Vidiyum Munn
Traduction : Avant l'aube
Langue | Tamoul |
Genres | Drame, Thriller |
Dir. Photo | Sivakumar Vijayan |
Acteurs | Pooja Umashankar, Malavika Manikuttan, Vinod Kishan, Lakshmi Ramakrishnan , John Vijay, R. Amarendran, Muthukumar, Ruben |
Dir. Musical | Girishh Gopalakrishnan |
Parolier | Girishh Gopalakrishnan |
Chanteurs | Tanvi Rao, Girishh G, Yasin Nazar, Prathibha Padmanabhan, Ramshankar S, Sai Krishna Kumar, Susheela Raman, Shilpa Natarajan |
Producteur | Javed Khayum |
Durée | 128 mn |
Il est des films qui soulèvent beaucoup de questions, et d’autres qui suscitent de vives émotions. Jouant sur les deux tableaux, Avant l’aube (Vidiyum mun) ne manque pas d’atteindre le cœur et l’esprit du spectateur, en l’embarquant dans les ténèbres de la prostitution. Dans ce monde souterrain, où l’exploitation sexuelle et la pédophilie, brisent le moindre rêve d’espoir, la candeur d’une enfant va tout changer. Pour un premier film, Balaji K. Kumar frappe un grand coup, en livrant une fable réaliste, sous des airs de thriller angoissant. Cet ex-story-boarder de campagnes publicitaires s’illustre ici, avec brio, aussi bien à la réalisation que dans l’écriture. Ce qui nous change des clippers, sans talent d’écriture, qui excellent davantage comme esthètes que dans la conception scénaristique. Avant l’aube, c’est une descente aux enfers, mais aussi une ascension vers la lumière qui ouvre le chemin de la rédemption pour son personnage principal.
Au cours d’une nuit, une femme et une gamine sont pourchassées par plusieurs hommes, déterminés à les coincer. Les enjeux sont multiples dans cette poursuite effrénée, mais les conséquences seront assurément dramatiques. Pour certains, c’est une question de vie ou de mort, pour d’autres c’est une affaire d’argent et de vengeance. Cependant, c’est bien de l’innocence d’une enfant, ou ce qu’il en reste, dont il s’agit.
Au cinéma comme en cuisine, l’important c’est le dosage. Vous aurez beau choisir les meilleurs ingrédients et ustensiles, le savant mélange repose sur le talent du chef, et sa capacité à improviser. C’est avec l’assurance d’un vétéran, que Balaji K. Kumar réussit un panachage quasi-parfait, maîtrise son sujet et conserve l’attention du public, de bout en bout. Son secret ? Une vision intelligente et sensible, ainsi qu’un traitement absolu et humain, sans jamais tomber dans la complaisance ou le misérabilisme. Il sait ce qu’il veut et où il va, et c’est ainsi qu’il nous éclaire durant cette effroyable immersion.
Bien réalisé, Avant l’aube est également un film bien pensé et ingénieusement conçu. On reconnaît là la touche du story-boarder ayant procédé à un minutieux découpage de son métrage, pour proposer plusieurs niveaux de narration à son public. On peut donc suivre l’intrigue dans son déroulement, mais aussi dans son passé, avec des flashbacks qui nous en disent davantage sur les personnages. Cette préparation permet d’avoir un montage final assez digeste (ce qui n’est pas toujours le cas, dans le cinéma tamoul), une durée raisonnable (2h08) et une certaine cohérence dans la succession de scènes. A noter aussi, l’absence de clips musicaux, mais un habillage sonore approprié à l’atmosphère du film. La bande son et les paroles de chansons reflètent l’humeur et la détresse des protagonistes face à la cruauté de la vie. Rien n’est laissé au hasard, et cette utilisation judicieuse de la musique témoigne du perfectionnisme de l’auteur.
Malheureusement, à trop vouloir ciseler son scénario, Balaji K. Kumar finit par se tirer une balle dans le pied et rendre son film trop prévisible, à partir de la seconde moitié. Ce manque de spontanéité nous amène à une fin un peu décevante où le réalisateur est contraint de lever le voile sur certains mystères, à l’aide de flashbacks un peu forcés et malvenus. Ce procédé est d’autant plus navrant que, durant tout le métrage, de nombreuses informations sont habilement sous-entendues, pour que le spectateur les saisisse au moment opportun. Au regard de l’efficacité déployée dans les autres aspects cinématographiques, ce défaut est plutôt mineur.
L’autre point fort du film, c’est l’écriture des personnages nourrie de références religieuses et philosophiques. Avant l’aube repose essentiellement sur le duo féminin composé par Rekha (Pooja Umashankar), une prostituée au grand cœur, contrainte à un dernier sale boulot, et la petite Nandhini (Malavika Manikuttan) promise au pire, mais emplie de douceur. Le contraste et les ressemblances, entre ces deux femmes, sont magnifiquement mis en avant par Balaji K. Kumar dans plusieurs scènes.
Au départ, cette travailleuse du sexe sur le déclin n’a d’autre choix que de vendre son âme au diable, incarné par Singaram, le proxénète, qui la tient en joue. Mais sa rencontre avec Nandhini est une révélation, car Rekha est pour la première fois de sa vie, face à un miroir, celui de l’âme et de l’enfance. De ce fait, elle est amenée à déterrer une conscience qu’elle a longtemps ignorée et à sauver l’innocence que cette petite fille perd peu à peu, au fil des épreuves.
Leurs échanges, imaginés par le réalisateur, sont extraordinaires, car les dialogues assez brefs et les longs silences expriment à la fois la peur de se livrer et le lien de confiance qui s’installe doucement. Finalement, Nandhini est un peu le reflet de la petite fille qu’était Rekha, avant de sombrer dans la prostitution, et en décidant de la sauver, elle se redonne une chance dans la vie. Pour le renvoi religieux, Avant l’aube est la quête d’expiation d’un ange déchu (Rekha), fauché par le sort, mais repêché par cette enfant qui n’est autre que l’incarnation de la bonté, la pureté, et autrement dit, de Dieu. Dans la religion hindoue, il est dit que l’éternel se manifeste dans le sourire d’un enfant, et c’est cette métaphore que le réalisateur transpose dans ce film, grâce à la paire Rekha-Nandhini.
Mis à part ces personnages féminins, la myriade de protagonistes masculins qui peuplent cet univers est nettement moins intéressante. La faute à une définition et un profilage psychologique un peu stéréotypé. C’est simple, ils sont tous gangsters, proxénètes, pédophiles, amoraux, cruels ou mystérieux. La complexité voulue par le réalisateur, pour ses deux rôles féminins, est complètement absente pour Lankesh, Singaram, Mani et les autres. Néanmoins, Chinniah, présenté comme le grand méchant du film, promet beaucoup, dans un premier temps, car il entretient constamment le flou sur ses intentions. Mais, à force de tirer la tronche et alterner les regards, noir et vide, il devient lui aussi une caricature du mauvais garçon, froid et violent. Cette opposition des sexes est volontaire pour parler de l’exploitation des femmes par les hommes, dans ce genre de milieu, mais le manque de subtilité, dans la vision de Balaji K. Kumar, nuit un peu au propos, en le rendant trop manichéen.
Au niveau de l’interprétation, le réalisateur a fait un remarquable travail de direction d’acteurs pour faire ressortir la sensibilité de Pooja Umashankar (Rekha) et la maturité de Malavika Manikuttan (Nandhini), indispensables au récit. Les deux actrices mériteraient largement un prix, d’une part, pour leur jeu et, d’autre part, pour leur magnifique complémentarité qui produit une véritable alchimie. L’évolution de leur relation où l’on passe du proxénétisme à une complicité sincère, donnant sur l’amour maternel, s’appuie entièrement sur la justesse des comédiennes. Chapeau bas, les artistes !
La contribution des techniciens sur les différents angles techniques d’Avant l’aube, n’est pas négligeable, car cela accentue la crédibilité du récit. On peut commencer par les décors, constitués de maisons délabrées, quartiers malfamés et ruines en tous genres. Le chef décorateur, Edward Kalaimani, a reconstitué de manière saisissante le dépérissement de ces lieux abandonnés où règne la noirceur. Le rendu visuel est tout aussi sombre, voire malsain, grâce au chef opérateur Sivakumar Vijayan. Étant donné que l’action du film se déroule en grande partie la nuit, Sivakumar a dû user de toutes les astuces possibles (filtres, faible lumière, teintes différentes) pour instaurer le ton et l’ambiance voulus par le réalisateur. Enfin, si on doit formuler une critique technique, ça s’adresserait au superviseur des effets spéciaux qui s’est un peu loupé sur certaines incrustations, et autres images de synthèse se voulant réalistes. Le ratage est flagrant, car dans les scènes se déroulant la nuit, les trucages sont visibles, au moment des éclairs d’orage et de mouvements d’éléments comme les voitures.
Enfin, la musique de Girishh Gopalakrishnan joue un rôle particulier dans ce long métrage. En plus de refléter les émotions des personnages, ou de répercuter la tension d’une scène, la partition de l’artiste installe une forme de sérénité dans ce chaos. De mon point de vue, la bande son incarne la même chose que Nandhini, à savoir l’espoir, le bout du tunnel et les premiers rayons du soleil qui annoncent l’aube. La chanteuse de jazz d’origine indienne, Susheela Raman, a participé à cette bande originale, en posant sa voix sur la chanson "Penne".
Mieux vaut allumer une bougie que maudire les ténèbres, disait Lao Tseu. Et pour Gustave Thibon, la foi consiste à ne jamais renier dans les ténèbres, ce qu’on a entrevu dans la lumière. Avant l’aube illustre idéalement ces citations et se présente comme une ode à l’humanité, qui est sans cesse menacée par la brutalité d’un monde sans vergogne. La seule chose qui puisse ranimer les consciences et la compassion semble être l’innocence de l’enfance.
Balaji K. Kumar est à féliciter pour son audace et son flair artistique. Parler de la condition féminine, de l’enfance maltraitée, et de sujets graves, n’est pas chose aisée pour un premier film, mais c’est avec conviction qu’il a concrétisé cet ambitieux projet. On attend avec intérêt la suite de son aventure cinématographique indienne.