Thalapaty
Traduction : Le chef
Langue | Tamoul |
Genres | Polar, Film de gangsters |
Dir. Photo | Santosh Sivan |
Acteurs | Arvind Swami, Mammootty, Rajinikanth, Amrish Puri, Shobana, Geetha, Srividya, Jaishankar, Bhanupriya |
Dir. Musical | Maestro Ilaiyaraaja |
Parolier | Vaali |
Chanteurs | K. J. Yesudas, Swarnalatha, S. P. Balasubrahmanyam, S. Janaki, Mitali Banerjee Bhawmik |
Producteurs | G. Venkateswaran, Rajan Lall |
Durée | 156 mn |
Surya (Rajinikant) a été abandonné à la naissance par ses parents qui ne pouvaient subvenir à ses besoins, il grandit dans un des bidonvilles de Madras. Il se crée une réputation de protecteur à la générosité sans faille. Un jour qu’une femme de son quartier est agressée par un voyou, il tabasse celui-ci à mort en pleine rue et s’attire les foudres de Devraj (Mamooty), le caïd local. Entre les deux hommes s’installe d’abord une rivalité, qui empreinte de respect se transforme en une vraie amitié.
Surya devient le fidèle lieutenant de Devraj, son Thalapaty. Mais toujours tourmenté par son passé et cette mère qu’il n’a jamais connu, Surya se cherche une vraie famille. Il rencontre Subbulakshmi (Shobana) une belle brahmine qu’il voudrait épouser, mais son père ne peut accepter une union avec quelqu’un qui n’a pas de parents.
Dans le même temps les parents de Surya ont eu un autre fils, Arjun (Arvindswamy) qui est muté à Madras avec pour objectif de mettre fin aux gangs, surtout le plus puissant d’entres eux : celui de Devraj et Surya. Il épouse Subbulakshmi, alors que Surya se marie à une pauvre femme devenue veuve par sa faute. Entre Arjun à la tête de la police et le gang de Surya/Deva une guerre sans merci fait désormais rage.
Dans Nayakan (1986), Mani Ratnam avait rendu hommage à Francis Ford Coppola à travers le personnage bien réel du parrain tamoul Velu Nayakar. Dans Thalapaty, il va plus loin, utilisant la trame narrative du récit mythologique hindou de Karnan qu’il remet au goût du jour pour réaliser ce polar épique. Nayakan abordait la difficile cohabitation des valeurs familiales avec la pègre et la vengeance. Thalapaty est centré sur l’amitié, par rapport aux liens du sang.
Les relations entres les personnages sont donc inchangées, on retrouve le questionnement identitaire et les tourments de Karnan/Surya abandonné par sa mère, qu’il cherchera toute sa vie avant de réaliser qu’elle est aussi la mère de son ennemi Arjun. Mani Ratnam est parvenu à transposer l’histoire dans un contexte nouveau, en en gardant l’essence tragique tout en y ajoutant une tension et un suspens inhérent au genre policier.
Mani Ratnam a apporté quelques modifications intéressantes. Le film est plus centré sur l’amitié entre Devraj et Surya, qui est développée et mieux explicitée. Le rôle des parents tourmentés d’avoir abandonné leur enfant à la naissance et qui, inconsciemment, passent leur vie à le chercher, est représenté de manière vraiment émouvante.
Contrairement aux films précédents et suivants de Mani Ratnam, dans Thalapaty il n’est pas question de belle histoire d’amour, ce n’est pas du tout le propos, mais de sentiments humains universels : la relation filiale, l’amitié, les rapports fraternels et mère/fils. Les relations amoureuses restent au second plan, les mariages sont dictés par la raison. Ce n’est finalement pas plus mal, le film n’en est que plus cohérent vis à vis du mythe originel et se démarque des films actuels. L’adaptation est donc réussie, on pourrait juste regretter que Mani Ratnam ne soit pas allé jusqu’au bout du personnage, sacrifiant son destin tragique à l’image de la Star – ou plutôt de ses fans, qui n’auraient pas accepté qu’il meure à la fin.
Car c’est la superstar Rajinikant qui tient le rôle principal. Il est très bon et joue véritablement son rôle, avec sobriété, loin de ses tics d’acteur. Visiblement très bien dirigé par Mani Ratnam, il délivre quelques scènes d’anthologie où il vient rappeler que s’il est aussi adulé, c’est d’abord parce qu’il est un authentique acteur. La scène où il apprend qui est sa vraie mère, tout en retenue et en dignité, est un des moments les plus forts du film. Mais ses scènes les plus marquantes sont celles avec Mamooty, la superstar du cinéma Malayalam, qui est énorme dans le rôle de Devraj. Leur première confrontation a beau s’effectuer sous des trombes d’eau, il y a comme des étincelles sur l’écran.
Face à deux acteurs aussi monstrueux, Arvindswamy se fait un peu discret, et Shobana brille par sa beauté et dans quelques chansons, mais n’a pas grand-chose à faire.
Thalapaty, même s’il a Rajinikant en tête d’affiche, ressemble moins à un-film-de-Rajinikant qu’à un film de Mani Ratnam, avec Rajinikant.
De la même manière, la bande originale composée par Illayaraja est étonnante, en ce sens qu’elle ne ressemble pas du tout à ce que faisait le maestro à l’époque. Comme le film, elle est atypique, classe, et culte.
A l’époque il était plutôt dans sa phase ‘synthé’ qui a terriblement vieilli aujourd’hui, mais la BO de Thalapaty est beaucoup plus travaillée avec une forte présence de la musique traditionnelle carnatique, qui accentue la filiation mythologique du film. L’accent a été mis sur les vrais instruments, les percussions et cordes notamment, qui sont travaillées de manière assez novatrice pour l’époque. Il y a 6 chansons, et une septième qui n’a pas été intégrée au film par souci de rythme, mais qui est présente en version instrumentale. La musique de fond est aussi une merveille.
La chanson d’introduction dans le bidonville à la tombée de la nuit Adi Raakkaamma avec son violon fou et un passage brutal à la musique carnatique, est incroyablement osée mais une réussite totale, et visuellement somptueuse : ombres chinoises des danseurs au soleil couchant, lampes à huiles et saris au crépuscule sur un rythme hypnotique… magnifique. Elle avait d’ailleurs été élue parmi les 10 meilleures chansons du monde par la BBC World il y a quelques années.
Signe du soin tout particulier dont la musique a fait l’objet, le dappankuttu populaire normalement très bourrin (c’est un constante dans les films tamouls) est original. Même s’il y a beaucoup de percussions, le rythme de Kaattukuyile est travaillé, tout en ruptures, assez inclassable. La mise en image au ralenti sur Rajinikant et Mamooty qui dansent ensemble – une expérience jamais renouvelée- achève de rendre cette chanson unique.
Le film ne serait pas ce qu’il est sans sa splendeur visuelle. Pour la première fois Mani Ratnam s’associait à Santosh Sivan, et son travail est visible à chaque image, notamment dans les superbes chansons. Pour symboliser le soleil, chaque image a des tons orangés, et les nombreuses scènes au soleil levant ou couchant sont surexposées avec une lumière solaire qui irradie l’image. Même aujourd’hui, les images sont toujours aussi belles.
Thalapaty est à plus d’un titre un film à part. Dans la filmographie de Mani Ratnam, c’est ce qu’on peut appeler un film charnière : c’est sa seule collaboration avec les superstars Rajinikant et Mamooty, son dernier film avec le Maestro Illayaraja à la musique, et son premier avec Santosh Sivan.
Pour Rajinikant, Thalapaty marque un sommet de plus dans sa carrière d’acteur. On peut le considérer comme le dernier film où il a réellement réalisé une performance d’acteur puisque par la suite, n’ayant plus rien à prouver, il jouera essentiellement dans des films de divertissement populaire (Annamalai, Padayappa… etc).
Thalapaty, polar sombre et brillant, grace à la profondeur que lui confère sa dimension mythologique et la mise en scène de grande classe de Mani Ratnam, est assurément un des classiques incontournables du cinéma indien.