]]>

Lajja

Traduction : La honte

Bande originale

Aaye Aajaye Aa Hi Jaiye
Badi Mushkil
Jiyo Jiyo
Kaliyug Ki Sita
Kaliyug Ki Sita (II)
Kaun Dagar Kaun Shehar
Saajan Ke Ghar Jana Hai

En savoir plus

Fiche IMDB
Page Wikipedia
La critique de Fantastikindia

Par Madhurifan - le 5 mars 2009

Note :
(8/10)

Article lu 6290 fois

Galerie

Vaidehi (Manisha Koirala) est mariée à Raghu (Jackie Shroff), un homme d’affaires à succès. Ils vivent tous les deux à New York. Raghu vit une vie à l’occidentale à laquelle Vaidehi n’arrive pas à s’habituer, d’autant plus qu’il n’hésite pas à la battre. Un jour, après une grave altercation, Raghu revoit sa femme en Inde, dans sa famille.

Chacun vit de son côté jusqu’à ce que Raghu soit victime d’un accident qui le rend stérile, dons sans héritier, au grand désespoir de son père. Or il s’avère que Vaidehi est enceinte. Raghu tente de la faire revenir en Amérique, où il pourra mieux la contrôler. Mais elle apprend la vérité et s’enfuit. Elle est poursuivie par Francis (Razak Khan) et Fakhruddin (Johnny Lever), bientôt rejoints par Raghu.

Au cours de sa fuite, elle rencontre d’abord Raju (Anil Kapoor), un voleur qu’elle retrouve au cours d’une cérémonie de mariage. La mariée, Maithili (Mahima Choudhary), et sa famille sont soumises à la pression de la famille du marié qui n’hésite pas à les humilier au sujet de la dot.
Grâce à Raju, elle arrive ensuite dans une petite ville dans laquelle elle côtoie une troupe de théâtre et se lie d’amitié avec la vedette, Ranki (Madhuri Dixit). Celle-ci est enceinte de Manish (Samir Soni), la vedette masculine avec lequel elle doit se marier. Mais Manish renonce à ce mariage et Ranki se retrouve confrontée à une population qui n’accepte pas son état.

Le train dans lequel Vaidehi s’échappe, est attaqué par des brigands. Bulwa (Ajay Devgan) les massacre et la sauve en la déposant dans un petit village, entre les mains de Ramdulaari (Rekha). Là, elle va découvrir la vie dans les campagnes, dans l’Inde profonde avec ses coutumes parfois terribles (le sort réservé aux nouveaux-nés filles). Elle affrontera la féodalité locale et ses représentants Gajendra (Danny Denzongpa) et Virender (Gulshan Grover).

Au bout de sa route, portée par ces épreuves, elle retrouvera son mari et rentrera aux USA où elle retrouvera les principaux protagonistes de l’histoire.

Pardon pour ce résumé assez long mais il est révélateur de l’ambition de Rajkumar Santoshi de traiter en profondeur son sujet.
Avant de commenter le film, il faut préciser que l’histoire n’a rien à voir avec celle du livre homonyme de Taslima Nasreen, publié en 1993. Rien à voir sinon l’humanisme qui est au coeur des deux oeuvres.

Lajja (Honte) est le huitième film de Rajkumar Santoshi. Il suit Pukar, histoire de trahison à la pure sauce Bollywood, dans lequel Madhuri Dixit tenait le principal rôle féminin. Cette fois-ci, elle ne sera qu’un des éléments de cette sorte de fresque dédiée à la condition des femmes indiennes.

Pour traiter son sujet, Rajkumar Santoshi choisit la voie du « coup de gueule ». Dès le début, il prévient : « Aucun des personnages ou des situations n’est à proprement parler imaginaire… La grandeur d’une civilisation se mesure simplement au statut de ses femmes ». C’est clair, Lajja est un film engagé.
Le fil conducteur est le voyage initiatique de Vaidehi, qui va la conduire du statut de femme indienne soumise aux traditions à celui de femme révoltée, décidée à changer le sort de ses semblables.

A mon sens, l’’intérêt majeur du film réside dans la double lecture qu’on peut en faire. D’abord, une histoire somme toute classique. Une descente aux enfers de quelqu’un qui vit une vie plutôt banale et qui va plonger petit à petit dans ce que l’âme humaine a de plus noir. On avait déjà ce genre de démarche côté thriller dans Darr ou Anjaam. Une vision simple, au premier degré, qui se suffit à elle-même et que de nombreux spectateurs ne dépasseront probablement pas.

Mais Rajkumar Santoshi offre également une seconde lecture. De la même façon que la première était « verticale », avec une situation empirant à chaque étape, la seconde est plus horizontale puisqu’elle joue sur la double nature des choses et des personnages. Rajkumar Santoshi se régale et s’amuse à nous montrer que ce qui semble bien ne l’est pas tant que ça et vice versa. Les exemples sont multiples. En voici quelques-uns.

Les traditions. Vaidehi est une femme dont la vie repose sur les traditions de son pays, soumise à son mari, à son père, à sa famille. La véritable femme indienne typique. Au nom de cette tradition, elle n’accepte pas (et ne peut pas comprendre), le comportement de son mari qui vit une vie d’homme d’affaires occidental, gérant les relations publiques, vivant de compromissions. Et pourtant, à la fin du film, c’est cette même Vaidehi qui taillera en pièces ces mêmes traditions. Belle évolution pourrait-on dire. Est-ce si sûr ? Rajkumar Santoshi, qui aurait pu s’arrêter sur la fougue de cette rébellion, conclut en remettant Vaidehi dans les bras de son mari, certes repenti (semble-t-il) et rentrant à New York.

La liberté. Au début du film, lorsque l’associé de Raghu fait des propositions à Vaidehi ce qui la révolte le plus c’est que son mari lui réponde « mais il ne ferait rien sans ton accord ». Sa première réaction n’est pas de dire à Raghu « tu ne m’aimes donc pas ? ». Ce n’est pas tant l’absence d’amour de son mari qui choque la femme indienne qu’elle représente, c’est que son mari lui donne la liberté de choisir : inconcevable.

La société. Le début nous montre une civilisation occidentale corrompue et dépravée, sans valeurs. La belle héroïne représente tout le contraire de cette superficialité. Naturellement, le spectateur ne peut qu’être à ses côtés. Mais tout le reste du film va nous montrer que la société indienne a des aspects tout aussi pourris et peut-être même pires. A tel point que tout ce beau monde reviendra à New York.

Dernier exemple (à vous de chercher les autres), les hommes. Tous les hommes du film sont des salauds, des tortionnaires, des idiots ou des lâches. Les seuls qui se comportent en hommes véritables sont le voleur (Anil Kapoor) et le meurtrier (Ajay Devgan). En un mot « le mal ».

On voit bien, à travers ces quelques exemples que, parallèlement à une histoire linéaire traditionnelle, Rajkumar Santoshi prend plaisir à brouiller les pistes. L’histoire est simple mais tous ses personnages sont complexes.

J’imagine qu’en écrivant ce film, Rajkumar Santoshi se demandait comment il pourrait faire passer son message de façon efficace auprès des premiers concernés, c’est-à-dire des Indiens. Le niveau de lecture au second degré ne convenait pas à tous. Il a donc joué sur deux autres leviers : les sentiments, comme dans tout Bollywood qui se respecte, et les symboles.

Le prégénérique regroupe de façon onirique et, il faut bien l’avouer, assez basique, tous les composants du films. Le voile de la femme, accroché sur les barbelés, déchiré par toutes ces mini-violences, piétiné par l’armée ou la police (le pouvoir) et qui finira par s’embraser dans le feu purificateur et symbole de fin de vie terrestre. Raccourci fulgurant de près de 3h 30 de film. L’histoire peut commencer mais elle est déjà jouée.

Rajkumar Santoshi s’appuie également sur la mythologie indienne. C’est ainsi qu’il donne le même nom à ses héroïnes : Vaidehi, Janki, et Mythili ne sont rien de moins que les autres noms de Sita, l’épouse de Rama, le héros du Ramayana, enlevée par Ravana et contrainte de justifier sa vertu. Ce choix est parfaitement logique puisque l’histoire que veut raconter Rajkumar Santoshi est celle de LA femme. Mais, cette mythologie, il va la détourner pour appuyer son propos. C’est ainsi que, lors de la représentation de l’épreuve du feu que tous les Indiens doivent connaître, Janki va changer le cours de l’histoire en refusant de se justifier seule. Le comble de la provocation. C’est d’ailleurs ce qui va provoquer la chute de Janki et le déchaînement de la foule.

Lajja est à l’évidence un film complexe, dont on pourrait parler pendant des heures. Chaque scène ou presque mériterait un décryptage. Ce n’est naturellement pas possible dans un article de taille raisonnable.

Pour moi, Lajja est surtout un film désabusé. Malgré son côté happy end (tout le monde se retrouve heureux à New York), ce que nous montre Rajkumar Santoshi, c’est qu’en Inde c’est toujours pareil, et les actions entreprises par nos héros en Amérique laissent quand même un goût de dérisoire par rapport aux souffrances des femmes qui elles sont restées en Inde. Un film désabusé mais aussi pessimiste.

Il ne faudrait pas que le sujet fasse oublier les acteurs et la musique. La pléiade de vedettes présentes dans cette production joue de façon particulièrement réaliste.
Manisha Koirala traverse l’histoire avec beaucoup de conviction. Le choix de Rajkumar Santoshi est particulièrement pertinent. Sa gracilité donne bien la sensation d’un fétu de faille emporté par la tempête.
Les autres personnages féminins sont aussi bien vus, consistants et bien interprétés. Rekha est particulièrement émouvante.
Côté hommes, Ajay Devgan surjoue un peu son rôle, à grands coups de fronçages de sourcils et de regards par en dessous. Il n’avait pas encore fait beaucoup de musculation et il paraît un peu freluquet pour le personnage qu’il représente. Mais je chipote. Jackie Shroff est très convaincant. Le problème est plutôt dans son personnage qui manque de réalisme. On a du mal à suivre son comportement qui varie de businessman moderne à ordure sans scrupule et mari attentif. Ce n’est pas tant l’exagération qui gêne que le déséquilibre du personnage par rapport aux autres.

La musique d’Anu Malik est très agréable, pas envahissante mais pas exceptionnelle non plus. Le morceau de bravoure en matière de chorégraphie est quand même le duo Madhuri–Manisha dans Badi Mushkil. On pourra oublier les numéros d’item girls de Sonali Bendre et Urmilla Matondkar (qui a quand même mieux à faire dans Bas Ek Pal ou Tehzeeb) qui, à mon avis, n’apportent rien à l’histoire.

Manifestement, pour Rajkumar Santoshi, Lajja constitue une étape importante dans son oeuvre. Son sujet le passionne. Sa démarche est estimable. Maintenant, est-ce suffisant pour parler d’oeuvre majeure ? Je ne suis pas convaincu. Même si les bons sentiments, la technique, les acteurs sont importants, je trouve qu’il manque quand même une chose qui ferait de cet excellent film plein de richesses et de qualités, une oeuvre exceptionnelle dans le cinéma indien : un souffle.

Commentaires
6 commentaires