Kaagaz Ke Phool
Traduction : Fleurs de papier
Langue | Hindi |
Genres | Drame, Classique |
Dir. Photo | V. K. Murthy |
Acteurs | Waheeda Rehman, Guru Dutt, Johnny Walker, Baby Naaz, Nahesh Kaul, Veena |
Dir. Musical | S. D. Burman |
Parolier | Kaifi Azmi |
Chanteurs | Asha Bhosle, Mohammad Rafi, Geeta Dutt |
Producteur | Guru Dutt |
Durée | 153 mn |
Encore une fois il y avait foule en ce Dimanche pour assister à la rétrospective
Bollywood du Centre Pompidou. Des gens de tous âges (même des enfants)
mais étrangement peu d’Indiens (au mieux une dizaine) pour assister à la
projection du grand classique de Guru Dutt : Kaagaz Ke Phool, Les Fleurs
de Papier.
Le film suit la vie d’un cinéaste à succès de l’age
d’or du cinéma populaire indien, Suresh Sinha, reconnu professionnellement,
mais qui vit séparé de sa femme et surtout de sa fille chérie.
Il fait tout pour obtenir le droit de la voir. Il cherche aussi désespérément
l’actrice idéale pour jouer le rôle de Paro dans son prochain
film, une adaptation de Devdas. Durant son voyage pour rendre visite à ses
beaux-parents, responsables de la séparation de son couple, il rencontre
celle qu’il cherchait. Peu à peu une relation intime se noue entre
le réalisateur et son actrice, alors que sa fille essaie de réunir
ses parents.
Ce film est généralement considéré comme le meilleur
de Guru Dutt. Kaagaz Ke Phool est en effet un film assez déconcertant
sur certains points. D’un côté des passages de pur génie,
notamment dans la description des relations entre le réalisateur et
son actrice, d’une finesse bouleversante. De même pour les rapports
déchirants entre Suresh et sa fille qu’on lui arrache. Mais entre
ces moments littéralement merveilleux, s’intercalent régulièrement
des histoires et personnages secondaires certes utiles, mais exagérément
développés dans une veine comique proche de la caricature. Ils
sont souvent lourds et viennent parfois mal à propos, rompant le charme
des moments précédents. Johnny Walker dans le rôle du beau-frère
complètement anglicisé de Suresh Sinha, tient lieu de quota comique.
Certes il est très bon et vient en contrepoint du drame, méthode
classique du cinéma de Bollywood, mais là on atteint de tels
sommets que la présence de ces moments comiques est par moment vraiment
dérangeante et terre-à-terre. C’est le seul aspect négatif
de ce film qui n’en demeure pas moins l’un des plus maîtrisés
de Guru Dutt, même du point de vue technique (c’est aussi le premier
film indien tourné en cinémascope).
Un des points forts de Kaagaz Ke Phool est indéniablement ses chansons.
Comme dans chaque film de Guru Dutt, elles sont toutes plus sublimes les unes
que les autres, et génialement mise en scène. On peut citer la
séquence (« Ek Do Teen ») où Wahida Rehman apprend
a compter à des enfants et en fait peu à peu une chanson qu’ils
reprennent tous en cœur, ou encore cette autre séquence où ils
chantent sur un bus (« San san san who chali hawa »), portés
par les voix de Asha Bhosle et Mohammed Rafi.
Les chansons jouent toutes un rôle clé dans le film. Chacune est
une actrice à part entière du film, elle ne vient en rien relâcher
la tension comme c’est le cas dans les films contemporains, mais elle
y participe pleinement, et la crée parfois. Ainsi toute l’histoire
nous est racontée en flash-back, initié par une chanson (« Dekhi
zamane ki yaari », et se termine avec la fin du flash-back et de la même
chanson… Les paroles sont très poétiques, la musique nous
reste en tête longtemps après la fin du film.
Le film montre la solitude du cinéaste, qui a réussi professionnellement
mais dont la vie sentimentale est triste : sa femme l’a quitté,
emmenant sa fille qui a été mise en pension. Il fait tout pour
la voir mais en est systématiquement empêché par les institutions
ou ses beaux-parents. Il s’éprend de la jeune femme qu’il
a découvert pour incarner Paro. Cet amour est réciproque, entre
deux individus solitaires oubliés de leurs familles. On suit l’évolution
de leurs sentiments qui ne sont jamais clairement exprimés, sauf par
des chansons. Lorsque sa fille s’enfuit pour venir revoir son père,
elle est jalouse de cette nouvelle femme dans sa vie et veut réunir
ses parents. On bascule alors dans le drame, les problèmes de la vie
privée de Suresh influencent son travail qu’il néglige.
Du coups son film est un échec complet, le réalisateur connaît
une déchéance sans fin. Tout cela est conçu selon une
structure dramatique assez classique, mais avec un réalisme bouleversant,
on s’identifie totalement à ce pauvre homme sur lequel le sort
s’acharne sans cesse.
Kaagaz Ke Phool est empreint d’une tristesse, d’une mélancolie
tellement profonde qu’elle nous pénètre tout au long du
film et nous accompagne après. Il comporte beaucoup d’éléments
autobiographiques, notamment dans la description du milieu impitoyable du cinéma,
où tout est bon pour faire de l’argent, où la moindre erreur
est fatale. Celui qui est au sommet un jour, au moindre faux pas se retrouve
oublié de tous. Ainsi Suresh sombre dans la déchéance,
l’alcoolisme et le vagabondage après l’échec de son
film et le départ de ceux qu’il aimait.
De façon assez troublante ce film s’est révélé prémonitoire
pour Guru Dutt, ce qui lui donne une dimension supplémentaire. Comme
le film dont il est question dans l’histoire, Kaagaz Ke Phool connut
un échec cuisant, les producteurs ne le pardonnèrent jamais au
réalisateur après le succès énorme de Pyaasa. Comme
le personnage qu’il incarne à l’écran, plus jamais
Guru Dutt ne put diriger un film. Il se suicida en 1964.