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La critique de Fantastikindia

Par Savoy1 - le 9 juillet 2015

Note :
(7.5/10)

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Alors que Dheepan de Jacques Audiard, auréolé de la palme cannoise, se fait attendre pour le mois d’août prochain, empruntons les chemins de traverse européens, et allons à la rencontre du quartier pendjabi de Barcelone.


Mi-juin se tenait à Paris, dans l’écrin du fameux cinéma Le Louxor, la 8ème édition du festival « L’Autre Cinéma espagnol ». A côté d’une parodie de « L’Exorciste » en pâte à modeler (!), nous avons pu assister à l’unique projection sur grand écran (espérons qu’elle ne le restera pas) de « Rastres de sàndal » (sous-titré « Traces de santal ») de Maria Ripoll. Une rencontre inattendue entre la comédie hispanique et le mélodrame bollywoodien.


Milieu des années 80, un village reculé de l’ouest de l’Inde. Deux fillettes y grandissent, inséparables, au rythme de la vie rurale et des refrains entendus à la radio. Après avoir assisté à la mort en couches de leur maman, la première, Mina, s’était engagée à veiller sur sa petite sœur Sita, empêchant de justesse la famille de se débarrasser d’un nouveau-né indésirable.

Jusqu’au jour où les gamines sont vendues, triste monnaie d’échange pour faire face à une pauvreté grandissante.

En route pour Bombay, Sita est confiée à un orphelinat catholique. Mina, quant à elle, promise à un bordel, parvient à s’échapper, et est accueillie parmi les servantes d’une famille de la classe moyenne citadine. Là, bravant sa prédestination de caste, elle va s’évertuer à apprendre à lire et écrire. Grandement aidée en cela par les enfants de ses employeurs, soucieux d’équité sociale. Et le souvenir obsessionnel de Sita.

Mumbai, aujourd’hui. Mina (Nandita Das) est devenue une célébrité du cinéma made in Bollywood. Son mari, et producteur, n’est autre que le fils de la maison dans laquelle elle a grandi. Leur nouveau film, biographie de son enfance, est une bouteille lancée à la mer, en direction de l’absente Sita, où qu’elle puisse être.

Nous voilà lancés sur les rails d’un pur mélodrame. Les belles visions campagnardes du début, les rires des jeunes comédiennes, la vision nostalgique de quelques images de « Sholay » dans une salle enflammée, auront eu du mal à contrebalancer la dureté des évènements successifs, les cris et les larmes, puis la souffrance étouffée.

Nous en aurions oublié l’origine catalane du film, lorsqu’un hasard inespéré fait tomber la nouvelle sous les yeux de notre star de cinéma : sa petite sœur fut adoptée par un couple espagnol, et vit à Barcelone, sous le nom de Paula (Aina Clotet).

Ultime tentative de catharsis, Mina entraîne son époux vers la péninsule ibérique, avec l’idée folle de retrouver cette femme quittée il y a près de 30 ans.

Démarre alors une sympathique comédie à l’européenne, entre rebondissements familiaux et marivaudage espéré.

Après une première partie du point de vue de Mina, une deuxième s’engage sur la voie d’une construction en parallèle. Celle-ci menant en douceur à un dernier mouvement en faveur de l’héroïne barcelonaise.

Là où le film fait mouche, c’est que son sujet n’est pas la recherche d’un être aimé, puis perdu, puisque, contre toute attente, les retrouvailles ont vite lieu. Mais la reconstruction de liens qui n’ont finalement jamais existé pour la désormais Paula, celle-ci n’ayant aucun souvenir de sa petite enfance. Ses parents lui ayant, de plus, caché ses origines.

Une foultitude de thèmes est brassée au cours de ces deux derniers tiers du métrage. L’adoption et son acceptation, évidemment. Avec pour corollaire, l’éternelle question : « qui suis-je vraiment ? ». L’inné, l’acquis… Vaste sujet abordé ici de façon peut-être légère, contexte de comédie ensoleillé oblige, mais ce traitement ne peut que provoquer l’empathie. Puis l’émotion. Non pas celle de la prise d’otage lacrymale opérée par cris et pleurs, non, celle, après un premier refus tout naturel, d’une découverte de soi et des autres par le simple fait de regarder tout autour.

Finalement Paula/Sita ne se découvre pas tant elle-même (elle a une vie, professionnelle comme familiale, somme toute accomplie), qu’elle n’entrevoit un monde, tout près dans sa ville de Barcelone, qu’elle ignorait jusqu’alors. En l’occurrence, celui de la communauté indienne du quartier du Raval. Ayant franchi la porte d’un taxiphone/vidéoclub, en quête d’un dvd « Bollywood » qui mettrait en scène sa grande sœur, elle fait la connaissance de Prakash (Naby Dakhli), expatrié pendjabi. Le couple, a priori improbable, ne peut que se former, obéissant aux canons de la romance qui met du baume au cœur. Il ne reste plus aux cultures qu’à se rencontrer.

Certes, la forme de Rastres de sandàl ne révolutionnera pas le 7e art. La mise en scène fonctionnelle est toute au service de l’histoire et des personnages servis. Mais un scénario, comme écrit plus haut, d’une densité accrocheuse, qui mêle styles et rythmes variés. Et les acteurs brillent par leur sympathie, quand ce n’est pas la capacité de Aina Clotet à faire pencher son physique espagnol vers une belle allure indienne. On navigue dans juste ce qu’il faut de clichés, c’est ce qui en fait sa vitalité.

Il s’agit ici d’un vrai film indépendant, mû par une volonté de quelque part se raconter, la scénariste/productrice Anna Soler-Pont [1] ayant adopté un enfant du continent africain. Un autre souhait, accompli en compagnie de la réalisatrice Maria Ripoll, était de confier la responsabilité de chaque équipe technique à une femme. Dont acte.

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Anna Soler-Pont

Ajoutés à la volonté de mixer les cultures, ces contextes ne font que donner du poids à ce représentant des films « du milieu ».

Et l’on finit par y dénicher deux purs et authentiques moments de cinéma. D’abord un montage de plans, magique, dans une salle de… cinéma, enfilant dans un effet gigogne l’écran de la fiction dans celui qui est devant nos yeux. Il nous fait perdre, quelques secondes durant, nos repères de spectateur, entre instant présent et suspension d’incrédulité. Ensuite, un champ contre-champ d’une simplissime mais évidente beauté entre deux plages, celles de Mumbai et Barcelone. Deux regards caméra à des milliers de kilomètres de distance.

Nous ne pouvons qu’enjoindre tout amateur de cinéma indien, et lecteur de Fantastikindia, à découvrir cette œuvre. Et à faire tomber par là-même les a priori qui subsisteraient quant à décloisonner les genres. Vous y entendrez quelques notes Bollywood, y croiserez une célèbre chorégraphe des studios, y découvrirez peut-être votre idéal de « dealer » de dvd.

Et en ces temps où toute et n’importe quelle image du monde est relayée dans le flot numérique, au risque d’être détournée, trafiquée, décontextualisée, une belle idée surnage ici. Même subjectif, même idéalisé, le film de cinéma comme mémoire si ce n’est du monde, du moins d’une vie, d’un message personnel. Le ferez-vous vôtre ?


[1Anna Soler-Pont est par ailleurs la co-auteure, avec Asha Miro, du roman homonyme "Traces de santal", édité chez Buchet-Chastel.

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