Ravi (Anil Kapoor), monteur pour la télévision, mène une petite vie bien rangée. Pourtant sa femme Sheela (Sushitra Krishnamurty), véritable harpie d’une jalousie maladive, le soupçonne d’avoir une relation avec sa charmante stagiaire, Reena (Nandana Sen). Elle le harcèle au quotidien. Poussé à bout, un jour il craque et la gifle, elle tombe, sa nuque se brise sur le montant du lit, et elle meurt sur le coup. La vie de Ravi bascule.
Ce drame lui fait perdre ses quelques repères. Il essaye de donner le change en continuant une vie normale. Mais entre ses enfants qu’il ne veut pas choquer, le regard des autres habitants de l’immeuble et cet inspecteur de police (Boman Irani) qui le colle constamment, le poids de la culpabilité l’écrase de plus en plus lourdement.
My Wife’s Murder a une histoire originale puisque cette production Ram Gopal Varma est le remake d’un de ses propres films, réalisé à l’époque où il œuvrait encore dans le cinéma en langue telugu. Ce projet qui lui tenait à cœur fut un échec cuisant au box-office. Après avoir fait son autocritique et s’être imposé dans le cinéma hindi, il a décidé d’en produire le remake, confiant la réalisation à un de ses protégés, JJ Phillips. Cette démarche n’est pas nouvelle chez Ram Gopal Varma, puisque Bhoot était le remake d’une de ses réalisations en telugu, Raat, qui s’était soldée par un échec.
Anil Kapoor reprend le rôle tenu à l’origine par JD Chakravarty (plus connu pour son rôle titre dans le remarquable Satya). Son interprétation de cet homme modeste, lâche et tourmenté tranche radicalement avec les rôles auxquels il nous a habitués dans ses films plus populaires. Il donne une vraie profondeur à son pathétique personnage, à tel point qu’on en oublie la Star pour ne voir que l’homme du peuple des plus communs, issu de cette classe moyenne qui a fait son apparition avec le boom de l’économie indienne. Il domine logiquement le film et vient nous rappeler que, malgré son âge qui l’empêche de jouer les jeunes premiers, il reste un des meilleurs acteurs hindis actuels, et un des rares à justement avoir le courage d’interpréter des personnages de son âge - ici un père de famille quarantenaire… On est loin de Shah Rukh Khan, 40 ans, qui joue le jeune homme dans Veer-Zaara !
Anil Kapoor est brillamment épaulé par des seconds rôles féminins finement écrits - ce qui est assez rare pour être souligné. Sushitra Krishnamurty dans le rôle de sa femme est exceptionnelle, elle joue la harpie avec une conviction rare, son rôle -court mais intense- marque véritablement le film. Nandana Sen, qui interprète la charmante stagiaire de Ravi (Anil), est également remarquable dans un rôle qu’on croit longtemps secondaire, mais qui se révèle déterminant. Boman Irani interprète un truculent inspecteur de police amateur de bonne cuisine. Il est comme toujours excellent, entre humour et regards inquiétants, il fait merveille.
La grande originalité du film est de se situer dans un milieu modeste : on est loin des riches demeures façon Mohabbatein. Il nous montre de manière réaliste la vie de gens ordinaires dans ce qu’elle a de plus commun - disputes conjugales, travail, loyer à payer… Le drame survenant dans cet environnement bien réglé prend un tour presque expérimental, on assiste à ses conséquences sur un anti-héros absolu, dont la vie tranquille bascule en quelques secondes. Cet homme ordinaire confronté à un évènement extraordinaire, complètement dépassé, a des réactions proches de celles que nous aurions sûrement : il angoisse, ses nerfs craquent, il cherche à fuir tout en essayant de sauver les apparences… un parti pris résolument novateur pour le cinéma populaire hindi, qui puise beaucoup dans les films sociaux produits au sud de l’Inde.
L’esthétique d’ensemble s’accorde avec le thème du film et crée un univers qui en accentue efficacement le côté stressant. Le décor est le reflet manifeste de l’angoisse du personnage désorienté. Le visuel très stylisé est dans la lignée des films d’horreur asiatiques, notamment Shutter pour l’utilisation des clairs-obscurs. Le travail de la caméra tout comme l’excellente photographie contribuent au climat en exploitant à merveille l’architecture de cet immeuble modeste, fait de longs couloirs inquiétants, de cages d’escaliers inégalement éclairées et de bureaux enfumés.
Tout comme Bhoot dans un autre genre, My Wife’s Murder est donc un auto-remake réussi. Exercice intéressant tant dans son thème que dans sa mise en scène, il apporte un certain nombre d’innovations de fond. Il est à mettre aux côtés des Company, Satya, ou encore Ab Tak 56, autres réussites sorties des usines d’un des producteurs - réalisateurs indiens les plus novateurs.
C’est aussi l’un des meilleurs films d’Anil Kapoor qui a connu en 2005 une année faste, avec un énorme succès au box-office (No Entry) et un succès critique et artistique avec celui-ci, même si le public l’a boudé.
Sans chansons et d’une durée de 90 minutes, il fait partie de ces nouveaux films indiens créés aux formats internationaux pour le public des multiplexes des grandes villes. Il peut paraître très occidentalisé et ne plaira sûrement pas à ceux qui recherchent l’exotisme ; même si une dimension sociale spécifique y est présente, il convient de le regarder plutôt en tant que film au sens large, et pas spécifiquement indien.