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Interview de Kiran Juneja

Publié vendredi 17 octobre 2014
Dernière modification vendredi 17 octobre 2014
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Par Brigitte Leloire Kérackian

Rubrique Entretiens
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Kiran Juneja, issue d’une famille de la classe moyenne de Delhi, a commencé sa carrière de mannequin dans les années 1970, puis s’est orientée vers la télévision et le cinéma.

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Notre reporter en compagnie du réalisateur Ramesh Sippy et de son épouse Kiran Juneja

J’aimerais vous demander de nous raconter comment cela se passait pour débuter en tant que mannequin et actrice dans les années 80.
Kiran Juneja : Les temps étaient bien différents et peu d’opportunités se présentaient. C’était très difficile de trouver le moyen d’être repérée. Parvenir à percer et être remarquée était bien plus complexe que maintenant. Ma famille ne fait pas partie de l’industrie du cinéma. Sans parler de mon cas particulier, je le décris comme la réalité de cette époque.
Donc, dans ces circonstances, je me sens vraiment privilégiée d’avoir pu commencer le mannequinat lorsque j’étais étudiante. A cette époque, les jeunes filles de bonne famille n’étaient pas autorisées à être mannequin mais dans mon université, un défilé de mode avait été organisé et j’ai pu y participer. Mes parents ont accepté parce que c’était au sein de l’établissement, un événement organisé par l’université. Des parents d’élèves faisant partie de l’univers de la publicité étaient présents et ont apprécié mon défilé à Delhi. Les premiers contacts ont eu lieu à ce moment là. J’ai participé à une toute petite publicité alors. Comme mes parents n’ont jamais imaginé que je deviendrai mannequin, ils ne m’ont même pas reconnue. Cela m’a ouvert un autre monde. J’étais inquiète de faire du mannequinat officiel. A Dehli, il y avait une forte activité de vente de textiles à l’exportation et les entreprises présentaient leurs collections à la clientèle en prenant des mannequins occasionnellement. Mes premiers pas dans ce domaine ont démarré avec ces sociétés exportatrices. J’avais le temps de suivre mes cours à l’université et de présenter les collections de temps à autres sans en parler à mes parents.

Souhaitiez-vous affirmer votre indépendance ? Était-ce simple pendant cette période ?
Kiran Juneja : Cette double activité me rendait indépendante.
Étant enfant, je me disais toujours : "Pourquoi suis-je née fille ? et pas garçon ?" J’ai toujours trouvé que les garçons avaient beaucoup plus d’opportunités, de liberté. La pression sur les filles était si forte. Ma mère était femme au foyer mais ce n’était pas du tout mon objectif. J’ai deux frères et je suis la seule fille. Mes parents se sont montrés très progressistes à l’époque. Mon père voulait que j’étudie et que je travaille. Ils me voyaient professeur d’université ainsi j’aurais le temps de m’occuper de mes enfants, donc un métier très classique me permettant de travailler sans que le foyer souffre de mon activité.
Personnellement, j’avais des rêves de devenir danseuse ou chanteuse, peintre, mannequin ou même hôtesse de l’air. J’avais envie d’explorer d’autres pays et d’autres villes.
Une de ces sociétés de textile m’a proposé de leur créer des dessins car pendant mes séances de mannequin, je leur faisais des propositions sur leurs modèles. A cette époque, les cours de stylisme n’existaient pas, on pouvait faire son entrée dans cet univers simplement par son goût du dessin et du design.
Le salaire était intéressant et j’étais satisfaite de vivre de mes créations. Mais les contraintes horaires m’ont rebutée car je ne pouvais plus continuer mes défilés en tant que mannequin. J’avais déjà le sentiment que j’avais besoin de liberté de mouvement. A ce moment, j’ai préféré devenir mon propre maître et je suis partie au bout de 15 jours.
J’ai pu ensuite faire des défilés à Bombay en 1980. Mes parents n’ont pas sauté de joie mais m’ont laissée faire. A Bombay, je pouvais travailler pour les marques les plus en vue et cela me plaisait beaucoup de pouvoir voyager et rencontrer plein de gens. Ma vie était très gratifiante.
La télévision démarrait dans les années 80 avec des séries de style soap-opera. Ils étaient à la recherche d’actrices pour ce nouveau genre d’émission. Comme j’avais été mannequin depuis quatre ou cinq ans, j’avais déjà fait le tour de toutes les marques intéressantes. On m’a fait passer une audition et j’ai été sélectionnée pour un soap opéra avec Shekhar Suman pour qui c’était aussi la première série TV. Baarajana était une comédie satirique en Urdu, qui n’a pas eu un grand succès. J’ai ensuite été recrutée pour la série Buniyaad, ainsi j’ai été repérée pour jouer dans le Mahabharat (1988). Au départ, ils voulaient que je joue l’épouse du Roi, mais j’avais peu de dates disponibles à cause du tournage de Buniyaad. Donc, on m’a proposé un rôle court mais beaucoup plus marquant dans l’histoire, de cette manière les planning pouvaient s’harmoniser. J’ai donc joué le rôle de Ganga. La série a été diffusée sur deux années en tout.
J’ai joué dans quelques films mais quand j’ai rencontré Ramesh Sippy, mon mari, toutes mes priorités ont été transformées par rapport à ma carrière et ma vie personnelle.
Une fois épousé un grand réalisateur comme lui, les metteurs en scène sont devenus réticents pour me sélectionner.

Pourrait-on dire une forme de discrimination ?
Kiran Juneja : En quelque sorte, oui. Pendant quelques années, je n’ai plus travaillé et je ne pouvais aller demander un rôle non plus. Cela semblait étrange dans ma situation. Au fur et à mesure, des réalisateurs ont compris que M. Sippy et moi étions d’accord sur mes souhaits de poursuivre ma carrière. Il y a eu quelques films où j’ai joué comme Jab we met et surtout Khosla ka Ghosla (de Dibakar Banerjee), une comédie originale qui délivre un message car c’est une histoire d’usurpation de propriété.

Quelle était la place des femmes dans le cinéma à cette période ?
Kiran Juneja : Il y a eu des phases, comme à Hollywood, où les films étaient plutôt axés sur le personnage masculin. Et les femmes avaient des rôles plus secondaires. Mais c’est en train de changer, heureusement. Pour le moment, nous avons peu de femmes réalisatrices en Inde. C’est un domaine qui n’est pas encore exploité je dirais.
Une femme réalisatrice est confrontée à beaucoup d’obstacles car les distributeurs doivent acheter le film. Ils ne se sentent pas très confiants si une femme est la protagoniste d’un film. Il y a plein de contraintes budgétaires et ils craignent que les ventes de billets diminuent.
Sur les tournages, les femmes sont très bien traitées et considérées. Bien sûr, les actrices sont beaucoup moins bien payées que les acteurs, en particulier les héros. Malheureusement, comme à Hollywood, la rémunération des actrices reste inférieure.


Interview recueillie par Brigitte Leloire Kérackian
Festival de Cannes 2014, 18 mai.

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