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Lectures pour la rentrée

Publié vendredi 20 septembre 2013
Dernière modification dimanche 21 juin 2015
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Par Alineji

Rubrique Littérature
◀ Bollywood, dans les coulisses des Film Cities
▶ Les deux derniers romans d’Amitav Ghosh

L’été a passé. Bientôt l’automne et les vacances seront loin, mais il n’est pas trop tard pour vous dépayser en plongeant dans les ouvrages récemment traduits et publiés de grands écrivains indiens. N’oubliez pas ce qu’écrivait Chateaubriand : « L’homme n’a pas besoin de voyager, il porte avec lui l’immensité. Asseyez-vous sur le tronc d’un arbre, si dans l’oubli profond de vous-même, dans votre immobilité, dans votre silence vous ne trouvez pas l’infini, il est inutile de vous égarer aux rives du Gange. » Il ne tient qu’à vous de vous évader à travers les pages de ces livres sélectionnés pour vous.

Grand-père avait un éléphant de Vaikom Muhammad Basheer

Un conte pour commencer : « Grand-père avait un éléphant, un grand mâle à défenses ! », cette phrase, Kounnioupattoumma, l’entend répéter depuis qu’elle a sept ans et c’est à peu près la seule chose qu’elle sait du monde et de la vie. Maintenant qu’elle est en âge d’être mariée, ces paroles servent surtout à sa mère pour rejeter les candidats à la main de sa fille, car aucun prétendant ne lui semble ni assez riche, ni assez beau, ni d’assez bonne origine. Pourtant, la splendeur de la famille n’est qu’un lointain souvenir. L’avenir s’annonce donc difficile pour la jeune fille, quand… un petit moineau va être l’instrument de son destin.

Ce court roman narre avec humour et humanisme l’éveil des sentiments et l’apprentissage d’une jeune fille. Sous le prétexte d’une fable, avec légèreté et un grain de férocité, l’auteur parle aussi de l’Inde profonde, celle des préjugés et des superstitions, qui s’ouvre lentement, trop lentement, à la modernité dans les années qui suivent l’indépendance. C’est un récit optimiste, la jeune fille se libère en apprenant à lire et en sortant de son ignorance.

Grand-père avait un éléphant, publié pour la première fois en Inde en 1951, fait partie de la sélection pour le prix 2013 du meilleur roman des lecteurs de Points, décerné prochainement.

Vaikom Muhammad Basheer, né et mort au Kérala, est l’un des plus importants écrivains de langue malayalam. Très jeune, il a participé aux combats de libération de l’Inde, à la marche du sel en particulier, ce qui lui a valu d’être emprisonné. Il a exercé divers métiers avant de se consacrer à la littérature. Ses romans et ses nouvelles sont écrits dans un style simple, toujours accessible et faussement naïf, Basheer usait volontiers de tournures populaires, ce qui lui a parfois été reproché par les critiques de son pays. Un de ses romans, autobiographique, Mathilukal (les Murs), a été porté au cinéma en 1990 par Adur Gopalakrishnan, avec Mammootty dans le rôle de l’auteur, et a obtenu plusieurs récompenses.

Fiche bibliographique :
Grand-père avait un éléphant
Vaikom Muhammad Basheer
Traduit du Malayalam par Dominique Vitalyos
Points,novembre 2012, 156 pages, glossaire, table
ISBN : 978.2.7578.3098.7

Bombay Baby de Sonia Faleiro, paru en avril 2013

Dans un genre très différent, Bombay Baby convie le lecteur à une sorte de voyage en eaux troubles. Ce livre n’est pas un roman, l’ouvrage se présente comme un reportage littéraire, une immersion dans le milieu des dance bars de Bombay… L’auteur, journaliste et écrivain, s’est glissée dans le quotidien des femmes dont le métier est de danser tous les soirs dans ces établissements, sur des musiques de Bollywood, devant une clientèle exclusivement masculine qui glisse des billets dans leurs saris. Sonia Faleiro est devenue l’amie de l’une d’entre elles, Leela, et a pu librement rencontrer ses proches, son ahurissante mère, Priya sa complice, Masti la transexuelle et bien d’autres.


Grâce à la jeune femme, l’auteur a réussi à obtenir les confidences aussi bien des patrons de dance bars, que des caïds d’une pègre qui rôde toujours autour de ces lieux, ou encore de certains clients et d’autres danseuses, et aussi des hijras (travestis) des quartiers voisins. Elle nous fait, crûment mais sans voyeurisme, découvrir des réalités souvent glaçantes, qui n’excluent cependant pas la chaleur humaine, un sens de la solidarité et un humour qu’on n’attend pas là. Car misère, violence, prostitution et sida ne sont jamais loin. Tomber dans le piège du misérabilisme et du sensationnel était aussi un risque que l’écrivain a su éviter.

L’enquête menée durant cinq ans a commencé à la veille d’une campagne de moralisation des autorités du Maharashtra. En avril 2005, sous un prétexte fallacieux, la lutte contre les « comportements obscènes », le gouvernement de l’Etat maharathi, décida de fermer ces bars, sans pour autant prendre des mesures pour recaser les danseuses ou les autres employés qui y travaillaient. La décision devint effective en septembre, laissant sur le carreau et souvent sur le trottoir nombre de ces femmes qui ne connaissaient pas d’autre métier et étaient inadaptées à un travail de bureau ou de commerce. Car l’auteur ne masque pas leurs faiblesses.

L’interdiction a été levée le 16 juillet 2013 par la Cour suprême indienne, après huit ans de fermeture. Trop tard sans doute pour Leela et ses amies que l’on accompagne quelque temps dans leur quête d’un avenir meilleur, puis d’un avenir tout court. On ne sort pas indemne de ce document passionnant et jamais complaisant et on éprouve la même empathie que l’enquêtrice pour cette jeune femme qui voulait vivre libre et qui, en fuyant son village à l’âge de 13 ans, a pris le risque d’une existence plus dure encore à Bombay, puis à Dubaï.

Sonia Faleiro est née à Goa et a grandi à New Delhi. Elle vit aujourd’hui à San Francisco et écrit des reportages engagés dans des publications indiennes et américaines. Elle est aussi l’auteur d’un roman, Girl , paru en 2005. Son document-coup de poing, publié en anglais sous le titre Beautiful Thing, a été accueilli comme le meilleur livre de l’année 2011 par de grands médias comme The Economist, The Guardian et The Sunday Times. Un collectif d’ONG lui a aussi décerné un prix, le Karmaveer Puraskaar, pour son engagement pour la justice sociale. Pour en savoir plus, son site, en anglais.

Fiche bibliographique :
Bombay Baby
Sonia Faleiro
Reportage littéraire traduit de l’anglais par Eric Auzoux
Actes Sud, 2013, 302 pages
ISBN 978-2-330-01766-8

Et pour d’autres voyages au long cours… l’Inconnue de Bangalore, un polar d’Anita Nair, et aussi les derniers livres d’Amitav Ghosh vous attendent.

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