Dus Kahaniyaan
Traduction : Dix contes
Langue | Hindi |
Genre | Films semi-commerciaux |
Dir. Photo | Sachin Krishn |
Acteurs | Naseeruddin Shah, Sanjay Dutt, Nana Patekar, Shabana Azmi, Anupam Kher, Jimmy Shergill, Manoj Bajpai, Suniel Shetty, Dia Mirza, Mahesh Manjrekar, Aftab Shivdasani, Minissha Lamba |
Dir. Musical | Pritam Chakraborty |
Paroliers | Panchhi Jalonvi, Virag Mishra, Ibrahim Ashq, Ambar Hoshiyarpuri |
Chanteurs | Mika Singh, Sunidhi Chauhan, KK, Anand Raj Anand, Aanchal, Sudhanshu Pandey, Shweta Vijay, Shafqat Ali Khan, Kshitij |
Producteurs | Sanjay Dutt, Sanjay Gupta |
Durée | 114 mn |
Sorti en décembre 2007, Dus Kahaniyaan est produit par Sanjay Gupta, réalisateur de films d’action et patron de la maison de production White Feather. Apprécié en Inde pour sa mise en scène inspirée du clip, il est connu pour privilégier la forme sur le fond, plagiant généralement des scénarios hollywoodiens dans des films stylisés et violents avec son acteur fétiche et co-producteur Sanjay Dutt, comme Musafir ou Zinda. Mais pour un réalisateur de films de genre hindis, Gupta est tout de même une véritable personnalité, dans une industrie du film encore traditionnelle où le moindre écart par rapport à la norme est perçu comme de l’originalité.
Avec Dus Kahaniyaan, il nous propose un projet ambitieux : un film à sketches bourré de stars comportant « dix histoires » (c’est son titre) différentes. Ce film auteurisant est surprenant de la part de ce cinéaste commercial, qui avait peut-être envie de séduire la critique par son audace… Contrairement à ce qu’il veut nous faire croire, toutefois, les films à épisodes existaient déjà à Bollywood avant ce film : le cinéaste Ram Gopal Varma avait déjà notamment produit sans grand succès deux films à sketches fantastiques dans les années 2000, Darna Mana Hai et Darna Zaroori Hai. Mais Sanjay Gupta va encore plus loin, dans un sens, puisqu’il n’hésite pas à réaliser ou co-réaliser lui-même pas moins de 5 des 10 petites expérimentations cinématographiques présentées ici. Car si Dus Kahaniyaan est une tentative intéressante, ce n’est pas forcément une réussite. Son plus gros point faible est de n’offrir aucun lien entre les différentes histoires : depuis des lustres, tout film à sketches comporte un thème précis, un fil conducteur, que ce soient les 7 péchés capitaux ou les 10 commandements, des sujets qui furent prétextes à des films français du genre dans les années 50-60, qui alignaient les stars européennes. Plus récemment, le all-star cast américain Sin City est une sorte de film noir à sketches à la Pulp Fiction, dont les différentes histoires sont imbriquées les unes dans les autres (l’édition spéciale du DVD permettait toutefois de visionner chaque histoire « re-montée » séparément, ce qui prouve la fragmentation originelle de la narration).
Rien de ce procédé de film choral ici : Dus Kahaniyaan est un long-métrage ultra-basique, constitué en fait de 10 courts mis bout à bout, chacun précédé d’un bref générique. C’est donc moins une œuvre conceptuelle véritable que l’addition laborieuse de petites œuvrettes, qui n’ont pas d’autre point commun que de nous présenter en général des tranches de vie, dont un certain nombre de rencontres amoureuses.
Sans surprise, la plupart de ces 10 sketches sont banals et très courts (le film fait moins de deux heures), et valent en gros ce que valent leurs acteurs, plus éventuellement la petite chute finale qui conclut tout court métrage. La majorité des 7 premières contributions sont des histoires de couples, un sujet qui lasse vite malgré les habituelles connotations sexuelles des productions Gupta, plus osées que la moyenne… d’autant plus qu’on n’est guère convaincu par des jeunes premiers comme Jimmy Shergill ou Dino Morea, ce dernier tenant la vedette du décevant épisode « Sex On The Beach » d’Apoorva Lakhia, un habitué des productions White Feather que l’on connaît mieux pour ses films musclés efficaces comme Ek Ajnabee et Shootout At Lokhandwala. Les épisodes les moins ennuyeux de ces deux tiers du long-métrage sont tout de même mis en scène par Gupta : « Strangers In The Night », un court métrage à la sensualité étrange sur une femme (Neha Dhupia) qui confie à son mari (l’acteur fétiche buriné Mahesh Manjrekar) qu’elle avait un jour léché la main d’un inconnu ; et « Zahir », une histoire de séduction moderne et moralisatrice dont le charme principal est celui de ses acteurs, Manoj Bajpai et Diya Mirza. Mais s’il s’amuse à varier les sujets, Gupta ne nous présente ici que de belles images stériles, et on commence à se demander si ce concept de film à sketches ne serait pas pour lui un prétexte pour nous refourguer ses courts-métrages de fonds de tiroirs. Heureusement, le producteur a eu la délicatesse de placer les trois meilleurs épisodes de l’ensemble à la fin. Tous trois sont justement interprétés par les plus grandes stars du film, mais leur atout véritable est que ces stars sont des acteurs vieillissants et charismatiques, qui savent tout bêtement capter l’attention du spectateur dès qu’ils apparaissent à l’écran.
« Rice Plate », première réalisation de l’acteur Rohit Roy, est ainsi une mignonne petite fable morale sur la rencontre entre une Hindoue très stricte et un vieux musulman, incarnés par Shabana Azmi, qui a un rôle assez convenu, et l’attachant Naseeruddin Shah.
« Rise & Fall », la toute dernière histoire, est une histoire de truands co-réalisée par Hansal Mehta et Sanjay Gupta, qui y dirige ses compères Sanjay Dutt et Suniel Shetty. Ce mini-film grandiloquent et esthétisant n’a rien à voir avec les sketches semi-commerciaux qui précèdent mais, si on est vacciné contre ce manque de pertinence du clippeur Gupta, on peut vaguement apprécier l’ambiance de « film de gangsters tragique » qu’il distille, ainsi que son fameux sens du cadrage. Tout ça est super-cliché et complètement déplacé, mais a le mérite d’être à peu près distrayant et moins prétentieux que les histoires de couples du début.
Cependant, le meilleur épisode des 10 est sans conteste l’avant-dernier (qui aurait peut-être dû être placé en dernière position), « Gubbare », dans lequel Gupta (encore lui) nous surprend par sa maîtrise du court métrage, le seul vraiment réussi parmi ses 5 contributions. La scène débute dans un bus : après une dispute avec son mari, une jeune femme va s’asseoir à côté d’un monsieur d’un certain âge (Nana Patekar), qui était assis seul avec 14 ballons rouges ; il lui explique alors qu’il va les offrir à sa femme… L’histoire est charmante, l’idée des ballons ajoute une pointe de poésie un peu naïve mais qui colle parfaitement au sujet, et le coup de théâtre est très réussi, avant tout grâce à Nana Patekar, très touchant, dont la prestation est facilement la meilleure de tout le film. Cette homme vieillissant qui nous parle de sa femme a assez de passion dans les yeux qu’il suffit à rendre « Gubbare » vraiment prenant.
Dus Kahaniyaan est ainsi un film à sketches inégal, on a l’impression que son réalisateur a eu les yeux plus gros que le ventre en signant une grande partie des histoires et en les réunissant de façon aléatoire. Et si la toute dernière, « Rise & Fall », rompt nettement avec l’ambiance auteurisante et les thématiques romantico-mélodramatiques des autres, elle a surtout la fonction d’introduire la chanson du générique de fin, dans laquelle le all-star cast au grand complet pousse la chansonnette en play-back, nous confirmant une nouvelle fois le manque de cohérence artistique de l’ensemble. Il est certain que ce film à épisodes bâtard est l’occasion pour le prétentieux Sanjay Gupta de battre de nouveaux records, celui du plus grand nombre de vedettes présentes dans l’une de ses productions bien sûr, mais également celui de la première bande-originale « au monde » constituée de 3 CD (celle de Musafir en comportait déjà 2). Oui, cet argument commercial (voir la pochette de la B.O.) paraît incongru et capillo-tracté, on se demande vraiment ce que ces presque 3 heures de musique ont à voir avec ce film qui ne comporte qu’un clip, mais Gupta n’est pas à un paradoxe près !
Mais si ce film est assez hétéroclite, dans les thèmes abordés comme dans sa qualité, il a tout de même la technique léchée coutumière des productions White Feather, qui rend l’ennui intermittent plus agréable ; de plus, Gupta nous montre qu’il peut mettre en scène des courts métrages très variés, et même qu’il sait mettre en scène une histoire émouvante, le superbe « Gubbare », très loin de ses films virils habituels. Et l’on se dit que s’il avait développé ce seul épisode en un long-métrage en jetant les neuf autres, le résultat aurait été sans doute meilleur, moins éclaté et plus touchant. Si Dus Kahaniyaan est, au final, un petit film pas trop raté et sympathique pour ses stars, cela reste plutôt une curiosité pour amateurs d’expériences bizarroïdes ; car, à la majorité des spectateurs, on ne peut conseiller avec enthousiasme qu’un seul sketch des 10, avec lequel Gupta réalisateur sauve l’honneur du projet. Mais si ce dernier restera dans la petite histoire, c’est avant tout grâce au talent d’un acteur attachant, Nana Patekar.