Aayutha Ezhutu
(lettre composée de 3 points : ?)
Langue | Tamoul |
Genres | Drame, Mélodrame / Romance, Film d’action, Films sociaux |
Dir. Photo | Ravi K. Chandran |
Acteurs | Surya, Siddharth, Trisha, Madhavan, Meera Jasmine, Esha Deol, P. Bharathiraja |
Dir. Musical | A. R. Rahman |
Parolier | Vairamuthu |
Chanteurs | Shankar Mahadevan, A. R. Rahman, Adnan Sami, Madhushree, Karthik, Lucky Ali, Shalini, Sujatha, Sunitha Sarathy, Blaaze |
Producteurs | Mani Ratnam, G. Srinivasan |
Durée | 155 mn |
La politique est un sujet que Mani Ratnam semble avoir particulièrement à cœur, il en avait déjà traité dans Iruvar et bon nombre de ses réalisations ont un message patriotique fort, comme Roja ou Bombay. Il faut croire que ce film lui a semblé important, pour qu’il décide de le réaliser en deux langues. En effet, même si aujourd’hui Mani Ratnam est reconnu à l’échelle de toute l’Inde et si ses films sont souvent doublés ou font l’objet de remakes, il a décidé pour ce projet de réaliser lui-même le film deux fois : une version en tamoul (Aayutha Ezhutu) et une version en hindi (Yuva) avec deux castings différents mais le même scénario et le même message.
Les deux films abordent le thème de la jeunesse indienne actuelle, sous trois aspects différents mais complémentaires. Dans Aayutha Ezhutu, ce sont Imbasekar (Madhavan) l’orphelin élevé dans la rue et tombé dans le banditisme qui tue et vole en toute indifférence, Michael (Surya) le génial et charismatique leader étudiant qui veut agir politiquement pour faire avancer le pays dans le bon sens, et Arjun (Siddharth) le jeune diplômé insouciant qui ne pense qu’à s’amuser et rêve de partir travailler aux USA pour mener une vie facile.
Ils forment également trois couples : Imbasekar et Sasi (Meera Jasmine) le couple passionnel qui s’adore et se déteste en même temps, Michael et Gitanjali (Esha Deol) les amis d’enfance, Siddharth et Meera (Trisha) le jeune couple insouciant et en manque de repères qui découvre la vie et l’amour.
Les trois histoires s’entrecroisent dans une narration éclatée qui, à partir du moment M où les trois se font face, utilise de multiples flashback pour nous raconter qui ils sont et comment ils sont arrivés là. Tout au long du film les personnages se croisent et interagissent entre eux jusqu’à une titanesque confrontation finale. Imbasekar est au service du politicien corrompu que les actions de Michael menacent directement ; au contact de Michael, Arjun va grandir en trouvant une cause pour laquelle se battre, qui va donner un sens à sa vie.
Aayutha Ezhutu est ancré dans la réalité sociale et politique de l’Inde actuelle, tous ses personnages sont une façon de la dépeindre. Il dresse un portrait assez précis et pas forcément reluisant d’une certaine jeunesse indienne qui face à un manque de repères et d’idéaux n’a que trois solutions pour avancer et bâtir son avenir : le banditisme, la politique, ou la fuite à l’étranger - et les deux premiers en Inde comme dans bien d’autres pays, sont étroitement liés. En filigrane le film dénonce surtout haut et fort un fait dramatique bien réel : la fuite des cerveaux qui appauvrit l’Inde. Si les plus brillants partent à l’étranger, seuls restent les mauvais qui comme Imbasekar gangrènent le pays et l’amènent là où il est maintenant : rongé par la corruption et miné par la pauvreté en dépit d’un potentiel énorme.
Se livrer au jeu des comparaisons entre les deux versions pourrait paraître facile, mais bien qu’elles aient toutes les deux le même réalisateur et le même scénario, elles n’en demeurent pas moins très différentes. Pour avoir vu les deux versions, il ressort que chacune a sa personnalité.
La différence entre Yuva et Aayutha Ezhutun’est pas des moindres : elle vient du casting, élément clé pour le fonctionnement des deux films étant donné la multitude de personnages.
De manière générale, le grand plus de la version tamoule Aayutha Ezhutu est la qualité des acteurs. Ils sont tous parfaitement crédibles dans leur rôle ce qui n’est pas forcément le cas de Yuva.
Madhavan en voyou madrasi est absolument saisissant : crâne rasé, moustache longue, il a de plus le physique de l’emploi, étant naturellement doté d’une bonne carrure. Son interprétation est saisissante de réalisme, il parvient sans problème à nous faire oublier les rôles de jeune citadin branché auxquels il nous a habitués depuis ses débuts. Il faut dire que son personnage est le mieux écrit, car même dans Yuva l’acteur le plus impressionnant reste aussi Abhishek Bachchan.
Siddharth et Trisha en jeunes insouciants sont aussi très bons. Non pas qu’ils jouent toujours juste, mais ils ont l’âge du rôle et donc un certain naturel dans leur comportement naïf et immature, que des acteurs plus âgés comme Vivek Oberoi et Kareena Kapoor ne peuvent pas tout à fait reproduire malgré leur talent.
La différence majeure vient aussi du personnage central de Michael, qui est ici interprété avec une grande justesse par Surya. Comme Siddharth et Trisha, il a l’âge du rôle, ce qui le rend d’entrée plus crédible, mais aussi le physique de quelqu’un qui prône l’action et est le premier à donner l’exemple. Il exprime à la perfection l’arrogance et la colère de son personnage, mais lui donne aussi un charisme assez impressionnant qui magnétise l’écran. Autant de qualités qui me semblent manquer dans l’interprétation stoïque d’Ajay Devgan.
Concernant l’histoire dans sa logique elle-même, Yuva m’avait laissé une impression d’inachevé : elle ne me semblait pas fonctionner tout à fait. Aayutha Ezhutu m’a éclairé sur ce problème. Il est en effet doté d’une scène supplémentaire essentielle : une confrontation intermédiaire entre Imbasekar et Michael, les deux personnages qui dominent le film, qui a tout d’un choc des titans. Une scène particulièrement intense entre deux très fortes personnalités, empreinte d’une violence retenue qui ne le reste pas longtemps et qui donne un tout autre poids aux relations entre ces deux personnages centraux : le film n’est plus le même.
La violence est un des thèmes majeurs du film. Cette jeunesse semble y baigner complètement, non pas tant la jeunesse dorée du couple Arjun-Meera encore qu’ils soient tout de même amenés à y faire face, que celle au contact avec la population et des problèmes sociaux, représentée par Michael et Imbasekar. Les affrontements sont inévitables et nombreux, et culminent avec cette scène d’anthologie où ils se battent sur le pont de Madras aux heures de pointe avec voitures et camions qui les frôlent de tous côtés. La qualité des scènes d’action est un gros plus du film. Loin d’être désordonnées et filmées avec une caméra qui bouge sans cesse, censée accompagner la violence de la scène, ici tous les coups sont parfaitement chorégraphiés avec une fluidité de mouvements étonnante, filmés par une caméra stable qui capte chaque geste. Les scènes semblent couler de source, tout paraît simple et compréhensible, même le fait que Imbasekar désarçonne un motocycliste qui passait pour lui voler sa moto, ou le fait que, jeté à terre par Michael, il attrape au passage l’enjoliveur d’une voiture pour lui casser la tête avec. Il y a une inventivité certaine dans cette scène puisqu’elle ne se contente pas de se situer dans cet environnement stressant où, à tout moment, ils peuvent se faire écraser, mais elle joue avec lui en les faisant interagir avec les véhicules qui passent.
D’un point de vue technique, ces scènes de combat s’accompagnent de quelques effets numériques réussis et indécelables, et d’une alternance dans les vitesses utilisées. On saura gré à Mani Ratnam de n’avoir pas abusé des accélérés-ralentis dans l’image qui sont devenus redondants dans les films d’action indiens depuis Company. Même s’il y en a quelques-uns, je retiendrai surtout la vitesse de défilement des images : on passe souvent de 24 à 25 images par seconde, ce qui donne à certains échanges une nervosité et une intensité plus grande, car les coups sont plus rapides, comme en vidéo, sans que cela ne se remarque autant qu’un effet de ralenti.
En termes d’image, la photographie et le travail de la caméra sont différents. Dans Aayutha Ezhutu, l’image est colorée, l’accent a été mis sur les différences de tons alors que dans Yuva, elle me semble plus homogène. Chaque histoire a sa couleur, un peu comme dans Traffic de Soderbbergh : Madhavan pour le rouge-orangé, Michael pour le vert, et Siddharth pour le bleu. Tout est filmé d’une autre façon que Yuva, y compris les scènes de chanson, ce qui donne une autre vision de la même histoire. Cela n’allait pas de soi puisque Saathiya, le remake hindi de Alaipayuthey de Mani Ratnam, en était la copie consentante au plan près. Rien de commun ici, il y a un réel retravail qui rend intéressante la confrontation des deux versions, indépendamment du casting.
Au final, les deux versions méritent d’être vues pour se faire un avis, mais il me semble que la qualité des interprétations de Aayutha Ezhutu par rapport à Yuva et le fait que l’histoire y soit légèrement plus cohérente, font la différence.
Quoi qu’il en soit, si l’un comme l’autre ne sont pas les meilleurs films de Mani Ratnam, l’ensemble s’avère un exercice de style intéressant notamment du point de vue narratif où il est une sorte de prolongement de Alaipayuthey et Saathiya, le binôme précédant du maître.
Face aux questions sociales qu’il aborde, Aayutha Ezhutu prend clairement parti pour la solution politique, il lance même un message fort à l’adresse de la jeunesse indienne en prônant l’action politique concrète. Le personnage central est clairement celui de Michael, c’est lui qui exprime le plus parfaitement le message du film :
le futur est entre les mains de la jeunesse et il est ce que vous en ferez, agissez !!