Nanban - le sous-titrage
Publié vendredi 13 janvier 2012
Dernière modification lundi 10 février 2014
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Cette idée d’article, a été initiée par Agilane Pajaniraja, fondateur d’Aanna Films, pour lever le voile sur les difficultés qui impactent le processus de sous-titrage d’un film indien.
Notre partenaire est confronté depuis quelques projections, aux délais de mise en place des sous-titres en français. Malgré les efforts répétés pour améliorer la situation, le même scénario se reproduit à chaque sortie et contraint notre distributeur à projeter les films en en V.O.S.T.A. (Version Originale Sous-Titrée en Anglais) pour les premières séances.
Malgré les communications de dernière minute, pour avertir nos internautes, l’information a toujours du mal à passer et l’incompréhension semble s’installer dans l’esprit des fans.
Pourtant, avant chaque sortie de film, une véritable course contre la montre est engagée, pour vous offrir des sous-titres en français de qualité. Cette guerre de l’ombre, qui est menée pour faire bouger les choses, ne porte pas toujours ses fruits, mais nous rapproche petit à petit, d’un résultat acceptable.
Pour ne pas rester devant ce constat d’impuissance et vous éclairer sur la situation, notre partenaire nous a mis en relation avec un de ces acteurs qui œuvrent en coulisse, Caroline Lamouroux.
Mme Lamouroux s’est chaleureusement prêtée au jeu de l’interview pour nous parler de son métier de simulatrice et partager son expérience sur le sous-titrage de Nanban - mon pote.
Bonjour Caroline, nous savons par le biais de notre partenaire, Aanna films, que vous êtes traductrice et avez participé à la mise place des sous-titres français pour Nanban - mon pote.
Pouvez-vous nous en dire plus sur vous ?
Je travaille dans le sous-titrage depuis 26 ans. Je suis venue à ce métier un peu par hasard, pour satisfaire les besoins de traduction de films projetés lors de festivals internationaux. A l’époque, les copies projetées, provenant de tous les pays du monde, étaient déjà sous-titrées dans une langue (en anglais, la plupart du temps) et il était difficile pour un public français de voir ces films, dans de bonnes conditions, puisque les traductions étaient faites oralement, via des écouteurs placés en salle.
La société de sous-titrage, DUNE MK, a alors mis au point, un principe de sous-titrage électronique qui permettait de projeter simultanément, des sous-titres français sur un écran indépendant, placé à ras de l’écran de projection. Ce qui permettait en plus, d’avoir accès à un double sous-titrage sans toucher à la copie.
J’ai participé à l’aventure, et depuis, je travaille toujours pour DUNE MK sur les plus grands festivals, et également pour des laboratoires plus traditionnels, cinéma et télévision.
La traduction est votre cœur de métier, ou vous exercez dans un autre domaine ?
La traduction est un des aspects de mon métier, mais mon vrai métier est celui de « simulatrice ». Je visionne les sous-titres sur la copie en simulation de projection, afin de corriger les erreurs telles que : orthographe, syntaxe, contresens, time-codes erronés, etc.
Êtes-vous une passionnée de cinéma ?
Je pourrais vous dire oui, pour vous faire plaisir et être en accord avec le métier que j’ai choisi, mais non ! Je ne suis plus une passionnée du cinéma en général, dans le sens où on pourrait l’entendre. Je ne vais pas souvent au cinéma, je ne me tiens pas assez au courant de l’actualité…
Peut-être que le fait de visionner 2 à 5 films par jour, ne me donne pas l’envie d’aller m’enfermer dans une salle obscure, une fois ma journée terminée ?
Mais, et là, ce n’est pas pour vous faire plaisir, je passe pour une passionnée de films en langue hindi, auprès de mes amis et confrères…
Et pour une projection en salle, d’un film indien, je suis capable de faire des kilomètres !!!
Vous collaborez souvent dans le domaine du cinéma, ou vous arrive t-il de travailler pour d’autres formes de traduction (documents officiels, littérature, etc…) ?
Non. Je travaille exclusivement dans le domaine du cinéma et de la télévision.
Quelle est votre première expérience de traduction de sous-titres pour le cinéma ?
Oh là ! Ça remonte à 26 ans… Je ne saurais pas vous donner de titre ou de détails. Je sais simplement qu’à l’époque, c’était autrement plus compliqué. On devait tout faire manuellement. Les logiciels de sous-titrage commerciaux n’existaient pas. Et lorsque nous avons commencé à faire du sous-titrage électronique, nous avons dû créer notre propre logiciel. Ça a été une sacrée aventure ! On travaillait à partir de la bande son sur des magnétophones à bande… Et les ordinateurs en étaient encore aux disquettes floppy !!!
Quand on parle de réalisateur, producteur, compositeur, doubleur ou encore distributeur comme Aanna Films, nos internautes connaissent et sont familiarisés avec ces termes. Mais ils en savent très peu sur votre métier, qui est primordial et leur rend de nombreux films accessibles, en éliminant la barrière de la langue.
En quoi consiste la traduction de sous-titres pour un film ?
Pour sous-titrer un film dans de bonnes conditions, il faut impérativement avoir accès à une copie numérique du film.
Nous travaillons avec des logiciels de sous-titrage très pointus. Pour travailler, la copie doit être encodée avec ce qu’on appelle, un time-code qui lit la copie image par image. A partir de là, on va créer des sous-titres, en leur attribuant un time-code d’entrée et de sortie correspondant à l’image du film où le sous-titre doit apparaître et disparaître. C’est la phase de détection ou de repérage, qui tient compte d’impératifs très précis.
Une fois ce fichier créé, on a alors pour chaque sous-titre, un nombre de caractères autorisés pour la traduction, de façon à ce que le spectateur puisse à la fois lire les sous-titres et regarder l’image. Le travail de l’adaptateur consiste à rendre en un minimum de caractères, ce qui est dit, tout en conservant le sens, le niveau de langage… C’est la phase d’adaptation.
En sous-titrage, on ne parle pas de traduction, puisque vous l’aurez compris, la traduction littérale est bannie ! Ensuite, vient la phase de simulation. Une troisième personne visionne le film et les sous-titres dans l’image, et apporte des corrections sur les time-codes et sur l’adaptation.
Faut-il être versé dans la langue de l’œuvre, pour pouvoir en traduire les dialogues, ou vous reposez-vous forcément sur une première version des traductions en anglais ?
Pour avoir une bonne traduction-adaptation, il faut impérativement partir de la langue originale. Pour ce faire, on demande toujours que l’adaptateur qui traduit vers le français, par exemple, soit de langue maternelle française et parle couramment la langue à traduire.
Lors de la phase de simulation, le simulateur doit être français, mais n’a pas obligatoirement besoin de connaître la langue de départ. Le traducteur est censé la maîtriser et il assiste à la simulation pour répondre aux questions éventuelles du simulateur en cas de non sens, mauvaise formulation, contresens, etc.
Après, il y a des cas de force majeure… On peut être amené à travailler à partir d’une liste de sous-titres anglais, par exemple. Mais le résultat est toujours très moyen, peu précis, et laisse parfois la porte ouverte aux contresens…
Comment avez-vous connu Aanna films et en êtes-vous arrivé à travailler dans la traduction de Nanban - mon pote ?
J’ai connu Agilane par l’intermédiaire d’une personne que j’avais rencontrée lors du festival Indian Passion à Bobigny, en 2008, pour lequel j’avais simulé les sous-titres de Paheli.
Il était à la recherche de solutions de sous-titrage, et m’a contacté.
Parlez-nous de votre expérience de travail sur Nanban – mon pote.
Comment s’est passé votre premier contact avec l’équipe du film. Avez-vous été bien accueillie ? Quelle a été votre première impression ? Étiez-vous surprise, séduite, déroutée ou déçue ?
J’ai été très bien accueillie par la traductrice du tamoul vers l’anglais de Nanban, Rekhs, et par l’assistant monteur, Selva, qui ne m’ont pas lâché, et fait tout ce qui était en leur pouvoir pour résoudre les problèmes qui se posaient.
Malheureusement, les productions indiennes ont tellement peur du piratage, qu’elles ne mettent pas à disposition la vidéo du film. Et dans ces conditions, il est extrêmement difficile de travailler à partir d’une simple liste de sous-titres anglais, source de confusion, comme je vous l’ai expliqué plus haut.
On m’a donné accès à une vidéo sans son, après une journée de discussion… Mais les problèmes techniques se sont accumulés, le temps m’était compté, et j’ai dû travailler dans l’urgence pour essayer de rattraper la traduction française qui m’avait été fournie. Ici, un bel exemple du travail fait à partir de sous-titres anglais, et non du texte original, par une personne parlant certes français, mais pas de langue maternelle. Les mots des sous-titres étaient bel et bien français, mais pas toujours dans le bon ordre, ni utilisés à bon escient…
Le sous-titrage, n’est ni un procédé répandu, ni bien accepté en Inde. Il faut dire que la qualité des rares sous-titres projetés y est pour beaucoup. Rekhs, la traductrice tamoule, se bat comme une lionne pour faire changer les choses, et vu l’énergie qu’elle dépense, j’ai bon espoir qu’elle y parvienne.
Je dirais que c’était une expérience intéressante. Mais connaissant les conditions de travail sur place, je n’ai été ni surprise, ni déçue, ni déroutée… ni séduite !
Nous savons brièvement qu’avec les copies numériques, les distributeurs reçoivent un disque dur contenant le film dont l’accès est sécurisé par divers dispositifs de protection. Le fichier du film est associé à d’autres éléments, dont le fameux fichier des sous-titres.
A chaque projection de film, notre partenaire connait d’énormes difficultés pour obtenir un sous-titrage en français correct.
Selon vous, quelles seraient les améliorations à apporter pour que vous puissiez travailler dans la sérénité et des distributeurs comme Aanna films, puissent avoir le film et son sous-titre dans les temps ?
Pour avoir l’habitude de travailler sur de gros festivals, dont les copies sont toujours sous haute sécurité par peur du piratage, je sais qu’il est tout à fait possible d’obtenir des productions, qu’elles envoient à l’avance une copie pour pouvoir effectuer un travail dans les meilleures conditions possibles.
Il faut juste que les productions indiennes prennent conscience de l’importance d’un bon sous-titrage. A partir de là, il faudra qu’elles fassent confiance aux professionnels du sous-titrage pour leur remettre le matériel indispensable à leur travail.
Que retirez vous de cette expérience ? Quel bilan en faites vous ? Plutôt positif ou négatif ?
Je suis ravie d’avoir rencontré Rekhs qui va faire bouger les choses.
Nous restons en contact étroit, et je pense qu’elle va faire changer les mentalités.
J’ai bon espoir que dans un proche avenir, nous puissions travailler dans de bonnes conditions pour pouvoir offrir aux spectateurs des films bien sous-titrés.
Il faudrait que les productions fassent parvenir une copie de travail à Aanna Films, 15 jours avant la sortie du film, de façon à ce qu’on puisse travailler en toute sérénité et faire de beaux sous-titres…
Enfin, pour avoir vu le film Nanban, avant tout le monde, qu’en pensez-vous en quelques mots et sans dévoiler l’intrigue ? Avez-vous vu 3 idiots qui ,est l’original ?
J’ai vu 3 Idiots il y a deux ans en Inde. La salle était pliée en deux de rire. C’est un excellent souvenir.
J’ai vu Nanban, dans une petite fenêtre sur mon écran d’ordinateur, concentrée sur mon travail, sans pouvoir apprécier le film, bien sûr, et pourtant, j’ai ri et j’ai pleuré toute seule dans mon bureau… Et je ne suis pas bon public, vous savez !
Agilane a bien fait de se démener autant pour vous offrir ce film !
Vous allez vraiment l’adorer !
Mais chut, j’ai promis de ne rien révéler…
En remerciant Caroline pour sa disponibilité et Aanna Films, pour avoir rendu cette rencontre possible, nous tenons à ajouter que ce travail colossal a été réalisé en un jour ! La traduction de départ, faite par un indien, était approximative et il a fallu réadapter et redonner un sens à chaque dialogue. Enfin, pour des raisons de sécurité, la vidéo fournie était non seulement dénuée de son, mais aussi dans un format qui ne permettait pas une navigation précise. Caroline ne pouvait pas se caler exactement au moment voulu et devait jongler entre cette difficulté et un fichier Excel contenant les sous-titres, à enrichir.
Pour une professionnelle ayant une expérience de 26 ans, revenir à des méthodes de travail aussi archaïques, n’a pas du être réjouissant. Mais malgré tous les obstacles, elle a accompli sa mission pour que nous puissions avoir un résultat à la hauteur !
Merci à Caroline Lamouroux et nous vous signalons que Nanban - mon pote n’est pas sa première expérience indienne. Elle a travaillé en tant que simulatrice sur Om Shanti Om et son premier film indien était une œuvre de Shyam Benegal qui a été projeté au festival d’Aurillac, il y a 20 ans.
Tout ça pour vous dire que Nanban - mon pote aura des sous-titres de qualité ! All is well !