Des années après la mort de Marianne et le départ de Monpracem de Sandokan et de ses acolytes, la Compagnie des Indes ne sévit plus sur l’Asie du Sud-Est et l’Inde. C’est l’Empire britannique qui a pris la relève. Sandokan lutte toujours contre l’impérialisme des Anglais qui n’attendent que de le voir au bout d’une corde, mais désormais il agit seul. Yanez, son frère d’arme est devenu l’amant et le conseiller de Surama, la Maharani du royaume d’Assam (dans le nord-est de l’Inde), et il a obtenu l’amnistie de la part des Anglais. Seulement, quand Surama est menacée par son cousin Raska, qui en veut à son trône, Yanez fait appel à Sandokan pour la protéger. Lors d’une réception chez le gouverneur britannique pour la signature d’un traité entre le Royaume-Uni et le royaume d’Assam, les événements tournent mal et de nouvelles aventures commencent pour le Tigre de Malaisie.
Kabir Bedi dans le rôle de Sandokan, c’est au total quatre aventures. Une première série TV en 1976, suivi d’un film pour les salles obscures, Sandokan à la rescousse, un an plus tard, Le retour de Sandokan, série TV sujet de cet article, en 1996, et une dernière série en deux épisodes, Le fils de Sandokan, en 1998. Le film de 1977 n’est jamais sorti dans les salles françaises, ni même à la télévision. Pourtant la première série un an plus tôt avait été un vrai succès dans l’hexagone. Et il semblerait que la dernière série, Le fils de Sandokan, n’ait même pas été diffusée en Italie. À l’heure actuelle, la France doit donc se contenter de la série originale et du Retour de Sandokan en DVD. Sur la version française du Retour de Sandokan, on remarquera que Marianne devient Marianna et que la prononciation de Monpracem a changé.
En 1993 au Festival de Cannes, Sergio Sollima, le réalisateur de la série de 1976, avait présenté un projet pour une nouvelle série autour de Sandokan, avec Kabir Bedi et Philippe Leroy. Mais le projet qui devait être produit par la chaîne italienne RAI a été annulé lors d’un changement de dirigeant. C’est une autre chaîne, Channel 5, qui a repris le dossier, mais avec Enzo G. Castellari à la réalisation et un budget moins important que pour la première série. Cet épisode a laissé pas mal d’amertume chez Sollima dont c’est la seule aventure de Sandokan qu’il n’ait pas réalisé.
Vingt ans après le succès télévisé de la série Sandokan, Kabir Bedi ré-enfile donc les habits du légendaire pirate qui l’a fait connaître. Il a alors 50 ans et il faut user de certains subterfuges pour conserver sa crédibilité. Sa chevelure mi-longue de héros a disparu et l’acteur arbore à présent une perruque. Pour les scènes d’action, c’est le montage qui est au travail, histoire que l’on ne voit que de dos la doublure. Hélas, ce n’est pas toujours discret. Seulement le charme opère. Kabir Bedi tient toujours parfaitement son rôle et nous permet de faire le lien avec la première série. Sandokan c’est lui et personne d’autre.
Les autres protagonistes ont changé. L’antagoniste principal James Brook est mort dans le film Sandokan à la rescousse. Il faut donc trouver d’autres adversaires à la hauteur du héros. Il y en aura deux. Le premier est Guilford, un anglais, que l’on découvre neveu de James Brook, haïssant Sandokan qu’il accuse de l’avoir privé de son héritage. Cependant, et le héros le fait justement remarquer au cours du film, Guilford est bien moins fin politicien que Brook. Un peu trop caricatural en fait. Raska est bien meilleur de ce point de vue-là. Par contre, son projet étant de bouter les Anglais hors de France des Indes, on en vient à se demander pourquoi (mis à part quelques considérations affectives) Sandokan lui est si hostile. Ils ont tout de même un but identique, car sous prétexte d’un accord de paix, Surama ne fait que mettre son État sous la coupe des britanniques.
Côté cœur, la femme du héros, Marianne, étant décédée à la fin de la première série, il fallait trouver une autre héroïne. Cette fois, c’est une noble indo-britannique, Lady Dora. Elle aussi tombe irrémédiablement sous le charme de Sandokan. Seulement, avec l’âge et son passé, celui-ci est moins enclin à la romance. On compense donc avec une nouvelle génération, incarnée par André, le fils de Yanez, chargé d’apporter un peu de sang neuf et de convoler joyeusement.
Le retour de Sandokan, c’est donc une vieille recette et un léger changement d’ambiance en perspective. En effet, Kabir Bedi est le seul rescapé du casting d’origine (réalisateur inclus), l’action ne se déroule plus en Malaisie mais en Inde et du coup, alors que Sandokan était un pirate, on ne voit plus un seul bateau. Cela fait un peu beaucoup. On ne s’attardera pas sur la bande son qui n’est qu’un copier-coller de celle de la série d’origine.
Tout au long des quatre épisodes de la série, il est impossible de s’ennuyer, chaque personnage a quelque chose à apporter. Des plans d’un côté pour tuer le méchant, de l’autre pour dominer l’Inde se succèdent et échouent le plus souvent, sans que le spectateur ne se lasse. Le tout est destiné à un public familial. Mais cela nous amène à un point qui contrarie la crédibilité des combats : Sandokan plonge son sabre dans le ventre d’un soldat ennemi et l’en ressort immaculé ! Pas une goutte de sang sur le sabre en carton. Pas une fois ou deux. Non, systématiquement. Certes, la série doit pouvoir être vue par des enfants et des litres d’hémoglobine ne seraient pas appropriés, mais tout de même. Là, s’en est risible. Et pourtant, je ne suis absolument pas fan de la surenchère de violence et de sang à l’écran (loin de là).
Pour le dépaysement, rien ne manque : les serpents, les sacrifices à la déesse Kali, etc. On s’étonne par contre que lorsque Sandokan affronte la mort, celle-ci soit grimée à l’occidentale : suaire noir et faux de l’Ankou.
Enfin, ce qui a le plus dérangé les spectateurs, c’est le remplacement de Philippe Leroy par Fabio Testi dans le rôle de Yanez. Plusieurs versions ont été données quant à cette décision. Les producteurs auraient trouvé Phillipe Leroy trop vieux pour reprendre son rôle - c’est vrai que Fabio Testi fait même plus jeune que Phillipe Leroy 20 ans plus tôt dans la série originale. Ou l’acteur n’aurait pas accepté d’avoir un rôle diminué – le personnage de Yanez étant blessé et un peu inutile pendant une grosse moitié de l’histoire. En fait, ce n’est pas que l’on n’aime pas Fabio Testi, mais le public était habitué à Philippe Leroy, à son humour, à ses manières. Ce Yanez-ci est fort différent. Et pour conserver la touche d’humour qu’il incarnait précédemment, les scénaristes ont affublé Lady Dora, journaliste en herbe, d’un photographe gaffeur, Alfred.
Pour le reste du casting, il y a des choix qui peuvent surprendre. Ainsi, Romina Power, chanteuse italienne (elle chantait Felicita avec son mari Albano), devient maharani indienne ; Mathieu Carrière, rajah, et Franco Nero campe un hypnotique yogi blanc aux yeux bleus. Un casting plus indien pour ces personnages aurait eu plus de crédibilité. Par contre, pour l’héroïne indo-britannique, ils ont pris Mandala Tayde, actrice germano-indienne, afin de mieux coller au scénario.
Au final, que dire de l’ensemble ? De l’action, un peu d’émotion, des décors exotiques, un semblant de réalisme historique. Le retour de Sandokan reprend plutôt bien la route tracée par la première série. Mais il lui manque un tout petit quelque chose pour les nostalgiques de la première heure, et même les autres. C’est un divertissement honnête, Kabir Bedi est là (sans lui, pas de Sandokan), mais…