Mumbai Meri Jaan
Traduction : Bombay mon amour
Langue | Hindi |
Genre | Drame |
Dir. Photo | Sanjay Jadhav |
Acteurs | Madhavan, Paresh Rawal, Kay Kay Menon, Soha Ali Khan, Irrfan Khan |
Dir. Musical | Sameer Phaterpekar |
Parolier | Yogesh Vinayak Joshi |
Chanteur | Shankar Mahadevan |
Producteur | Ronnie Screwvala |
Durée | 139 mn |
Mumbai. 11 juillet 2006. Les vies de cinq personnes vont être profondément bouleversées par l’attaque simultanée à la bombe dans six gares de la mégalopole visant les civils. Purali, journaliste TV, se retrouve sur place sans savoir qu’un de ses proches fait partie des victimes, Nikhil va être un témoin direct de la tragédie, Suresh s’interroge sur les potentiels responsables des actes en développant une personnalité suspicieuse envers les musulmans, Thomas cherche à s’intégrer dans la société et va tout faire pour se faire remarquer de ses pairs et exister pour lui-même et aux yeux des autres. Tandis qu’un policier s’apprête à prendre sa retraite alors même qu’il forme un nouveau venu qui n’est pas prêt à affronter le pire. Ses personnages qui ne se connaissent pas vont pourtant finir par se croiser…
Le fil des événements et le quotidien bousculé font que l’on peut aujourd’hui regarder Mumbai Meri Jaan en DVD alors que la ville de Mumbai est à nouveau endeuillée suite à la tragédie du 27 novembre 2008. La charge émotionnelle est là, impossible de le regarder sans ces dernières images en tête, et quand bien même nous en ferions abstraction, Mumbai Meri Jaan n’en perdrait pour autant aucunement de sa force. Il relate des faits de deux ans encore ancrés dans la mémoire collective, tout comme on le verra, Mumbai Meri Jaan convoque aussi ceux du 11 septembre 2001. La mégalopole Mumbai est au cœur du film, et ce dès le très beau générique d’ouverture suivi des images d’archives d’actualité. Le clin d’œil à la France et à son équipe de foot n’est pas qu’anecdotique : au regard de la thématique sur la religion et les à priori qui en découlent, notamment par rapport au personnage de Suresh, cette petite scène contient déjà en substance la force évidente du film : celle d’interroger plutôt que de juger, d’essayer de comprendre plutôt que de condamner. Sans angélisme, mais avec acuité. Le temps d’un prologue de vingt minutes qui décrit avec une maestria confondante les premiers états d’âme des personnages principaux, Mumbai Meri Jaan narre également, à l’instar d’Aamir, ce quotidien habituellement peu vu dans le ciné hindi récent : achats des journaux et des fruits au marché local, trains surbondés, melting-pot culturel et religieux, place de l’individu dans la société, etc. Les personnages sont très travaillés sans que l’un soit abandonné en cours de route au profit des autres. La balance est constante.
Les interprètes excellent chacun à leur tour alors même que les scènes les divisent, chaque histoire étant filmée indépendamment l’une de l’autre mais formant un tout d’une cohérence narrative et visuelle stupéfiante. Suresh, Thomas, Rupali, Nikhil ou encore Sunil passent tour à tour de la certitude d’être encore de ce monde, donc vivants, aux errances, à la solitude et à la remise en question perpétuelle après le drame. La scène des attentats en début de film n’impose rien d’autre au spectateur que de prendre du recul après le choc des images et l’émotion qu’elles suscitent. Par quelques plans brefs, le réalisateur montre l’inéluctable, la conséquence de l’acte terroriste tout en se pliant à la réalité : impossible de revenir en arrière. Il nous invite dans le même temps à prendre du recul tout en ne jugeant pas l’émotion que l’on peut ressentir. Pas de misérabilisme ou de sensiblerie mal placée. L’horreur saisie n’a pas besoin d’être surlignée. Ce sont les réactions des personnages et leur évolution après ce drame qui l’intéresse. Le monde de Rupali, reporter télé qui fait-elle même parfois dans le sensationnel, tombe dans l’incertitude, sans toutefois tenir un propos revanchard quant à ses prises de positions passées (interroger des familles endeuillées, rechercher le ton le plus grand public possible, etc). Nikhil, que l’on voit hébété après que le wagon dans lequel il fut a été décomposé en carcasse fumante, est perçu comme un survivant craignant chaque jour de revivre le même cauchemar tout en se projetant dans des perspectives professionnelles réalisables. Suresh est tiraillé par ses à priori concernant les musulmans qu’il assimile à des terroristes. La scène-clé de nuit durant laquelle il interpelle un passant qu’il prend à parti est très juste : le flic s’interpose et lui explique que seule la justice, celle régit par la loi, prévaut. Aucune loi du talion ne saurait répondre légitimement et légalement au drame vécu.
Subtil dans le fond, écrit avec une grande intelligence et un à-propos remarquables, Mumbai Meri Jaan interroge les fantômes du passé, la séparation après l’Indépendance de 1947, les conflits ethniques et religieux, tout en s’appuyant sur la richesse d’une ville dans laquelle les communautés vivent ensemble malgré les différends. Le personnage mystérieux de Thomas, vendeur de café à la sauvette qui tente de s’intégrer à une grande partie de la population, laquelle a fini par l’ignorer ou le rejeter parce qu’intouchable (la scène du parfum dans le mall) est vu avec pertinence. Il en vient à créer une peur panique en inventant de toutes pièces des attaques à la bombe qui n’existent pas, seul moyen pour lui d’exister déjà aux yeux des siens mais aussi et surtout aux yeux des autres. Nikhil quant à lui revit l’épisode du train indéfiniment, jusqu’à ne plus vouloir le prendre et préférer le taxi. Durant la scène de paranoïa de rue avec le "dépeçage" du scooter abandonné, c’est là que l’on voit que le danger peut naître de la peur de soi-même et, par là même, appréhender ce qui semble banal comme un potentiel facteur de destruction et donc de mort. Tout cela se conclut par une blague (tout ça pour ça) mais Nikhil n’en est pas pour autant rassuré. Le personnage de Purali, lui, évolue dans le souvenir du défunt, et lors du passage télé de son portrait, le cynisme du présentateur télé ne fait que renforcer l’impression de spectacle à tout crin, spectacle qu’elle montait elle-même d’une certaine façon lors du reportage d’ouverture. Mumbai Meri Jaan, par petites touches d’émotion, déploie une belle énergie de groupe dans un film choral qui évite les poncifs larmoyants pour se concentrer sur la psychologie parfois chancelante des (anti-)héros. Il brosse un portrait intergénérationnel très touchant, tout en décrivant une ville parfois au bord de la rupture qui se relève cependant toujours des drames qui l’endeuillent.
La force de la mise en scène, l’ambition du sujet (qui convoque soixante ans d’histoire culturelle, sociale, économique et religieuse) qui se projette régulièrement dans l’avenir forcent le respect. De même que ce choix de ne donner aucun nom, de ne pas verser dans la dénonciation gratuite des coupables. Un film qui se montre profondément humain (la rose de Thomas pour le père qui est assis dans le taxi, le regard plein d’amour du frère de Purali, celui de la docteur de Nikhil qui lui dit qu’avoir peur est aussi une réaction saine, bien que l’on doive aussi positiver) et des tas d’autres exemples montrant une maîtrise de la narration mais aussi de la réalisation qui ne font que grandir ce film. A l’inverse d’ Aamir - qui se concluait là où Mumbai Meri Jaan débute -, qui était un exercice de style abstrait, minimaliste dans le fond, raisonnant en termes de final sans que cela n’enlève rien à ses qualités intrinsèques, Mumbai Meri Jaan approfondit ses thématiques (dont celle centrale de la compréhension et de l’amour de l’autre), prend le temps de faire vivre ses personnages et s’accroche à une idée de cinéma aussi belle que courageuse : se porter à hauteur d’homme tout en possédant cette foi inébranlable en leur capacité à aimer, se soutenir et aussi se recueillir lors d’un final d’une simplicité désarmante.