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Interview de Martine Armand et Hubert Laot

Publié dimanche 20 septembre 2009
Dernière modification mardi 3 mars 2015
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Par Maya

Dossier L’Eté indien 2009 : Cinémas marathi et malayalam
◀ Cinémas marathi et malayalam : aux sources du cinéma indien

L’Eté indien poursuit sa 6ème édition, autour des cinémas marathi et malayalam. Comme l’an dernier, nous avons rencontré Martine Armand, programmatrice des films de L’Eté indien, et Hubert Laot, directeur artistique de l’Auditorium du Musée Guimet, pour en savoir plus sur cette aventure…

Le Musée Guimet

Qu’est-ce qui a motivé le choix de ce thème, cinémas marathi et malayalam ?

Nous avions envie de faire découvrir des cinémas encore inconnus en France, pour en montrer la diversité. Nous voulions à la fois remonter aux sources du cinéma et faire connaître les cinémas du sud de l’Inde, hélas trop peu montrés. Nous voulions faire découvrir des auteurs et des films qui sont ancrés dans l’histoire de leur région, le reflet de leur contexte social et politique. Nous voulions aussi montrer des films qui ont eu un vrai succès populaire, non pas des films d’auteur ennuyeux mais des films originaux qui portent un message, avec finesse et parfois humour, des films chargés de métaphores accessibles au plus grand public y compris occidental, des films significatifs et très vivants pour la plupart.

Les cinémas marathi et malayalam sont intéressants et originaux à plus d’un titre, ils sont certes très différents mais ils ont des points communs qui forment une sorte de fil rouge. Leur premier point commun, c’est le lien entre cinéma et théâtre car la plupart des réalisateurs s’y sont intéressés de près ou de loin et certains d’entre eux ont une carrière dans les deux domaines. Le second fil rouge très important, c’est leur dimension politique et sociale. Dans le cas du Maharastra des femmes courageuses s’élèvent contre les injustices sociales et prennent leur destin en main, ceci est un thème présent dans la littérature, le théâtre et le cinéma du Maharastra où les femmes sont particulièrement actives. Il y a trente ans à Pune on les voyait déjà dans la rue conduire leurs scooters et mener une vie active, d’ailleurs elles sont très nombreuses à s’impliquer dans le travail social.
Dans le cas du Kerala, les films sont une réflexion sur l’histoire de cette région et l’engagement politique d’une époque-charnière (voir le compte-rendu de la conférence de Martine Armand).

Certains cinéastes et acteurs de la programmation ont aussi un lien social : Jabbar Patel (Umbartha) est pédiatre, sa femme est médecin, ils sont très actifs dans des associations caritatives. La réalisatrice de Devrai était sociologue avant de se tourner vers le cinéma. Mohan Agashe joue dans Devrai son propre rôle de psychiatre, et si le film traite de schizophrénie, ce n’est pas un hasard. C’est un acteur de théâtre très actif, qui a par ailleurs travaillé avec de grands cinéastes indiens, Satyajit Ray entre autres. Il sera à l’Auditorium du Musée Guimet le 21 septembre pour présenter Devrai (Le bosquet sacré), et le 23 pour le film Valu dans lequel il joue le rôle du chef du village. Il répondra aussi aux questions du public après les projections. C’est une occasion à ne pas rater !

Cette année, les 15 films présentés sont des inédits, est-ce un choix ?

Tout à fait, et c’est ce qui fait aussi l’originalité de la programmation cette année, tous les films sont des inédits, des films rares qui n’ont jamais été distribués en France. On a pu voir uniquement Maati May (Histoire d’une fossoyeuse), mais lors d’un festival, le film a reçu le prix Graine de Cinéphage au festival Films de Femmes de Créteil. Ces films ne sont pas non plus édités en DVD, malheureusement, c’est donc une occasion unique proposée par l’Auditorium du Musée Guimet pour les découvrir.

Ce côté inédit se retrouve d’ailleurs dans la programmation des spectacles, les artistes se produisent pour la première fois en France, et présentent des spectacles rarement vus ici, comme la danse odissi (les 11 et 12 septembre), comme le chant carnatique avec les Carnatica Brothers (le 25 septembre), qui s’accompagnent d’un instrument de musique insolite, le gottuvadhyam, qui n’est joué que dans le sud de l’Inde.

Dans la mesure où ces films sont inconnus, comment les avez-vous identifiés et choisis ?

Parce que je les ai vus en Inde (Martine Armand) ! J’y ai vécu plusieurs années, je les ai vus lors de leur sortie (sauf les plus anciens des années 30 !). Les trois années passées à l’Institut du film de Pune et aux archives nationales m’ont aussi donné l’occasion rare de voir de très nombreux films d’auteur de toutes les régions de l’Inde, et de tous les pays d’ailleurs.

Film and Television Institute of India à Pune

Je suis aussi allée au Kerala où j’ai rencontré dans les années 80 John Abraham (Amma Ariyan) et surtout Govindan Aravindan (Pokkuveyil, Estheppan, Chidambaram), deux grands cinéastes aujourd’hui disparus. J’ai organisé une rétrospective d’Adoor Gopalakrishnan il y a une dizaine d’années et l’ai souvent rencontré depuis. Par ailleurs le film La Dernière Danse de Shaji Karun, présenté lors de la première édition de L’Eté indien, est une coproduction sur laquelle j’ai travaillé au Kerala. Côté Maharashtra j’ai pu suivre les carrières de cinéastes et acteurs comme Jabbar Patel et des liens d’amitié se sont créés il y a très longtemps. J’en ai rencontrés d’autres plus récemment, comme par exemple Chitra Palekar (Maati May). Et les plus jeunes répondent volontiers lorsque je les contacte car ils apprécient notre travail de programmation de L’Eté indien. J’ai eu la chance de bien connaître Smita Patil, hélas disparue trop tôt, une immense actrice qu’on retrouve cette année à la fois dans la programmation marathi (Umbartha) et malayalam (Chidambaram).

Smita Patil fait partie des stars qui défendent le cinéma d’auteur, s’investissent dans ces productions pour l’amour de l’art et pour les messages sociopolitiques qu’ils véhiculent. Grâce à leur implication, les films d’auteur ont plus de chances d’être vus, au moins localement, et d’être reconnus. Dans le sud, on peut citer Mohanlal et Mammootty, deux acteurs très populaires et tout aussi engagés dans le cinéma d’auteur (NDLR, dans le cinéma hindi, on peut citer, outre Smita Patil, Shabana Azmi, Naseeruddin Shah, Atul Kulkarni).

Il a fallu ensuite trouver les bobines, les sous-titrer en français ?

Tout à fait, certains films n’étaient pas sous-titrés et il a donc fallu y remédier. Maharashtra Mandal France, une association qui regroupe des personnes d’origine marathi vivant en France, a trouvé des sponsors indiens pour financer le sous-titrage marathi-français qui a été réalisé en Inde. Par ailleurs, l’office du tourisme indien en France est partenaire de l’Eté indien cette année, et ces sponsors nous ont permis d’inviter Mohan Agashe les 21 et 23 septembre. C’est la première fois que nous pouvons inviter un représentant du cinéma indien à l’Auditorium et nous en sommes très heureux, nous pensons que le public appréciera ces rencontres.

L'Association Maharashtra Mandal France, partenaire de L'été indien

Comme les années précédentes, nous avons pu bénéficier du soutien fidèle et très précieux de l’ambassade de l’Inde et d’Air India pour permettre la mise en place de la programmation et faire venir les bobines de films, c’est un rôle tout aussi déterminant ! Leur participation et leur soutien dès la première édition nous ont permis de présenter des œuvres inédites tout à fait remarquables et d’enrichir ainsi chaque programmation.

L’an dernier, le thème était "les stars du cinéma hindi". Voyez-vous une différence entre le public de l’an dernier et celui de cette année ?

La plus grande part de notre public est extrêmement fidèle, elle nous fait confiance et vient "les yeux fermés", connaissant notre exigence de programmation. Ce sont des passionnés du cinéma d’auteur, pas seulement indien mais de tous les pays du monde (d’ailleurs en novembre et décembre, l’Auditorium accueille des documentaires et des fictions des pays himalayens). En fait, l’an dernier la fréquentation a légèrement baissé par rapport à 2007 (5154 entrées en 2008, 6500 en 2007), car justement il n’y avait pas que du cinéma d’auteur, mais aussi du cinéma commercial, dit "Bollywood". Nous avons vu arriver quelques nouveaux spectateurs, amateurs et connaisseurs de ce cinéma, et même des fan-clubs, mais nous avons aussi constaté que notre public de fidèles était un peu plus réticent. Certains nous disent même cette année, "je ne viendrai pas à l’Eté indien, je n’aime pas Bollywood", ces amalgames entre Bollywood et cinéma indien nuisent en fait à l’image du cinéma d’auteur indien, c’est dommage. Cette petite baisse de fréquentation était liée aussi à la durée des films : les films d’auteur dépassent très rarement deux heures, alors que les films du cinéma populaire durent plutôt 2 h 30 voire trois heures, ce qui rend impossible de venir à une projection sur sa pause déjeuner (les films étant projetés à 12 h 15).

L’Eté indien 2009 a bien commencé, les spectateurs ont été très réceptifs, aussi bien aux films qu’aux spectacles qui ont connu des standing ovations enthousiastes, au point que certains artistes parlent déjà de revenir l’an prochain, même gratuitement, touchés et conquis par le public de l’Auditorium du Musée Guimet !

Pour connaître le programme des films de L’Eté indien 2009 : cliquer ici.

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