Duplicate, le double de Shah Rukh Khan
Publié jeudi 17 avril 2008
Dernière modification samedi 26 avril 2008
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Interview de Stéphane Barret, Sculpteur au musée Grévin.
Propos recueillis par Amanpreet.
Après avoir rencontré Véronique Berecz, Responsable des Relations Extérieures du musée, pour tout savoir sur la naissance de la statue, Fantastikindia a rencontré Stéphane Barret, l’homme qui a sculpté Shah Rukh Khan. L’enquête continue…
[Fanta-i] : Comment devient-on sculpteur au musée Grévin ?
[S.B.] : A la base j’ai une formation technique, mais je n’ai aucune formation en sculpture. Après des études de designer produit, j’ai travaillé en entreprise mais mon seul plaisir était de rentrer le soir pour faire de la sculpture. Donc à un moment donné, j’ai bifurqué. J’ai travaillé dans des ateliers de décors et, au moment où le musée s’est ré-agrandi, j’ai rejoint l’équipe. Mais je ne travaille pas que pour le musée : je fais aussi de la maquette de produit et de l’hyperréalisme (la reproduction à l’identique de l’humain ou de l’animal)… En fin de compte, il n’y a pas d’école, il faut vraiment travailler « sur le tas » pour apprendre ce genre de métier.
[Fanta-i] : Combien de sculpteurs êtes-vous pour réaliser les personnages ?
[S.B.] : Nous sommes trois sculpteurs au musée, je suis le dernier arrivé, puisque les deux autres sculpteurs, Eric et Claude, sont entrés il ya 25 ans. Moi ça fait un peu moins de 4 ans. Il faut vraiment un temps d’adaptation et d’apprentissage avant de vraiment maîtriser le travail. Il faut pratiquer et il faut modeler… Et puis, il y a une façon de regarder les personnages, un regard spécifique qui se développe avec l’expérience…
[Fanta-i] : Etes-vous seul à travailler sur un personnage, ou travaillez vous à plusieurs ?
[S.B.] : Pour la sculpture, je suis seul. Mais en travaillant seul, arrive un moment où on se perd, où on a une vision un peu faussée. On a besoin en permanence d’avoir un avis extérieur. C’est pourquoi Pascale Saint Rémy Pélissier, la directrice artistique du musée, et Véronique Berecz, la responsable des Relations Extérieures du musée, viennent régulièrement pour voir l’avancement des travaux et donner leur avis. Quand on a la possibilité de voir une deuxième fois la personnalité au cours de la réalisation de sa statue, c’est un plus parce que le fait d’avoir le modelage et la personnalité l’un à côté de l’autre, automatiquement, on voit tout de suite les petits détails qui peuvent éventuellement faire « faux ». C’est vrai que pour Shah Rukh Khan, ce n’est pas facile. C’est quelqu’un de très pris apparemment (rires), donc la validation a été effectuée par l’équipe en interne, et il a validé des photos du modelage qui lui ont été envoyées.
[Fanta-i] : Pour parler de Shah Rukh Khan justement, une rencontre à Londres a eu lieu en juillet 2007 : comment avez-vous été reçu ?
[S.B.] : Cela c’est super bien passé. C’est vraiment quelqu’un de très disponible et charmant. Pendant les trois à quatre heures de rendez vous, il s’est vraiment mis à notre disposition et on voit qu’il est très professionnel. II a su précisément quoi faire quand on lui demandait quelque chose, comment se placer au niveau des photos et c’est très important. C’est vraiment une phase où il faut un maximum de photos dans l’attitude choisie avec la bonne pose, la bonne expression etc. C’est vrai que là, il était super. Tout s’est déroulé parfaitement et comme prévu. Lors de ce genre de séance, on prend entre 300 et 400 photos, on prend les mesures, on fait une empreinte des mains, on vérifie également la couleur des yeux, des cheveux, l’implantation des cheveux, etc.
[Fanta-i] : Vous basez-vous uniquement sur ces photos pour effectuer votre travail ?
[S.B.] : Oui on se base essentiellement sur ces photos pour travailler ensuite. J’ai des photos partout dans mon atelier pour avoir vraiment un maximum d’informations et de détails visuels sur la personnalité. On pousse le détail jusqu’à avoir le grain de peau, et on ne voit absolument pas ce genre de détails dans les images qu’on trouve habituellement.
[Fanta-i] : Avant le rendez vous, devez-vous effectuer un travail de préparation pour « rentrer » dans le personnage en visionnant des films ou en visionnant des montages vidéo ?
[S.B.] : Pas spécialement, parce que notre regard peut être faussé par l’image de la presse ou l’image vidéo. Par exemple, pour le cas de Shah Rukh Khan, il y a très peu de vidéos en « très gros plan ». Beaucoup le montrent en mouvement, avec des éclairages artificiels, et c’est difficile d’avoir un avis là-dessus. Sur les photos c’est un peu pareil. Donc je préfère m’immerger dans le personnage au moment du rendez-vous pour ne pas me donner des « idées fausses ». C’est sûr que j’ai une tonne de documents avant le rendez-vous pour avoir quelques informations sur la personnalité, mais je ne vais pas beaucoup plus loin. Par contre, je regarde son attitude. Pour Shah Rukh Khan j’ai visionné avant de le rencontrer un de ses films, pour voir quel genre de personnage il incarne. Je le connaissais très peu.
[Fanta-i] : Dans ce cas, comment faites-vous pour choisir l’attitude qu’adoptera la statue de la personnalité ?
[S.B.] : Alors pour l’attitude de Shah Rukh, une recherche photographique a été effectuée avant pour voir le genre d’attitude qu’il prend habituellement, soit au quotidien, soit dans ses films. Une présélection est faite par Pascale Saint Rémy Péllissier, la directrice artistique, et la direction ainsi que Véronique donnent également leur avis. A partir de là, au moment du rendez-vous, on propose à la personnalité les deux ou trois poses présélectionnées pour qu’il en choisisse une.
[Fanta-i] : Donc, c’est quand même lui qui décide ?
[S.B.] : C’est quand même lui qui décide mais par rapport à la présélection. Nous devons tenir compte dans ce choix de la situation de la statue dans le musée, il faut qu’elle s’intègre à l’ensemble. Pour Shah Rukh Khan, sur les photos on retrouvait toujours un peu la même attitude, très naturelle, sans trop poser. Et il a tout de suite dit « oui oui pas de problème, je me sens bien dans cette attitude ». Même au niveau de sa coiffure, il a une coiffure plutôt comme « tous les jours » et pas comme dans ses films. Dans ses films, il est toujours un peu plus « tiré » au niveau de la coiffure. Là, il a simplement dit « moi je veux être naturel, sans gel ou quoi que ce soit. »
[Fanta-i] : Connaissiez vous un peu les films indiens avant ?
[S.B.] : Très peu. J’avais bien entendu parler des films de Bollywood avant, c’est une tendance qui se développe depuis quelques années mais je n’avais jamais vraiment eu le temps de visionner des films. Donc j’avais très peu de contacts avec cet univers.
[Fanta-i] : C’est peut-être plus facile de faire le personnage de quelqu’un qu’on ne connaît pas du tout, parce qu’on a un regard plus neutre, non ?
[S.B.] : Je crois surtout qu’on ne connaît pas les gens. Même si on les voit à la télé, le jour du rendez-vous, je ne vais pas dire que c’est quelqu’un d’autre, mais on le voit véritablement dans toutes les positions, dans toutes les attitudes : de dos, de profil, etc. Et à partir de là, la vision est complètement différente. Donc, le connaître ou pas, pour moi, ça ne pose aucun problème.
[Fanta-i] : Et le costume, est-ce que c’est lui qui l’a choisi ?
[S.B.] : Le costume, il nous l’a envoyé dernièrement. Je crois qu’il nous en a envoyé deux. Il nous a envoyé quelque chose de super, avec l’attitude, ça va faire un beau personnage.
[Fanta-i] : Pour nous donner des indices, c’est plutôt une tenue traditionnelle ?
[S.B.] : Non, pas du tout. Il est en jean et veste en cuir.
[Fanta-i] : C’est vraiment très naturel alors.
[S.B.] : Il a voulu que son personnage soit très naturel. Et je pense que c’est bien parce que, par rapport à ce que l’on disait tout à l’heure, c’est un acteur qui a un rôle à jouer dans ses films et par rapport à ses fans, c’est bien de le voir un petit peu au naturel.
[Fanta-i] : Vous avez une idée du décor qu’il y aura autour de lui, de l’univers qui sera créé ?
[S.B.] : Oui, ils sont en train de créer tout un décor de style indien dans les ateliers.
[Fanta-i] : Vous devez être content quand même que le projet touche à sa fin ?
[S.B.] : Oui parce qu’on s’immerge dans le personnage. Je ne vais pas dire qu’on vit avec mais c’est pratiquement le cas. Je suis avec les photos toute la journée. Il faut, à tout moment, essayer de capter le détail, la petite chose qui va faire la différence. On me pose souvent la question « qu’est-ce qui est le plus difficile à faire sur un personnage ?" : le plus dur c’est l’assemblage de l’ensemble. Le moindre détail fait que, s’il n’est pas là, ce n’est pas lui. Ce n’est pas spécialement le nez, le regard ou la bouche, c’est vraiment l’ensemble qui fait que le personnage est réussi ou non. Si je réussis quelque chose et pas autre chose, ça n’ira pas. Et donc, ce qui est le plus difficile en termes d’hyperréalisme, c’est d’arriver à capter la totalité des détails. C’est pour cette raison que les photos sont très importantes. Tel petit détail sur une vue de coté, il faut essayer de le retrouver sur la vue de face, sur la vue de trois quarts… et ce qui est compliqué en modelage c’est d’arriver à saisir ce petit détail.
[Fanta-i] : Justement, pourriez-vous nous rappeler toutes les étapes de A à Z ?
[S.B.] : Oui. La première étape c’est celle de la prise de photos, des mesures, tout ce qui est empreinte de mains, couleur des yeux, couleur des cheveux, couleur de la peau. A partir de là, j’attaque le modelage de la tête jusqu’à validation du modelage en terre. Ensuite, un moule en silicone est réalisé. C’est un moule souple, par-dessus, qui permet, une fois que c’est démoulé, de faire un tirage en cire à l’intérieur. La cire est chauffée, une fois liquide elle est coulée dans le moule, et lorsqu’elle est solidifiée, on enlève le moule. Là, on a une épreuve (NDLR : un premier exemplaire destiné à subir d’éventuelles modifications) en cire. Ensuite, la première étape, c’est la mise en place des yeux. On vient par l’intérieur ouvrir l’œil et mettre en place les « faux yeux », la réplique des vrais. Puis, les cheveux sont implantés un par un, ainsi que les sourcils et les cils. Une fois que l’implantation est terminée, le maquillage est effectué à la peinture à l’huile, avec tous les détails, notamment le grain de la peau. Même le moindre grain de beauté, petit défaut, petite tache, doit être respecté. Moi en parallèle, je supervise globalement toutes les étapes, puisqu’une fois que j’ai fini le modelage, je n’ai « plus rien à faire » sur le personnage, sauf le corps.
[Fanta-i] : A-t-on le droit à l’erreur pendant le maquillage ? Peut-on « effacer » pour « recommencer » ?
[S.B.] : Oui. Il y a souvent des problèmes de teintes entre les éclairages des ateliers et celui du musée. Du matin au soir, on est en permanence en train de descendre ou de monter la statue, et de la comparer aux photos.
[Fanta-i] : Le corps suit la même procédure ?
[S.B.] : C’est le même procédé, mais par contre ce n’est pas un tirage en cire, pour un problème de fragilité, c’est un tirage en résine : le corps est en « dur ». Mais c’est la même exigence : on regarde l’attitude par rapport aux photos qui ont été prises de la personnalité en entier, on regarde si le bras est bien placé, si l’attitude est bonne, si c’est cohérent par rapport à lui. C’est une discussion permanente, entre moi, la directrice artistique, la directrice du musée, et puis les gens qui implantent, les gens qui maquillent, parce qu’il faut arriver à la perfection, donc il faut en permanence se demander si ça va, si ça ne va pas, si c’est bien ou si ce n’est pas bien. On fait des modifications de maquillage, au niveau de l’implantation, au niveau des sourcils, on se dit que c’est un petit plus haut ou un petit peu plus bas, ça serait bien si c’était comme ci ou comme ça… Enfin bon, c’est une discussion permanente pour arriver à quelque chose de bien.
[Fanta-i] : Alors il faut avoir le costume avant de procéder au maquillage du corps ?
[S.B.] : C’est toujours bien, mais bon, ce n’est pas toujours possible. Le costume est discuté au moment du rendez-vous avec la personnalité : on détaille la tenue, les chaussures, on décide qui fournit les vêtements… Shah Rukh Khan nous avait dit « je vous fournirai la totalité ». On savait qu’il allait être avec son haut blanc comme souvent, mais on ne savait pas s’il voulait porter une veste ou un blouson. Pour le pantalon, on savait que ce serait un jean. On a besoin de savoir par exemple s’il aura la chemise plus ou moins ouverte : si la chemise était plus ouverte, il aurait fallu qu’on descende un peu plus la sculpture. Même au niveau des mains, on moule les mains à peu près jusqu’au poignet, et s’il avait voulu avoir les bras dégagés il aurait fallu qu’on le sache dès le départ pour pouvoir faire un moulage beaucoup plus haut.
[Fanta-i] : Le jour de l’inauguration approche (le 28 avril), est-ce que cela se ressent au sein de l’équipe ?
[S.B.] : Ah oui, la validation approche, le personnage est fini, il y a juste deux ou trois petits trucs à achever. Le décor est également presque terminé. Et on se lance dans la phase de préparation pour l’inauguration.
[Fanta-i] : Comment réagissent les personnalités en face de leur double, en général ?
[S.B.] : Toujours très bien, ils sont parfois très émus.
[Fanta-i] : Pour finir, je vais vous demander quel est votre personnage préféré !
[S.B.] : Ah, c’est dur cette question ! Le préféré c’est toujours celui qu’on vient de terminer. c’était Stéphane Bern hier, c’est Shah Rukh aujourd’hui. J’ai retravaillé dessus cet après-midi, parce qu’il y a encore des petites retouches… Je crois que celui que je préfère c’est toujours le dernier parce que plus ça va, plus j’essaye de pousser les choses un peu plus loin dans la ressemblance. C’est vrai que je suis de plus en plus exigeant et satisfait de mon travail. Donc à l’instant présent, c’est Shah Rukh Khan que je préfère. Il va être très bien, et très beau.
Nous remercions une nouvelle fois Mme Véronique Berecz pour sa disponibilité, ainsi que M. Stéphane Barret pour nous avoir accordé cette interview particulièrement intéressante.