« Master class » de Yash Chopra
Publié lundi 1er mai 2006
Dernière modification mercredi 3 mai 2006
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Après l’hystérie du mercredi, nous nous sommes tous plus ou moins réveillés avec les paupières lourdes, mais des étoiles dans les yeux. Si Rani Mukherjee, Preity Zinta et, bien sûr, Shah Rukh Khan s’étaient déjà envolés pour l’Inde dès le lendemain matin, Yash Chopra le réalisateur est resté pour nous honorer d’une leçon de cinéma. Nasreen Munni Kabir, journaliste anglaise spécialiste du cinéma indien, était là pour lui poser des questions sur sa carrière, ses films, sa conception du cinéma. L’élocution particulière de Yash Chopra a donné du fil à retordre aux traducteurs.
1. Vous avez eu une longue carrière qui s’est étalée sur plus de 30 ans. Avez-vous voulu accompagner l’évolution du cinéma indien ou en être le moteur ?
Quand j’étais étudiant, je rêvais devant les stars de cinéma, mon souhait était de faire partie de ce monde et faire des films. À la fin de mes études, j’ai voulu rejoindre mon frère (ndlr : le réalisateur B. R. Chopra) comme assistant, mais ce dernier m’a réorienté vers une carrière d’ingénieur… Finalement, devant mon obstination, il m’a accordé un an d’essai à ma demande pour me mettre à l’épreuve… (Yash Chopra s’adresse alors au public) Je vous laisse seul juge… (de mon succès).
2. Hier, nous avons été témoins d’une réaction extraordinaire de la part du public français pour Veer-Zaara et, plus largement, pour le cinéma indien. Qu’en pensez-vous ?
Quand j’ai quitté Bombay pour la première de Veer-Zaara à Paris, un an et demi après sa sortie en Inde, j’appréhendais beaucoup ce moment, surtout dans un pays où le public ne parle pas notre langue et ne connaît pas nos films, j’étais très anxieux et nerveux.
Je me rappelle de l’accueil chaleureux du public lors de notre arrivée au « Virgin Store », tout cet amour et cette affection qu’ils nous ont témoignés… Les mots me manquent pour décrire cela, c’était incroyable. Les gens hurlaient nos noms, la rue des Champs-Elysées était bloquée, et la police a mis une heure à rétablir la circulation. Je vous remercie beaucoup pour cela.
3. On peut voir des personnes de diverses origines dans cette salle, un véritable brassage culturel. Qu’est-ce qui fait la force de votre cinéma pour fédérer un aussi large public ?
Comme le disait le plus grand « showman » du cinéma indien, Raj Kapoor, « les bons films se passent de paroles. » Les gens peuvent apprécier un film en ne visionnant que quelques images dénuées de tout dialogue. Il n’y a pas de frontières pour les émotions qui sont les mêmes partout dans le monde. Les différences de religions, races ou castes n’existent pas pour l’amour. Les sentiments transposés à l’écran sont communiqués au public qui apprécie les romances et les chansons malgré la barrière de la langue.
4. Beaucoup de gens aiment le cinéma indien, mais d’autres sont plus critiques. Selon vous, quels sont les points les moins attrayants dans votre cinéma ? (par rapport à l’audience internationale)
Les gens aiment voir les émotions à l’écran, et le secret du succès est de leur permettre de s’identifier aux protagonistes du film. Comme on est indien, on fait des films musicaux et romantiques pour répondre aux attentes du public. Contrairement au public occidental, le public indien ne veut pas qu’on lui donne de leçon, il veut juste rêver devant des histoires d’amour.
5. Veer-Zaara plaît beaucoup au public occidental, mais est-ce qu’une connaissance poussée de la culture indienne est nécessaire pour comprendre le film ?
Les gens de notre culture vont apprécier nos films, c’est vrai, mais lorsque le public devient international, il n’est pas toujours possible de comprendre les références culturelles indiennes. C’est de la responsabilité du réalisateur de faire des films enracinés dans la culture de chaque pays.
6. De plus en plus de films sont produits sans chansons ni danses, c’est une tendance qui se répand. Est-ce une volonté de se rapprocher des standards internationaux ?
Depuis toujours, le cinéma indien comporte des scènes chantées, car la musique nous accompagne dans tous les moments de notre vie, du début à la fin. Chaque étape de la vie est ponctuée par la musique. Avec l’émergence de jeunes réalisateurs qui ont une culture cinématographique mondiale, on assiste actuellement à l’arrivée de nombreux films sans chansons en salle, Black en fait partie. Néanmoins, 95 % des productions comportent toujours des chansons et de la romance, car les gens en sont friands.
7. Vous êtes considéré comme le spécialiste des films romantiques. L’assumez-vous ou trouvez-vous cela réducteur ?
Cela fait 47 ans que je suis réalisateur, je n’aime faire que des films romantiques sur les relations humaines. J’ai effectivement réalisé Deewar, Trishul et Kaala paathar, trois films d’action sur fond social. Je me rappelle, à l’époque, je sortais de mon domicile pour me rendre à Bombay et, tout le long du trajet sur le bord de la route, je ne voyais que des affiches de films d’action, avec le héros brandissant fièrement son arme (ndlr : c’était la grande période des films d’action masala, Sholay, etc.) Le temps d’atteindre la ville, ma décision était prise, je ne ferai plus de films d’action et me consacrerai exclusivement aux films romantiques. Cela s’est concrétisé avec la sortie de Chandni qui a donné un nouveau souffle au genre… Et je ferai des films romantiques jusqu’à mon dernier souffle.
8. Ce soir, le public va voir Kabhi Kabhie et hier, il s’agissait de Veer-Zaara. Quelle a été votre évolution entre ces deux films et qu’avez-vous appris ?
Kabhi Kabhie est sorti il y a 35 ans et il était le reflet de la société de cette époque. Un homme y tombe amoureux d’une fille, mais ses parents refusent leur union. Il accepte cette décision et continue sa vie malgré tout. Alors que 31 ans plus tard, dans Veer-Zaara, lorsque le héros indien apprend que l’héroïne est pakistanaise, il n’hésite pas à briser les frontières pour aller la chercher au péril de sa vie. On est passé d’un conflit familial à un conflit politique.
9. Votre carrière a été marquée par d’énormes succès, mais aussi par des échecs. Comment expliquez-vous cela ?
Mes succès ont été les plus grands sommets de ma carrière. Mais, comme on le dit souvent, c’est avec des échecs qu’on construit une vie. Les succès vous rendent heureux, mais les échecs vous rendent plus fort. Peu importe les bons ou les mauvais films qu’on ait faits par le passé, on est toujours jugé sur le dernier.
10. La musique tient une place importante dans vos films. Est-ce qu’il y a des choses que les paroles des chansons peuvent transmettre mieux que les dialogues ?
Les émotions de certaines situations sont mieux retranscrites par les chansons que par la prose. C’est pourquoi, dans un film, la poésie est indispensable dans un certain nombre de scènes.
11. Dans Veer-Zaara, vous avez utilisé la musique de feu Madan Mohan. Pourquoi ?
La musique de Veer-Zaara a été composée il y a 35 ans, alors que celle de Kabhi kabhie date d’il y a 32 ans, c’est une première. Les chansons de Kabhi kabhie évoquent la romance, et « Tere liye » vous tire les larmes. La musique de Kabhi kabhie alliée aux paroles est magnifique, il en va de même pour Veer-Zaara. Le pouvoir est immense lorsqu’il accompagne la musique.
12. En dehors des films, vous avez une autre fierté, ce sont vos fils…
La plus grande fierté d’un homme, ce sont ses enfants. Il y a 34 ans est né mon fils Aditya, dont la carrière débuta en 1994 par DDLJ. Il a écrit quatre scénarios pour moi : DDLJ, DTPH, Mohabbatein et Veer-Zaara. J’ai toujours fermement cru que le facteur le plus important dans le succès d’un film, c’est son histoire. Tout le mérite en revient à Aditya pour Veer-Zaara. Mon autre fils, Uday, a choisi une carrière d’acteur, il a commencé dans Mohabbatein et, dernièrement, il a été apprécié dans Dhoom. Je leur souhaite à tous les deux le meilleur. Yash Raj était une petite société de production, je suis sûr qu’elle est désormais entre bonnes mains.
13. Comment s’est passée l’écriture du scénario de Veer-Zaara ?
J’étais en train de travailler sur un projet, lorsque Aditya m’a présenté les quatre premières scènes de Veer-Zaara. Le scénario est original, car il navigue entre deux histoires distantes de 22 ans. Il est intéressant de voir que les relations entre l’Inde et le Pakistan n’ont pas évolué depuis.