A.R.Rahman : analyse d’une victoire
Publié jeudi 26 février 2009
Dernière modification samedi 8 mars 2014
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Tout a été dit ou presque sur Slumdog Millionaire, des Golden Globes aux Oscars en passant par les BAFTA, le film de Danny Boyle a tout raflé !
C’est la consécration suprême pour A.R.Rahman, le Mozart de Madras qui n’a jamais cessé de s’élever sur la scène indienne et mondiale. De Roja à Slumdog, le compositeur tamoul est passé de Kollywood à Hollywood après s’être imposé à Bollywood. Je vous invite à lire l’excellente biographie signée Ganesh et Maya, qui retrace cette incroyable odyssée.
Extrait de son discours lors de la remise des prix "Elam pugaizum iraivanuke" (Dieu soit loué)
Plutôt que de revenir sur les temps forts de sa carrière et rabâcher la même chose, je tenais à retracer son parcours musical et la réelle importance des Oscars dans sa carrière et pour tout le cinéma indien.
Son sacre, Rahman le doit tout d’abord au réalisateur Maniratnam qui a su le repérer et le prendre sous son aile en lui confiant Roja en 1992. Ensuite, la personnalité posée et l’humilité de Rahman font partie des clés de son succès. Le compositeur n’a pas toujours été porté en triomphe et sa musique a souvent été critiquée. Assourdissant, tapageur ou encore manquant d’essence indienne, on a tout reproché à son travail, mais personne ne peut contester le magnétisme que dégage sa musique. Qu’importent les avis, la force du Mozart de Madras est de prendre les appréciations et les dépréciations avec la même mesure. Difficilement accessible et à la fois, progressivement envahissante, la musique de A.R.Rahman est infectieuse.
Thamizha thamizha - Roja
Le secret de sa formule ? Une orchestration surprenante et prenante, une liberté totale laissée aux chanteurs et la volonté d’imprégner ses partitions d’une certaine spiritualité. Rahman fait souvent référence à Dieu, et quelques-unes de ses chansons sont directement imbibées de soufisme, le mouvement religieux dont il fait partie.
Au début des années 90, lorsque Rahman arrive à Kollywood, le Maestro Ilaiyaraja règne sans partage sur la scène musicale tamoule. Le jeune compositeur a longtemps été aux claviers des studios du Maestro et ils ont collaboré pour de nombreuses B.O. comme sur le thème musical de l’inoubliable Punnagai Mannan.
Lorsque Maniratnam se tourne vers Rahman, après sa séparation avec Ilaiyaraja pour différence artistique, la rivalité est déjà en marche. Même si l’un et l’autre démentent toute hostilité professionnelle, les médias ne cessent d’y voir une passation de pouvoir, ce qui est dans un sens, une réalité. Pour prétendre à la place d’une légende comme Ilaiyaraja, Rahman est amené à faire ses preuves dans de nombreux styles : mélodie, classique, folklorique ou encore la pop façon Rahman touch !
Urvasi - Kadhalan
En ne se cantonnant pas à un genre particulier, Rahman a beaucoup expérimenté, en mélangeant toutes ses influences musicales. La scène musicale indienne a complètement changé après son avènement, et on a observé l’émergence d’un style Rahman que de nombreux compositeurs ont repris et continuent à reprendre. Pour exemple, si vous écoutez les B.O. hindi et tamoules du début des années 90, la plupart des chansons respirent du Laxmikanth-Pyarelal ou R.D.Burman au nord et Ilaiyaraja au sud. D’autres musiciens voulant occidentaliser la musique indienne, n’hésitaient pas à plagier des titres internationaux comme Anu Malik (sans doute le père spirituel de Pritam). L’après-Roja est sans doute la meilleure période de Rahman et il a confirmé tout l’espoir placé en lui, en livrant coup sur coup, des albums retentissants.
Après avoir conquis Chennai, Rahman part à la conquête de Bollywood grâce à Ramgopal Varma avec Rangeela. Etre tamoul n’a jamais été un critère attrayant pour réussir dans le nord. En effet, le mépris de l’industrie du cinéma de Bombay qui a toujours dénigré les cinémas régionaux, a toujours repoussé les ténors du sud comme Ilaiyaraja ou S.P.Balasubramaniam. L’un et l’autre, ont rarement travaillé à Bombay malgré leurs incroyables succès dans Sadma (1983) et Hum Aapke Hain Koun… ! (1994). Paradoxalement, l’hypocrisie de Bollywood est de se servir dans ces industries, de ses meilleurs techniciens pour redresser le niveau technique de ses films. Rares sont les personnalités à avoir apprécié ces talents à leur juste valeur, on peut citer Big B, Shahrukh Khan et Aamir Khan qui les ont souvent mis en avant dans leurs films.
Rahman fait une percée remarquable avec Rangeela en 1995, mais c’est dans un premier temps avec Dil Se… (1998), puis Taal (1999) et enfin Lagaan (2001) qu’il explose à Bombay. Le reste de son parcours ne manque pas de faire grincer les dents (Anu Malik et le duo Salim-Sulaiman en tête), tant sa réussite est insolente. Mais sa simplicité ne lui a jamais fait défaut et c’est là l’étonnante qualité du bonhomme.
Dans les années 2000, les récompenses ne tarissent pas mais la qualité a visiblement décliné, ceci est largement dû aux nouveaux engagements internationaux, comme la comédie musicale Bombay Dreams, qui lui laissent peu de temps pour ses bandes originales indiennes.
Shakalaka baby - Bombay Dreams
Le passage à vide n’est que de courte durée et Rahman ne tarde pas à réintégrer le paysage cinématographique indien et à y retrouver son statut. Pour la suite, sa rencontre avec Danny Boyle, les Golden Globes, les BAFTA et maintenant les 2 Oscars, c’est tout simplement historique.
Beaucoup de fans estiment que l’album de Slumdog Millionaire n’est pas d’un niveau exceptionnel comparé aux meilleures heures de Rahman. Mais l’excellente promotion du film, Danny Boyle aux commandes, l’intéressante base qu’est le livre de Vikas Swarup et enfin, toute l’agitation créée autour de ce long métrage finalement assez ordinaire, ont aidé à le placer au centre de tous les intérêts.
Dans le genre néoréaliste avec des performances poignantes, un scénario captivant et une musique originale, le cinéma indien en a produits des meilleurs par le passé et continue de le faire. La réussite de Slumdog Millionaire n’est de ce point de vue, pas complètement justifiée et beaucoup de films indiens mériteraient sa place. Enfin, au niveau musical, combien de talents exceptionnels ont vu le jour en Inde ? R.D.Burman, Ilaiyaraja, Laxmikanth-Pyarelal, etc., toutes ces personnalités auraient mérité une reconnaissance internationale.
En parlant des Oscars, une question me taraude l’esprit, est-ce que les Oscars du cinéma américain ont l’équivalence des titres olympiques consacrant un sport au niveau international ? Certainement pas, obtenir un Oscar n’est pas comme gagner une coupe du monde, cela reviendrait à diminuer la portée des autres prix nationaux et internationaux comme les Palmes d’or de Cannes. Un Oscar a la même importance qu’un Goya, un César ou un Filmfare, alors pourquoi le placer comme LA récompense ultime du métier ?
Tout cela pour dire que l’Oscar n’est pas un aboutissement dans la carrière de Rahman, mais uniquement un prix supplémentaire dans son palmarès déjà bien fourni en titres prestigieux. La seule chose à retenir de ce parcours, c’est qu’un homme talentueux et humble a justement été récompensé sur la scène internationale.
Le talent et le star-système sont deux choses bien distinctes, ainsi, entre une Aishwarya Rai au talent relatif qui traîne sa moue bouffie de tapis rouges en tournages de séries Z (la suite de la Panthère Rose par exemple) et un talent brut comme Rahman qui n’en fait jamais trop, il y a un monde. Personnellement, c’est rassurant de voir le talent mis à l’honneur aux dépens du glamour, car l’omniprésence médiatique d’Aish éclipse parfois et de manière injuste, d’autres personnalités indiennes qui mériteraient d’être sous les feux des projecteurs.
Enfin A.R.Rahman n’oublie pas ses racines tamoules et ses quelques mots en tamoul lors de son discours : « Elam pugaizum iraivanuke » ("Dieu soit loué") cristallisent l’admiration et montrent qu’il n’a pas oublié d’où il vient.
Avec un Tamoul sur le toit du monde, c’est tout le Tamil Nadu et toute l’Inde qui sont à l’honneur !
A.R.Rahman et sa femme Saira Banu aux Oscars
Merci Rahman !