Sujata
Langue | Hindi |
Genres | Drame, Classique |
Dir. Photo | Kamal Bose |
Acteurs | Sunil Dutt, Nutan, Shashikala, Tarun Bose, Sulochana Latkar |
Dir. Musical | S. D. Burman |
Parolier | Majrooh Sultanpuri |
Chanteurs | Asha Bhosle, Mohammad Rafi, Geeta Dutt, Talat Mehmood, S. D. Burman |
Producteur | Bimal Roy |
Durée | 161 mn |
Bande originale
Jalte Hain Jiske Liye Teri Aankhon Ke Diye |
Kaali Ghata Chhaye Mora Jiya Tarsaaye |
Bachpan Ke Din Bhi Kya Din The |
Tum Jiyo Hazaaron Saal, Saal Ke Din Ho Pachaas Hazaar |
Suno Mere Bandhu Re, Suno Mere Mitwa |
Nanhi Kali Sone Chali Hawa Dheere Aana |
Andhe Ne Bhi Sapne Dekha Kya Hai Zamaana… Waah Bhai Waah |
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Fiche IMDB |
Page Wikipedia |
Le sujet des castes est rarement abordé de front dans le cinéma hindi. Bimal Roy en fait le thème central de Sujata avec beaucoup de sensibilité et de pudeur, évitant les écueils du misérabilisme pour porter le débat sur le plan moral et affectif. L’élégance naturelle et le charisme de Nutan, qui incarne Sujata, contribue largement à la réussite du film.
Dans les années 50, une orpheline de quelques mois appartenant à la caste des intouchables, est recueillie par une famille brahmine aisée. Le père (Tarun Bose) ingénieur est détaché de cette notion de caste, la mère (Sulochna) y est plus sensible mais elle ne peut se résoudre à laisser ce bébé mourir sans soin. Plusieurs fois il est question de se séparer de Sujata, parce qu’elle est intouchable. Pourtant elle reste et grandit aux côtés de Rama, la fille de la famille. A côté, mais pas de la même façon, car cette différence de caste a dressé un mur que l’affection ne franchit que difficilement. En quelques scènes Bimal Roy nous le fait comprendre de façon magistrale, s’appuyant sur des symboles forts comme la berceuse : la mère chante Nanhi kali sone chali hawa dheere aana à Rama, sa propre fille. Sujata pleure seule dans la chambre de la servante. Elle va alors chanter à la fenêtre et sourit lorsque Sujata s’apaise en l’entendant.
L’enfant gaie et intelligente devient une jeune fille douce, posée, occupée toute la journée aux travaux ménagers sans jamais s’en plaindre, toujours préoccupée du bien-être de ceux qu’elle considère comme ses parents adoptifs, elle-même ignorant tout de sa naissance. La chanson Bachpan ke din suffit à nous faire comprendre la différence de situation entre les deux jeunes filles de la maison : Rama (Shashikala), insouciante, sûre d’elle et de la vie, joue du piano et chante dans le salon pendant que Sujata (Nutan) étend la lessive en chantonnant. Mais elles gardent toutes les deux un bon souvenir de leur enfance et de leur complicité.
La situation se complique lorsque la famille revient s’installer dans sa ville d’origine, au sein d’un contexte familial provincial et conservateur. Rama est en âge de se marier, le cousin Adhir (Sunil Dutt) est le prétendant idéal. Bien sûr celui-ci tombe amoureux de Sujata et inversement. Hors d’elle, la mère révèle alors ses origines à la jeune fille, qui pour la première fois va réaliser sa condition d’intouchable et se rendre compte qu’elle n’a pas la même place que sa sœur dans le cœur de sa mère. Pourtant, pour l’amour de cette mère, elle est prête à renoncer à Adhir…
Bimal Roy, le réalisateur, nous fait littéralement entrer au cœur de cette famille en développant des personnages « réels », avec leurs élans et leurs contradictions, en évitant les clichés et la caricature. La différence d’éducation entre les deux enfants est juste esquissée, mais l’utilisation du personnage de Rama adulte est à la fois forte et subtile : fille de famille habillée à l’occidentale, jouant au tennis, écrivant de la poésie, recevant ses amies, elle est le vivant reflet de ce que n’est pas Sujata, de ce qu’elle n’a pas pu devenir. Le personnage de la mère est également intéressant, prise entre ses élans naturellement maternels et les interdits liés aux castes… Le père figure la raison, il essaye de protéger Sujata mais il est lui aussi empêtré dans les nécessités sociales et n’ose pas aller à l’encontre des choix de sa femme.
Gandhi est un personnage important dans le film, Bimal Roy nous montre comment la société essaye de s’approprier ses mots et ses idées, et le (long) chemin qui reste à parcourir pour les mettre réellement en application. Il nous montre aussi le réconfort que cette grande âme apporte aux malheureux, encore capable de leur donner courage et dignité plusieurs années après sa mort.
Sujata est un film humaniste qui ne peut laisser indifférent, une belle oeuvre cinématographique en noir et blanc signée du réalisateur de Madhumati, Devdas (1955) et Bandini. Le film a obtenu en 1959 les Filmfare Awards du meilleur film, du meilleur réalisateur et de la meilleur actrice. Il a également été en compétition à Cannes en 1960.
Nutan a largement mérité son Award, elle est à la fois présente et discrète, avec un jeu nuancé qui fait ressortir la dignité, l’intelligence et la modestie de son personnage. Les scènes qu’elle partage avec Sunil Dutt, amoureux et ouvert d’esprit, sont parmi les plus lumineuses du film. Il faut voir son visage s’éclairer lorsqu’elle écoute les paroles du jeune homme.
La musique de S.D. Burman (le père de R.D. Burman) est très douce et s’attache surtout à mettre en valeur les émotions que les protagonistes n’ont guère le droit d’exprimer : tristesse, espoir… Jalte Hain Jiske Liye et Kaali Ghata Chhaye et leur jolies mélodies ont fait partie des chansons les plus populaires de cette année 1959. Sun Mere bandhu Re, la complainte amoureuse d’un pêcheur au crépuscule, chantée par S.D. Burman lui-même, est poignante.
Sujata reste un des grands classiques de l’âge d’or de Bollywood, à découvrir absolument (mes remerciements à Angus !). Il a fait partie de la rétrospective au Centre Pompidou en 2004.