Entretien avec Geetanjali Thapa
Publié mardi 24 mars 2015
Dernière modification mercredi 11 mars 2015
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Geetanjali Thapa était à Paris pendant quelques jours, invitée du festival Extravagant India !, pour présenter le film Liar’s Dice dans lequel elle tient le rôle principal. Ce premier long-métrage de Geetu Mohandas avait été sélectionné pour représenter l’Inde aux Oscars 2015 et était projeté pour la première fois en France au Gaumont Champs-Elysées, le jeudi 5 mars. À l’issue du festival, nous n’avons pas été étonnés qu’elle ait reçu le prix de la meilleure actrice, grandement mérité. Bravo !
Geetanjali Thapa y tient le rôle d’une jeune femme qui se lance à la recherche de son mari, parti cinq mois plutôt pour travailler en ville et qui ne donne plus signe de vie. Elle a déjà reçu pour sa performance dans ce film, en Inde, le prix de la meilleure actrice au 6e National Film Awards, et aux États-Unis, la même récompense au 14e Annual New York Indian Film Festival.
Lumineuse et spontanée, la jeune comédienne, longuement félicitée par tous les spectateurs présents pour son interprétation juste, a répondu aux questions du public, puis à celles de la déléguée de Fantastikindia après la projection, avec beaucoup de gentillesse et pas mal d’humour.
Quel fut le parcours du projet entre le moment où il est né et le moment où vous y êtes entrée ?
J’ai été tout naturellement liée au projet dès ses débuts, car je connaissais déjà Geetu Mohandas, depuis mon précédent film [Geetu Mohandas est mariée avec Rajeev Ravi, directeur photo de Moonsoon Shootout et coproducteur de I D, dans lesquels jouait Gitanjali Thapa]. Lorsqu’elle m’a montré le script, j’ai dit oui immédiatement avec enthousiasme. A partir du moment où j’ai été choisie pour le rôle, je me suis aussi impliquée dans le casting, notamment pour trouver la jeune enfant qui devait jouer avec moi, et interpréter le rôle de ma fille. Je ne parlais pas vraiment la langue de l’Himalach Pradesh. J’ai préparé le rôle en me rendant dans le village où le film a été tourné et je me suis même liée avec quelques femmes du village. C’est un endroit où ce sont les femmes qui travaillent, les hommes eux, jouent aux cartes.
Dans quelles conditions Liar’s Dice a-t-il été réalisé, le film avait-il un budget conséquent ou non ?
Le film a été tourné en vingt-huit jours et le budget de Liar’s Dice était très restreint. Il fallait donc faire très vite, d’autant plus que la chèvre, qui est le troisième ou le quatrième personnage de l’histoire, grandissait à vue d’œil et il fallait donc faire encore plus vite.
Quel a été pour vous le plus grand défi, tourner avec une enfant, avec la chèvre ou vous mouvoir dans la neige ?
La plus grande difficulté a été le climat sans aucune hésitation. Le tournage avec la petite fille a été très simple et sans aucun problème. La petite chèvre qui est un des personnages importants de Liar’s Dice n’a même pas été formée, elle joue très naturellement. Elle était avec sa mère chèvre et se sentait en sécurité, donc cela a été très facile aussi.
Et comment s’est passée votre relation avec Nawazuddin Siddiqui pendant le tournage ?
Nawazuddin Siddiqui est un brillant acteur, j’étais pétrifiée avant de le rencontrer. Mais, il est vraiment, vraiment, un partenaire plus qu’agréable, c’est un amour [elle le qualifie à plusieurs reprises de « sweat heart »]. Il m’a mise à l’aise tout de suite. Nos relations se sont très bien passées. Je ne l’avais pas rencontré beaucoup avant le tournage, nous avons fait connaissance progressivement au fur et à mesure, comme dans le film nos deux personnages respectifs. Nawazuddin est aussi très amusant, il était toujours là pour faire une plaisanterie, pour détendre l’atmosphère. C’est un amour. Plusieurs répliques, très drôles, de son personnage sont en fait les mots de Nawazuddin.
Comment avez-vous réagi face au succès du film, la réalisatrice et vous-même vous attendiez-vous à la carrière internationale de cette œuvre ?
Nous avons juste fait ce film parce que nous désirions le faire, sans rien attendre de précis. Nous avons fait Liar’s Dice, parce que nous avons été touchés par le sujet, et par la façon de raconter l’histoire. Nous y avons cru. L’important était que le film se fasse. En janvier 2014, le film a été sélectionné au Festival de Sundance, ce fut une très bonne surprise. Je suis très heureuse que le film voyage un peu partout dans le monde et aussi qu’il ait été choisi pour représenter l’Inde aux Oscars 2015. Tout comme je suis très heureuse qu’il soit montré ici à Paris.
Il y a une grande tension qui court tout au long du récit. On s’attend à de la violence, or ce n’est pas le cas, que pensez-vous de cette façon de filmer de la réalisatrice ?
Oui, en effet, c’est très pudique et tout est très retenu. Ce que la réalisatrice a voulu montrer c’est que cela se passe comme dans la vie courante, en fait. On se trouve parfois dans des situations graves, assez agressives, mais ça s’arrête là en général, heureusement. Une femme va être prise à partie dans la rue au milieu des gens par un homme, par exemple, mais il ne va pas la violer. C’est ce qui se passe lorsque mon personnage sort de la chambre d’hôtel et que trois hommes font des réflexions déplacées à son sujet. Elle referme la porte et cela s’arrête là, ils ne se jettent pas sur elle, ni sur la porte pour la défoncer. A plusieurs reprises Nawazuddin [dont le personnage porte le même prénom] la met en garde et fait allusion aux dangers qu’elle encourt, cela entretient la tension, mais il ne se passe rien. C’est souvent comme les peurs éprouvées dans la réalité.
Comment décririez-vous l’évolution du film entre le premier moment où vous avez lu le script et la fin du tournage ? Le film a-t-il été tourné chronologiquement ?
Seules les grandes lignes du scénario étaient fixées au départ. Je l’ai dit, beaucoup de dialogues, les plus hilarants si on comprend le hindi, sont de Nawazuddin Siddiqui et Geetu Mohandas les a gardés. La réalisatrice savait ce qu’elle voulait et nous y a doucement conduits tout en nous laissant beaucoup de liberté, en nous laissant improviser. Le tournage a été plutôt chronologique, mais toutes les scènes n’ont pas été strictement tournées dans l’ordre. La dernière scène n’a pas été tournée chronologiquement et n’était pas prévue au départ. Une autre scène, tournée, qui montrait le personnage de Nawaz récupérant les objets sur le chantier a été finalement coupée au montage, parce qu’elle aurait été redondante.
Le personnage de Nawazuddin est-il un escroc ?
Nawaz joue le rôle d’un déserteur, mais on ne sait pas vraiment qui il est, ni ce qu’il a pu vivre ou subir avant sa rencontre avec Kamala, mon personnage. Il a peut-être été harcelé, maltraité, peut-être même violé pendant qu’il était à l’armée. Il a aussi un accent indéterminé dans le film, ce qui renforce son mystère, et qui est encore une autre façon de masquer qui il est et d’où il vient.
Quelqu’un a évoqué la tension qui sous-tend tout le film, on sent aussi la densité du lien entre vos deux personnages et cela donne lieu à quelques scènes très fortes. Comment avez-vous travaillé ces scènes avec Nawazuddin Siddiqui ?
Comme je l’ai dit tout à l’heure, nous avons tourné le film en très grande partie dans l’ordre chronologique, ce qui nous a beaucoup aidé. Parce que de cette façon, l’évolution des émotions et des sentiments ressentis par nos personnages était présente en nous et nous pouvions jouer leurs émotions beaucoup plus facilement et spontanément que si nous avions tourné, par exemple, la scène de la rencontre bien après l’arrivée à Simla ou que si nous avions joué une scène où ils s’affrontent au tout début du tournage, comme cela se pratique très souvent et notamment dans d’autres films à plus gros budget. Nous étions immergés dans l’ambiance de ce qu’ils ressentaient au fur et à mesure.
Y a-t-il une différence pour vous dans la direction d’acteurs entre un metteur en scène homme ou une femme ?
Non pas vraiment. Si, en fait [après une hésitation], il y en a une. Il est sans doute plus facile de tourner sous la direction d’une femme, car quand elle demande l’expression d’une émotion, elle sait exactement ce qu’elle veut parce qu’elle ressent les choses en tant que femme, de l’intérieur. Alors qu’un metteur en scène homme va devoir imaginer la réaction d’un personnage féminin, il va demander des attitudes, des gestes qu’il imagine, être plus directif. Pour cela, il est plus aisé pour moi, je pense, de tourner dans un film réalisé par une femme.
Pour terminer, quels sont vos projets actuellement ? Peut-être une coproduction internationale ?
Oui, j’aimerais bien faire un film dans une coproduction européenne, en coopération avec la France en particulier. En fait, j’ai un projet de film, le prochain, avec le réalisateur Goran Paskaljevic [le metteur en scène d’origine serbe, réalisateur notamment de Tango Argentino et plus récemment de La Partition inachevée]
Merci beaucoup et bonne chance de nouveau au film Liar’s Dice.
Un grand merci également à François Vila, co-organisateur et membre fondateur d’Extravagant India !, qui a facilité cette rencontre et à qui l’on doit ces magnifiques photos de Geetanjali Thapa.