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La critique de Fantastikindia

Par Madhurifan - le 24 août 2009

Note :
(6/10)

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Siddharth Roy (Rajat Kapoor), écrivain, sort de prison. Sa femme a obtenu la garde de leur fils et seul son avocat semble se préoccuper de son sort. Il lui trouve un appartement délabré et lui rend sa machine à écrire. Afin de payer les frais du procès qu’il veut intenter pour récupérer son fils, Siddharth se lance avec fièvre dans l’écriture d’un nouveau livre grâce aux notes qu’il a prises pendant son emprisonnement. Un fois le manuscrit fini, il le glisse dans une mallette, jette ses notes et va dans un cybercafé pour contacter son éditeur qui est prêt à publier le livre. Tout irait pour le mieux si un minable parrain local (Pradip Sagar) n’avait la mauvaise idée de laisser en dépôt à Mohan (Sachin Nayak), le gérant du cybercafé, une mallette identique. Identique mais contenant un petite fortune en billets. L’inévitable inversion de mallette a lieu et chaque propriétaire va chercher à récupérer son bien, entraînant au passage dans l’aventure le gérant du cybercafé.

Ce résumé ne rend pas justice à ce film car ce qui en fait l’intérêt et la force, c’est justement tout ce qui n’est pas dans l’histoire. Pryas Gupta, dont c’est le premier film, est à la fois réalisateur, scénariste, dialoguiste, monteur et co-producteur. Siddharth est donc une œuvre extrêmement personnelle.

Pour ses débuts, au lieu de chercher à raconter une histoire plausible, Pryas Gupta se lance dans des péripéties dignes de Tintin ou de Peter Bogdanovich, humour en moins. Il se plaît à accumuler les poncifs : échanges de mallettes, faux billets, trahisons… Ces rebondissements ultra-banals laissent le sentiment d’une solution de facilité pour remplir son film (d’ailleurs plutôt court, 1h30). C’est ce qu’a dû penser le public car le film n’a pas eu de succès populaire. Cependant, tous ces éléments sont sans réelle importance car, ce qui semble intéresser Pryas Gupta, c’est l’évolution des personnages. Mis à part le parrain pour qui cette histoire est une péripétie prévisible puisqu’elle se déroule dans son monde, les deux autres protagonistes, Siddharth et Mohan, sont entraînés dans une aventure et un univers totalement nouveaux pour eux. Ce qui est intéressant et même passionnant par moments, c’est de voir comment ces deux individus vont évoluer, parallèlement. Comment ils seront amenés à se remettre en question et à se regarder eux-mêmes. Là où Mohan va suivre le droit chemin jusqu’à ce qu’il ne puisse plus résister, Siddharth va faire l’inverse, commençant par céder à la facilité avant de retrouver le sens des valeurs.

Gupta décrit ses personnages avec lucidité et sensibilité, parsemant son histoire de touches de tendresse pour eux. A côté du scénario vraiment plat, ses deux personnages principaux sont des modèles d’êtres humains dans ce qu’ils ont de bon et de mauvais. Ne serait-ce que pour le traitement de cette réalité, le film mérite d’être vu.

Mais il mérite également mieux que le triste sort qu’on lui a réservé pour d’autres raisons. D’abord l’ambiance. Siddharth n’a rien du Bollywood. On est ici plus proche de Satyajit Ray (Ray, Roy… clin d’oeil ?) que de David Dhawan. Pas de chorégraphies, pas de musiques endiablées, pas de battements de dhol, pas de ghazal… A la place, une musique progressive à la Amélie Poulain signée Sagar Desai (déjà compositeur de la BO de Bheja Fry), qui accompagne et emballe la totalité du film. Une musique étonnante, non pas par son originalité mais plutôt par l’usage décalé qui en est fait. Le décalage entre la légèreté et la répétitivité de cette musique et le thème, sombre, du film, contribue à créer un climat un peu brumeux et déstabilisant. Climat renforcé par la qualité de la photo. Pas d’effet spécial ni de plans complexes. Une image presque documentaire. On oublie totalement la caméra et on ne pense à la photo que quand on découvre, un peu surpris, pendant un ralentissement de l’histoire, la beauté de certains plans. Le principal défaut de cette photo c’est la mise en scène de la misère. Gupta force inutilement le trait. Bien entendu, la misère traîne un peu partout en Inde et le public indien ne reçoit sans doute pas ces images comme le public occidental. Il n’empêche que Gupta aurait pu faire l’économie de certains plans car ils n’apportent rien à l’histoire.

Avec l’ambiance - et participant à l’ambiance - il y a les acteurs. Rien à redire au jeu de Pradip Sagar, le voyou, mais son personnage manque de chair et de profondeur, ce qui lui offre peu de liberté d’interprétation. Sachin Nayak joue le rôle du gérant du cybercafé. C’est son premier rôle et sa précédente contribution à l’industrie du cinéma consistait dans le maquillage de Rajpal Yadav sur Krazzy 4 ! Pour un premier film, il tient très bien sa place et fait un vrai travail de composition, réussissant à accrocher le spectateur à l’évolution de ce personnage conscient de la réalité de ce qui l’entoure et qui va sauter sur l’occasion de se refaire une nouvelle vie.

Mais le clou du film, c’est Rajat Kapoor, rendu célèbre en Occident pour son rôle dans Le Mariage des Moussons. C’est un habitué des rôles de marginal, des films d’auteur, bref d’un autre cinéma que Bollywood. C’est là qu’il s’épanouit. Et Gupta lui offre sur ce plan un rôle en or. Je n’ai pas compté ses répliques mais j’espère qu’il n’a pas été payé en fonction de cela. Son texte est minimaliste. Pendant tout le film il traîne sa silhouette longiligne et nonchalante, ou plutôt désabusée. Fascinante démarche. Silhouette d’un homme cassé, qui ne sourit que lorsqu’il peut voir son fils. Qui est prêt à tout pour le garder et qui, en définitive, aura la force et le courage de voir la réalité de ce qu’il est et donc, de ce qu’il peut offrir. Siddharth est un personnage extrêmement attachant, non pas par ses qualités, mais plutôt par ses défauts qui le rendent si humain. Rajat Kapoor nous offre là une prestation remarquable qui lui a valu le prix du meilleur acteur de l’Osian’s Cinefan 2008 (le film a également obtenu le Grand Prix du jury aux Asia Pacific Screen Awards).

S’il y avait une seule raison de regarder ce film, ce serait pour la prestation de Rajat Kapoor.

En définitive, que retenir de Siddharth ? Côté négatif, le film n’est pas parfait et on en voudrait encore plus. Le trait peut parfois être inutilement précis et il y a des faiblesses de narration. Et puis un peu plus de recherche aurait pu éviter les poncifs du scénario. A côté de cela, il y a la performance d’acteur de Rajat Kapoor. Et dans une moindre mesure de Sachin Nayak. Une image et une musique parfaitement au diapason de l’histoire et des personnages. Une preuve de plus que les réalisateurs indiens peuvent proposer des histoires humaines, un style narratif tout à fait capable de rivaliser avec les grands réalisateurs occidentaux, de Scorsese à Truffaut ou à Bresson. Et tout cela en gardant leur identité indienne. C’est d’autant plus méritoire dans le cas de Siddharth que c’est un premier film.

Siddharth est donc un bon film. Un film que vous pouvez regarder si vous avez envie de céder à autre chose qu’au matraquage publicitaire qui est le lot des blockbusters à la Kambakkht Ishq. Avec son scénario un peu faible, Siddharth a le mérite de nous rappeler que le cinéma, ce sont des images avant tout.


Note : 6/10 - A voir. Bon film. On ne s’ennuie pas.
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