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Toilettes : Une histoire d’amour

Titre original : Toilet — Ek Prem Katha

LangueHindi
GenreComédie dramatique
Dir. PhotoAnshuman Mahaley
ActeursAkshay Kumar, Anupam Kher, Divyendu Sharma, Sudhir Pandey, Bhumi Pednekar
Dir. MusicalVickey Prasad, Manas-Shikhar, Sachet-Parampara
ParolierSiddharth–Garima
ProducteursShital Bhatia, Arjun N. Kapoor
Durée155 mn

Bande originale

Hans Mat Pagli
Bakheda
Gori Tu Latth Maar
Subah Ki Train
Toilet Ka Jugaad

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Fiche IMDB
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La critique de Fantastikindia

Par Fabrizio - le

Note :
(4/10)

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Si comme nous vous avez cru que Toilettes : Une histoire d’amour était un poème glorieux dédié aux accouplements passagers, occasionnels, unions adultérines et furtives, frottis-frottas cradingues sous la lumière blafarde, glauque et insalubre des boîtes de nuit de banlieue… vous feriez mieux de passer votre chemin. Il n’en est rien !

Toilettes : Une histoire d’amour n’est pas non plus la satire sociale, le film nécessaire, la performance ultime que d’aucuns applaudissent. Au contraire, c’est un vrai mauvais film qui vous laisse tout simplement s(c)eptique. C’est également une bobine latrinophile qui maltraite son sujet avec la même obstination que d’autres s’adonnent à des pratiques scatologiques dans des toilettes improvisées, sanitaires inusuels, algecos ouvriers de fortune…

Un scénario zoo-latrino-phile

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Keshav (Akshay Kumar) est marié à Mallika, une vache — une vraie ! une jolie bufflonne au teint pâle, du genre black buffalo [1]. C’est que Keshav est maudit, ce n’est pas pour rien qu’il se prénomme de l’un des innumérables noms du dieu Vishnu dans le Mahabharata. Mal né, il est condamné ; et son père (Sudhir Pandey), pandit cyclophile peu commode et à la moue sévérissime, lui a prescrit deux remèdes infaillibles pour conjurer le sort :
Tout d’abord son union maritale et bovine avec la vache susdite (une méthode ingénieuse et passablement zoophile pour pratiquer le célèbre « congrès de la vache ») ; puis son mariage avec une femme ayant une hexadactylie préaxiale — une épouse à six doigts quoi ! (à la dernière mode de Hrithik Roshan et son pouce surnuméraire).

Mais Keshav, le gringalet minable vivant sous le joug superstitieux du pandit paternel, va tomber amoureux de Jaya (Bhumi Pednekar), une jeune femme aussi farouche qu’éduquée (comprenez « elle a fait quelques études d’on ne sait pas trop quoi »). Dans une scène digne des plus grands classiques de l’histoire de l’art et du cinéma, le tourtereau est foudroyé par la belle anadyomène surgie des toilettes publiques d’un TER local. Et comme Keshav est un mec sympatoche — un trentenaire joué par un acteur de cinquante piges — il va emballer la jeunette. En deux regards, trois taquineries, c’est plié, Keshav et Jaya tournent sept fois autour du feu sacré, et la jeune fille abdique…

… elle abdique face au chantage de l’amour qui piège les femmes dans la domesticité…

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Le seul bon acteur du film : Divyendu Sharma

Leur union ne fera cependant pas long feu. Jaya apprend très vite que dans le village de Keshav il n’y a pas de toilettes privées. Les femmes du village et du Lota Party [2], (le « parti du caca » ou le « mouvement pipi dans le pot de chambre ») doivent se lever aux aurores pour aller se « soulager » dans la campagne, entre serpents, scorpions et regards libidineux. Outrée, Jaya, épouse et belle-fille, — dans un geste très punk —, quitte sa belle-famille et son nouveau foyer pour rentrer chez elle et se rasseoir sur son trône.

Genre et problématiques sanitaires

Les Indiennes d’aujourd’hui ont peut-être plus d’accès aux téléphones mobiles qu’aux infrastructures et produits sanitaires de première nécessité : toilettes, protections périodiques, contraceptifs — et tant d’autres ! — leur demeurent inabordables ou interdits. Les discriminations sexuelles en matière de santé sont une réalité structurelle. Ces écarts sanitaires traduisent surtout des inégalités de genre dans un système patriarcal d’exclusion des femmes.

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Va falloir se réveiller les meufs !

La place occupée par les hommes dans l’espace public est manifeste et dominante [3]. En Inde, et ailleurs, cela s’exprime en autres par une intimité masculine sinon bienvenue du moins acceptée dans l’espace public [4], alors que celle des femmes est moins tolérée et doit être occultée [5]. Par exemple, la défécation en plein air est une réalité qui concerne plus de 400 millions d’Indiens, mais ce sont les Indiennes, elles — entre timidité, pudeur et un danger bien réel —, qui doivent se soustraire aux regards dans la cambrousse… Il va sans dire que cela se traduit également par une surreprésentation masculine dans l’accès aux centres de soin, aussi bien comme personnel soignant que comme patients [6]).

Et si Toilettes : Une histoire d’amour ne fait pas l’impasse sur ces problématiques (Jaya et Kershav soulèvent ouvertement ces inégalités), la pellicule n’y prête qu’une attention distante à ce qui nous est présenté comme un sujet plus que secondaire. Une scène de voyeurisme urophile suivie d’un harcèlement de rue ouvre d’ailleurs le film, mais c’en est tellement grotesquement scénarisé que c’en devient oubliable. Il faut le dire les potos, Toilettes c’est l’histoire d’un mec qui pour récupérer sa meuf va ponctuellement aller à l’encontre de l’ordre établi, et puis basta ! Si elle rentre au bercail — sa place est là, nous le savons tous — la partie sera finie… alors que…

… alors que la réalité et les chiffres sont effrayants. Une bonne majorité d’agressions, de viols et meurtres en milieu rural, ont lieu pendant ces escapades urinaires [7]. Et comme si ce n’était pas assez, dans ces conditions d’insalubrité notoire et systémique, les femmes sont surexposées aux infections, maladies gynécologiques, contaminations fécales et autres cystites.

Les problèmes de femmes sont inodores pour la plupart des hommes. Et Toilettes : Une histoire d’amour évacue ces questions tout comme on tire la chasse d’eau pour se débarrasser des choses gênantes…

Un film qui sent mauvais la propagande

Pour récupérer sa bien-aimée — son bien aimé ? — Keshav polytropos, Keshav « aux mille ruses », va dans un premier temps déployer des trésors d’imagination palliatifs (on saluera le pipi bien fait, vite fait chez la voisine moribonde) ; puis, faire une entorse aux traditions multiséculaires de son village avec l’installation outrageuse d’un pipiroom très très classe. Ainsi, héroïque — finalement c’est le seul moyen pour ramener son épouse —, il entame une croisade dont le point culminant est la confrontation avec son paternel néolithique, représentant suprême de l’autorité et des traditions culturelles.

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Un petit zenkutsu dachi pour la route

On pourrait croire, par mégarde, qu’un des objectif de la bobine c’est de dénoncer l’archaïsme de certaines traditions. Mais il faut se rendre à l’évidence, nous sommes plutôt confrontés à un film ouvertement de propagande dont l’objectif affiché c’est de faire l’apologie des politiques « sanitaires » de Narendra Modi et du BJP [8]. On ne reviendra pas sur les accointances nationalistes récentes du JCVD indien, Akshay Kumar, ni sur celles, peu glorieuses, du censeur patriote Anupam Kher [9], mais les propos et la conclusion du film ont de quoi nous laisser plus que stupéfaits : la réactivité et la responsabilité du gouvernement ne devraient jamais être questionnées.

Toilettes est tiré d’une histoire vraie, celle de Priyanka Bharti, qui avec le soutien de l’association Sulabh International a convaincu des dizaines de femmes de construire des toilettes dans leur village. Or, rien n’est dit à ce sujet dans cette bobine qui prend le contre-pied de l’histoire dont elle s’inspire : c’est un homme et non plus une femme qui prend l’initiative de construire des toilettes, et il n’a pas recours à une association ou une ONG (crève Sulabh International !) mais au gouvernement… qui en fait dans une démarche proleptique, avait déjà pensé et financé l’assainissement de la galaxie toute entière. La culpabilité repose donc sur le peuple ignorant et irresponsable. Le film nous dit : restez croyants, et pour apaiser la colère des dieux répétez jusqu’à l’exaspération des « radhe radhe » salvateurs, et pour obtenir les grâces bénéfiques de la modernité obéissez aux chefs et décideurs étatiques qui forcément vous veulent du bien.

Ils furent heureux
et eurent beaucoup de toilettes

On n’oubliera pas que ce torchon latrinophonique, représentant exemplaire des films classés dans la catégorie « avec des bonnes intentions », a été pondu par les mêmes scénaristes du très joli mais très peu écrit Ram Leela ; raison pour laquelle, sans doute, les protagonistes de Toilettes ont du mal à incarner leurs personnage brouillons, écrits entre midi et deux sur du papier toilette bon marché — celui qui râpe et se déchire.

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Personne ne retiendra Akshay de se raser la moustache

Akshay Kumar, porte bien la moustache ainsi que le look sadomaso [10] ; mais fallait-il, alors même que son corps cinquantenaire ne répond plus, qu’il déglingue toujours une paire de gars avec ses bras musclés ? Si Akshay ne brise pas une colonne vertébrale de ses doigts puissants ce n’est pas vraiment du Akshay ? Faut-il toujours supporter ces scènes viriles ? Il faut nonobstant accorder quelque chose à Kumar : il y a un je-ne-sais-quoi de profondément tendre dans le personnage qu’il joue. Sous sa médiocrité évidente, un simplet sans une once de courage, il y a tout de même un homme aimant et soutenant son épouse, un faible acceptant (il ne faut pas lui demander de comprendre et de soutenir) que les femmes doivent acquérir leurs droits et leur autonomie (une certaine autonomie, pas trop non plus).

Bhumi Pednekar, (re)connue pour son rôle dans Lust Stories — cette anthologie du désir humain et féminin — n’a pas la place qu’elle mérite. Son rôle est tristement secondaire et tellement artificiel… nous aurions aimé la voir semer la révolte contres tous les systèmes de valeurs, dénonçant les injustices sanitaires et crachant contre sa condition de prisonnière… malheureusement on ne la verra que comme une gamine bien trop capricieuse, gnagnagna

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On pourrait dire que Toilettes : Une histoire d’amour est un film inodore… pour ne pas avouer qu’il sent tout simplement mauvais. On a rarement vu une œuvre cinématographique maltraiter avec autant de hargne un sujet d’une telle importance. Toilettes pourrait être un bon film, mais tout semble indiquer que le projet du réalisateur était de faire une analogie entre ce qu’il met en scène et ce qu’il fait dans les toilettes.


Bande-annonce


[1Veuillez noter qu’il ne s’agit ni du grand-père de l’historique Crazy Horse, ni de Yamada Keisuke, le célèbre catcheur japonais.

[2Le lota est un pot, une bassine, un récipient utilisé en Inde pour l’hygiène et les ablutions intimes.

[3Souvenez-vous des uritrottoirs, de leurs zizis en plein l’air, et — en Île de France — de leur « vandalisation » par le commando féministe des Pisseuses — que nous saluons vigoureusement.

[4L’astuce trouvée dans certains états de l’Union pour éviter que les hommes ne se soulagent sur la voie publique, c’est de décorer les murs d’images de divinités…

[5Femen et autres mères allaitantes, cachez vos seins qu’on ne saurait voir !

[6Virginie Chasles, « Entre sacralité et impureté, l’ambivalence de la maternité en Inde », Espace, populations, sociétés, n°3, 2002, Questions de genre, p. 387-396

[7Rose George, « Open Defecation in India Leads to Rape and Disease. Now, Women Are Demanding Toilets », Huffington Post, 30 juillet 2015[en ligne].

[8Bharatiya Janata Party, droite nationaliste hindoue, actuellement au pouvoir.

[9Lequel se régale en se rinçant l’œil devant le Baby Doll de Ragini MMS 2.

[10Dans une scène dansée et chantée de Holi, pour se faire pardonner de sa chérie, il lui demande de le battre à mort, cool !

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