Chakravyuh
Traduction : Labyrinthe
Langue | Hindi |
Genre | Film de guerre |
Dir. Photo | Sachin Krishn |
Acteurs | Arjun Rampal, Om Puri, Abhay Deol, Manoj Bajpai, Kabir Bedi, Anjali Patil, Esha Gupta |
Dir. Musical | Salim-Suleiman, Shantanu Moitra, Aadesh Shrivastava, Sandesh Shandilya, Vijay Verma |
Paroliers | Irshad Kamil, A. M. Turaz, Ashish Sahu, Panchhi Jalonvi, Shradha Pandit, Sidharth, Suhas |
Chanteurs | Kailash Kher, Sunidhi Chauhan, Sukhwinder Singh, Salim Merchant, Benny Dayal, Shadaab Faridi, Shaan, Siddharth, Suhas, Aadesh Shrivastava |
Producteur | Prakash Jha Productions |
Durée | 147 mn |
Chakravuyh nous plonge dans la lutte actuelle entre l’Etat indien et la rébellion naxalite. Quelques mots d’introduction sont certainement nécessaires pour ceux qui ne sont pas au fait de ce conflit larvé.
Le naxalisme, fondé en 1967, est à la base un mouvement révolutionnaire maoïste en révolte contre les grands propriétaires terriens et au profit des petits paysans. Sa doctrine a évolué au fil du temps, des scissions, et des recompositions. Elle s’appuie cependant toujours sur les « masses paysannes » et il ne se passe pas de jour sans que des incidents violents en lien avec la guérilla maoïste ne soient rapportés. Accrochages avec la police ou l’armée, assassinats, extorsion ou enlèvements sont fréquents, principalement au Jharkhand et en Andhra Pradesh. Cela a fait déclarer au Premier Ministre Manmohan Singh, que l’insurrection naxalite était la plus grande menace à la sécurité nationale que connaissait l’Inde.
L’état tente de combattre la guérilla en mettant en place des moyens policiers toujours plus importants, mais aussi en finançant d’innombrables projets de développements. Ces efforts semblent aujourd’hui porter leurs fruits, car le nombre de morts causés par le conflit a été divisé par 3 depuis 2010. Même si le naxalisme est vraisemblablement entré dans une phase de déclin, il constitue toujours un danger pour l’État indien. En effet, les naxalites parviennent encore à ce jour à trouver des soutiens dans les populations marginalisées, qu’il s’agisse des basses castes, ou des tribus (1) comme c’est le cas dans le film.
Adil (Arjun Rampal) est commissaire divisionnaire (Senior SP) à Bhopal. Après quatre années de traque, il connait enfin son heure de gloire en arrêtant Govind Suryavanshi (Om Puri), un idéologue du mouvement naxalite. Cette action d’éclat est loin d’abattre l’organisation, car 84 policiers perdent peu après la vie lors d’un accrochage à Nandighat, au Bengale occidental. Adil, contre l’avis de sa femme Rhea (Esha Gupta), se porte volontaire pour tenter de restaurer l’ordre dans cette région forestière. La tâche risque d’être rendue d’autant plus difficile qu’un projet minier de grande ampleur se prépare. Il prévoit l’évacuation de 230 villages tribaux, ce que les naxalites ne veulent à aucun prix laisser faire.
C’est le moment que choisi Kabir (Abhay Deol) pour réapparaître. Tête brûlée un peu instable, il faisait partie d’un trio inséparable à l’école de police avec Adil et Rhea. Mais il s’en était fait exclure à la suite d’une bagarre. Et Adil, pétri de droiture, lui en avait gardé une rancune tenace. Pour se faire pardonner, Kabir propose d’infiltrer les naxalites pour aider à l’arrestation des deux chefs locaux : le redoutable Rajan (Manoj Bajpai) et son adjointe Juhi (Anjali Patil)…
Prakash Jha explore dans son cinéma les sujets politico-sociaux de l’Inde d’aujourd’hui. Son film précédent, Aarakshan, évoquait par exemple les problèmes posés par la discrimination positive dans l’éducation. Il s’attaque ici au naxalisme, très actif dans son état natal du Bihar. Le thème semble être tellement sensible qu’il a refusé de prendre parti pour un camp ou l’autre. La police comme les Naxalites font preuve de courage ou commettent leurs lots d’atrocités de manière totalement symétrique, et avec une parfaite égalité de traitement cinématographique. À ménager la chèvre et le chou avec autant de précautions, le propos ne pouvait que perdre terriblement en intensité. Peut-être pour tenter de compenser, il a été facile de désigner des boucs émissaires : les politiciens corrompus et les hommes d’affaires véreux.
Tout comme dans Aarakshan celui qui s’opposait à la discrimination positive en faveur des basses castes était forcément un salaud ; ici, dans Chakravuyh, les élus sont nécessairement des jouets imbéciles entre les mains d’industriels écœurants. Non seulement c’est une rhétorique puérile et démagogique qui n’est pas à la hauteur du sujet, mais en plus elle justifie les pires amalgames. Et puis elle laisse sur le bord du chemin ceux pour lesquels tous les protagonistes sont censés se battre : les populations tribales. Prakash Jha les montre — comment aurait-il pu faire autrement de toute façon —, mais de tellement loin et sans jamais leur donner la parole qu’on finit par les oublier. Comme si police et naxalites avaient perdu le souvenir des raisons qui les ont amenés dans la jungle…
Le premier choc du film n’est pas politique, mais militaire. Dès la première bataille rangée, on est frappé par la totale invraisemblance des combats. Les protagonistes, forts nombreux, se relèvent à découvert et vident les chargeurs inépuisables de leurs kalachnikovs jusqu’à ce qu’un camp entier soit à terre. Pire que dans Rambo 3 ! Si l’on ajoute les satellites de surveillance à la précision fabuleuse, et la puce sous la peau qui permet de localiser n’importe qui à des kilomètres, on se dit que les auteurs sont assez éloignés de la réalité. Ce serait acceptable dans un film d’action grand public à destination des plus jeunes. Mais ici, cela nuit terriblement à la crédibilité d’ensemble.
Rhea, la femme d’Adil et officier de renseignement, interprétée par Esha Gupta constitue elle aussi une nuisance. Comment croire une seconde qu’on confie à cette jeune femme à la moue affectée la tâche d’interroger seule le vieux crocodile de Govind Suryavanshi ? On imagine que le personnage inspiré de Kobad Ghandy fait partie de ces vieux théoriciens pétris de culture historique et politique, qui ont pensé la révolution depuis des décennies. Son arrestation dès le début du film était l’occasion de tracer les contours de la doctrine naxalite. Hélas, faute de répondant à la hauteur, on ne peut que ressentir de la frustration. Suryavanshi ne dit rien, et nous ne saurons pas pourquoi on trouve des guérilleros maoïstes au fin fond de la jungle, 35 ans après la mort du Grand Timonier. Plus grave encore, nous n’apprendrons pas ce qu’ils cherchent en définitive.
Nous ne connaîtrons pas plus le parcours des personnages. On devine Adil conduit là par patriotisme et un sens du devoir candide. Mais c’est beaucoup plus flou en ce qui concerne les naxalites. Ils en sont tous venus à participer volontairement à une véritable guerre où le danger physique est omniprésent. La moindre des choses aurait été d’évoquer ce qui a pu les amener dans ce conflit. Peut-être s’agit-il des enfants radicalisés de Geeta et Siddarth de Hazaaron Khwaishein Aisi. Les personnages du film de Sudhir Mishra étaient inscrits dans une époque où la révolution avait encore un sens, en Inde comme ailleurs. Ils doutaient de leur engagement dans un univers qui les dépassaient, ce qui les rendaient d’autant plus touchants. A l’inverse, Chakravuyh nous montre des brutes sûres d’elles. Une sorte de milice qui erre sans autre but que de tuer des policiers. Nous nous retrouvons dans une histoire superficielle avec des personnages creux auxquels il est difficile de s’attacher. C’est d’autant plus dommage que Prakash Jha avait bravé un tabou en allant rencontrer des naxalites pendant la préparation de son film.
On l’a compris, Chakravuyh ne peut pas se comparer à Shanghai, l’autre film politique sorti plus tôt dans l’année 2012. Certains acteurs délivrent pourtant des performances de premier ordre. C’est le cas d’Abhay Deol ou de Manoj Bajpai, parfaits et inspirés comme toujours. La toute jeune Anjali Patil est admirable d’intensité, tout comme Om Puri tout en retenue. Si le camp des naxalites bénéficie d’un casting remarquable, ce n’est pas le cas de celui de la police. Arjun Rampal est médiocre dans ce film qui le dépasse. Sa voix de baryton est jolie mais clinquante et sans aucune énergie. Il s’est musclé et certainement rasé, comme il faut le faire aujourd’hui pour plaire aux ados cinéphiles. Mais la jungle reculée n’était pas le lieu pour s’exhiber ; pas plus que pour montrer Esha Gupta qui n’a pas sa place ici.
Au fond, le problème principal de Chakravuyh est l’ambition affichée par ses auteurs. S’il s’était agi simplement de faire un film d’action dans la forêt, la déception n’aurait pas été si forte. Mais les grosses ficelles scénaristiques, les acteurs gâchés et la paresse de la réalisation auront raison de la patience des spectateurs attirés par un sujet sérieux. Le pire étant la présence d’un item-number, certes exécuté fort honorablement par la ravissante Sameera Reddy, mais qui parait très décalé dans un film qui évoque une guerre lointaine qui a fait des milliers de morts.
(1) Les Advasi ou aborigènes de l’Inde, appelés tribus — scheduled tribes en politiquement correct indien — constituent une minorité importante du centre-est de l’Inde, dans des régions où la rébellion naxalite est particulièrement active. Ces communautés pauvres vivent en marge du système des castes dans des territoires forestiers souvent convoités par des industriels.