Masaan
Traduction : Le Bûcher
Langue | Hindi |
Genres | Drame, Films sociaux |
Dir. Photo | Avinash Arun |
Acteurs | Richa Chadda, Sanjay Mishra, Vicky Kaushal, Shweta Tripathi, Pankaj Tripathi, Vineet Kumar |
Dir. Musical | Indian Ocean |
Paroliers | Varun Grover, Sanjeev Sharma |
Chanteurs | Swanand Kirkire, Rahul Ram, Amit Kilam, Himanshu Joshi |
Producteurs | Anurag Kashyap, Guneet Monga, Vikas Bahl, Vikramaditya Motwane, Manish Mundra, Mélita Toscan du Plantier, Marie-Jeanne Pascal , Shaan Vyas |
Durée | 109 mn |
Sélectionné dans la catégorie Un certain regard au festival de Cannes 2015, ce film y a remporté deux prix et a fait l’objet de nombreux éloges et d’une programmation dans les salles françaises, fait suffisamment rare pour être souligné. Film d’auteur par excellence, loin des codes du film Bollywood, l’œuvre du réalisateur Neeraj Ghaiwan interpelle et ne laisse pas indifférent.
Masaan est avant tout une histoire humaine, qui s’inscrit dans un cadre très réaliste, laissant entrevoir en second lieu une société partagée entre traditions et ouverture sur des mœurs moins rigides. Un dilemme auquel est confrontée la jeunesse qui doit choisir entre l’acceptation du poids des conventions et du regard de la société, ou l’émancipation et la rupture avec les codes sociaux préétablis. Un choix qui demande du courage et dont traite le film assez subtilement en s’attardant avant tout sur l’histoire elle-même, car non, le film n’a pas pour unique vocation à dénoncer, comme tient à le souligner le réalisateur par ces mots :
« Je n’aimerais pas faire des films avec un message ; j’aime les histoires personnelles où les spectateurs peuvent tirer leurs propres conclusions. Pour moi, l’humain derrière chaque histoire est primordial et le contexte politique et l’arrière-plan social poussent l’histoire au-delà. »
Le film s’attache donc à retracer des destinées qui s’entrecroisent au cœur de Bénarès, un procédé scénaristique qui n’est pas sans rappeler les films d’Alejandro Iñárritu.
Devi Pathak (Richa Chadda), étudiante en informatique, se retrouve en plein cœur d’un scandale et d’une affaire policière, après avoir rejoint dans un hôtel son amant, qui se suicide par honte lorsque la police les surprend. L’honneur de sa famille étant entaché, son père Vidyadhar, désemparé, tente de rassembler de l’argent quitte à utiliser un jeune orphelin et à mettre de côté sa morale, pour faire taire le scandale. Le jeune Deepak, d’une famille de basse caste, vouée à exercer l’incinération des morts, s’imagine un autre destin. Ses études d’ingénieur lui permettraient de sortir de sa condition et d’espérer épouser la jeune fille de haute caste dont il est amoureux.
Chaque personnage est approfondi comme il se doit, et interprété avec une grande justesse, dans une atmosphère douce-amère qui laisse entrevoir leur sentiment, faisant d’eux des personnages extrêmement réalistes et humains. On voit le père de Devi, Vidyadhar, désemparé, humilié face à la corruption policière totalement normalisée mais aussi soucieux de l’éducation qu’il a donné à sa fille, lui accordant une certaine liberté, mais non reconnue par une société liberticide – encore plus envers les femmes. Le film souligne ainsi, comme de nombreux films indiens récents, la triste condition des femmes soumises à des traditions bien ancrées.
La relation avec Jhonta, cet orphelin qui plonge pêcher des pièces sur les rives du Gange pour alimenter les paris de quelques hommes désargentés, est très intéressante également ; on peut y voir une critique de la façon dont les adultes se servent des enfants, certains avec beaucoup moins de morale et de scrupule que Vidydhar. Quant au personnage de Devi, incarnée par Richa Chadha, c’est une femme forte, de caractère, qui semble étouffer sous le poids des traditions, alors qu’elle est une brillante étudiante qui aspire à la liberté.
Entre culpabilité de faire subir à son père une telle situation, et d’être la source indirecte du suicide de son amant, elle poursuit son chemin avec détermination et sans honte, contrairement à son amant qui préfère l’issue de la mort plutôt que le déshonneur. Cet acte illustre le poids du regard d’une société sévère et aux codes stricts.
Quant à la relation de Deepak avec Shallu, elle apporte un brin de fraîcheur et une douceur nécessaire au film ; la candeur et le romantisme presque innocent des deux amoureux contrastent avec la relation, encore moins tolérée par la société, de Devi et de son amant.
Seul obstacle entre Deepak et sa bien-aimée : leur caste. Bien plus impitoyable que le rang social, la caste annihile tout espoir d’évolution. En effet, de génération en génération, de par leur caste, la famille de Deepak est chargée de s’occuper des bûchers funéraires. La seule échappatoire du jeune homme reste ses études d’ingénieur, lui permettant d’entrevoir un avenir meilleur. Son amour pousse Deepak à se surpasser dans ses études afin de gagner en respectabilité et tenter de se faire accepter. A la fois fierté et espoir de sa famille, il attise la jalousie de son frère. Le film montre également la dureté de la vie de ces hommes quotidiennement confrontés au bûcher crématoire, qui brûle les aspirations et espoirs de façon assez tragique.
Les histoires semblent être l’objet de la fatalité et explorent avec finesse la psychologie de chaque personnage ; pour se conclure par la mobilité. Devi et Deepak prennent tous deux la route, loin de leurs repères, comme pour fuir cette étroitesse du monde qui se referme autour d’eux. « Petite ville, petite vision du monde » réplique Devi à son père qui lui reproche d’avoir voulu déployer des ailes qu’il lui avait pourtant données. La seule solution est encore de s’en aller ; ce départ semble être la traduction de leur libération d’un joug social qui pèse sur ces deux jeunes.
Pour ce qui est de l’esthétisme du film, le réalisateur filme des scènes qui se veulent réalistes avec une grande simplicité, sans artifice. Les prises de vue du Gange et les dernières scènes du film sont très belles. Quant à la musique elle se fait discrète, poétique et accompagne l’histoire lui apportant peut-être parfois un côté tragique. Neeraj Ghaiwan réussit avec brio ce premier long-métrage !
Un film qui mérite d’être vu tant pour son enchevêtrement d’histoires que pour l’atmosphère qu’il dégage et qui nous plonge dans les destins de ces personnages mais aussi dans l’enfermement d’une société ambivalente qui peine à choisir entre émancipation/libération et confinement/traditions.
Voici un avant-goût de ce film que je recommande fortement !