Une troupe de théâtre parcourt les routes, et joue exclusivement des pièces de Shakespeare. Cette troupe est dirigée par les Buckingham, une famille anglaise, vestige d’un autre âge, d’une autre culture qui a bien du mal à soulever l’intérêt dans l’Inde des années 60. Lizzie, leur fille de 18 ans, est née en Inde. Elle rencontre Sanju, dandy désœuvré, qui tombe amoureux d’elle. Mais Manjula, célèbre actrice du cinéma hindi, est la maîtresse de Sanju et se bat pour le garder.
Cette histoire est inspirée de la vie de la famille Kendal, qui interprète aussi la plupart des personnages anglais de ce film : le père, la mère, la fille et Mrs Bowen. Sanju est incarné par Shashi Kapoor et Manjula par Madhur Jafrey, qui a reçu pour ce rôle l’Ours d’argent au festival de Berlin en 1965. James Ivory, le réalisateur, n’est ni anglais ni indien, mais il pourrait être l’un et l’autre, tant son film évite les clichés en tous genres.
James Ivory échappe d’ailleurs à toutes les étiquettes et s’inspire plutôt de Satyajit Ray, qui signe d’ailleurs la musique du film. Shakespeare Wallah est le fruit d’une collaboration étroite entre le réalisateur, le producteur indien Ismail Merchant et la scénariste Ruth Prawer Jhabvala, d’origine germano-polonaise, mariée à un Indien. Un melting pot de talents et de cultures qui sera applaudi internationalement, et qui surtout délivre un film atypique et attachant.
Shakespeare Wallah est fait de petites touches, on sent une infinie tendresse du réalisateur pour ses personnages et leur histoire. Les parents Buckingham sont investis d’une réelle passion pour Shakespeare et se battent courageusement pour faire survivre leur petite troupe. Leur prononciation anglaise un peu maniérée, leur maintien très old school, leur profond attachement à l’Inde (ils n’imaginent pas une seconde vivre ailleurs ni autrement), leur absence totale d’arrogance, les rendent attendrissants, même s’ils vivent un peu sur une planète qui leur est propre, plus anglaise qu’indienne, déracinés. Ils s’inquiètent un peu pour l’avenir de leur fille, pour ses 18 printemps bien tentants pour Sanju qui recroise leur route un peu trop souvent, mais ils la laissent décider de son destin, sans rien lui imposer.
Felicity Kendal a l’âge de son rôle, Lizzie est tout en spontanéité, un peu naïve mais pas trop, dotée d’un caractère affirmé et d’une belle indépendance d’esprit. Sanju (Shashi Kapoor) est le charme personnifié, mi-prince mi-prédateur, désinvolte mais pourtant capable de se passionner lui aussi pour ces Shakespeare wallah (wallah pourrait être traduit par « celui qui fait / qui est / qui porte / qui habite »). L’actrice Madhur Jaffrey est superbe en star de cinéma, aussi belle que garce.
Avec les deux personnages féminins, l’une actrice de théâtre classique, l’autre star de Bollywood, on ne peut éviter le duel entre ces deux arts. L’un apparaît plus noble que l’autre, mais aussi infiniment moins populaire, sans que le film s’appesantisse trop sur la comparaison. Pourtant il y a bien un gagnant au final…
Shakespeare Wallah est sorti sur grand écran aux USA et dans quelques pays d’Europe, mais jamais en Inde (ni en France, d’après IMDb). L’image en noir et blanc est superbe.