieuse ? J’ai même lu que vous aviez caché l’acteur principal et qu’il n’était pas autorisé à sortir.
Anurag Kashyap : Cette fois, j’ai voulu être très secret sur ce film. Les gens ont des idées très arrêtées avant la sortie d’un film, c’est pourquoi j’ai préféré tout cacher cette fois-ci. Ainsi, j’ai pu avancer sereinement. Rahul Bhat revient dans ce film après une longue période où il n’avait plus joué. Il avait fait beaucoup de télévision. Je ne voulais pas que les gens l’associent avec une opinion antérieure. C’est vraiment un personnage très différent de ses rôles passés. Il fallait que le public le découvre après avoir visionné ce film, sous une nouvelle facette.
Brigitte Leloire Kérackian : Pour vous, quel est le meilleur hommage aux 100 ans du cinéma indien ?
Anurag Kashyap : C’est le film court que j’ai réalisé dans Bombay Talkies qui rend cet hommage. Quand j’étais enfant, c’est purement ce cinéma qui me faisait rêver. Ces héros hors du commun et notre passion pour eux. On verra un passage rapide avec Amitabh Bachchan dans mon film.
Brigitte Leloire Kérackian : En Europe, nous sommes encore très ignorants du cinéma indien et beaucoup mélangent Bollywood et le cinéma indien. Comment cela va-t-il évoluer ? Pensez-vous qu’il y a un déclin de Bollywood et de ses histoires d’amour fastueuses ?
Anurag Kashyap : À mon avis, le cinéma indien est bien plus que simplement Bollywood. Il y a un cinéma du Sud par exemple qui offre des choses très intéressantes maintenant. De nombreux films tournés en langue régionale offrent de réelles innovations.
Bollywood a son essence originale et restera Bollywood. C’est un élément central de la vie quotidienne, donc il ne peut pas disparaître. La nouveauté est que tout n’est pas seulement du Bollywood maintenant, il existe beaucoup d’autres styles de cinéma, du cinéma indépendant, un courant "nouvelle vague". Tout est en train de changer en Inde. Et Bollywood survivra et va encore s’améliorer. C’est un genre qui va se redéfinir par lui-même et qui ravira encore le public.
Propos recueillis par Brigitte Leloire Kérackian
Festival de Cannes 2013