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Entretien avec Rakesh Roshan

Publié vendredi 19 mai 2017
Dernière modification jeudi 18 mai 2017
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Par Brigitte Leloire Kérackian

Rubrique Entretiens
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Rakesh Roshan, réalisateur et producteur de renom, est un cinéaste respecté à Mumbai. Ayant démarré comme acteur, il passe rapidement à la production-réalisation et bâtit une solide société : FilmKraft Productions. Des longs métrages comme Karan Arjun et Koyla, ont marqué leur époque. Karan Arjun réunissait les deux légendes de Bollywood alors en pleine ascension : Salman Khan et Shah Rukh Khan. Puis Koi… Mil Gaya, Krrish et Krrish 3 dont le héros est son fils, Hrithik Roshan, instituent ce personnage proche du commun des mortels, ou même souffrant d’un handicap, et cependant un héros généreux doté de pouvoirs surhumains. Une figure à laquelle s’identifieront des millions de jeunes !

Comment parler des Roshan père et fils sans citer leurs regards fascinants ? Les yeux verts sont un peu la marque trans-générationnelle des Roshan : ceux de Rakesh Roshan sont d’une nuance plus unie que ceux de Hrithik, aux reflets allant du vert au noisette ! Vérifiez bien toutes les affiches et les photo publicitaires de Hrithik, vous en aurez une idée.

Au cœur d’Andheri, là où la majeure partie des sociétés de productions ou de post-productions sont installées, Rakesh Roshan me reçoit dans son bureau sobre et élégant. Un signe du raffinement de cet homme cultivé et portant fièrement ses valeurs au cinéma comme dans la vie. Sa dernière production, Kaabil, s’est confortablement inscrite au box-office du début de l’année 2017 et a pour acteur principal son fils Hrithik Roshan. Un film d’action inattendu puisqu’il met en scène un couple d’aveugles pris dans les filets d’une sorte de mafieux pervers qui abuse de son statut de voyant. La bande-annonce accrochait par le romantisme du couple et la violence de certains personnages.

Brigitte Leloire Kérackian : Votre famille était connue dans le milieu de la création musicale. Avez-vous vous-même débuté dans la musique ?
Rakesh Roshan : Mon père était directeur musical effectivement. Il a rejoint l’industrie du cinéma en 1946 et je suis né en 1949. Ma mère chantait sur les ondes de ALL INDIA RADIO, à Delhi. Mon père jouait divers instruments pour accompagner des diffusions radiophoniques, ils sont ainsi tombés amoureux puis sont venus à Bombay. Ici, il est devenu un célèbre directeur musical. Malheureusement, mon père est décédé à l’âge de 49 ans alors que j’avais seulement 16 ans.

Mon père a pu transmettre ses connaissances musicales à mon frère, Rajesh, qui compose d’ailleurs toutes les mélodies de mes films. Il a débuté sa carrière à 18 ans. Personnellement, j’ai d’abord joué dans des films puis je suis devenu producteur, et ensuite réalisateur. La musique est très importante dans mes films car c’est comme un courant dans mes veines. Je ne suis pas capable de composer des chansons, tout en ayant une très bonne oreille. Si j’aime la mélodie, je sens qu’elle perdure en moi. Ecouter de la musique, même seul, vous apporte de grandes joies, vous transporte dans un autre monde ! On a besoin de bonnes musiques pour rehausser les situations dans les films !

BLK : Comment est née votre carrière d’acteur ?
Rakesh Roshan : A l’âge de 16 ans, j’ai été assistant de réalisation auprès de célèbres réalisateurs, comme Harnam Singh Rawail. Il a fait Sunghursh à cette époque avec Dilip Kumar et Vyjayanthimala Vajanti Mala en 1968. J’aimais apprendre sur le terrain : comment fonctionne la caméra, ce qui se passe dans les coulisses du tournage, comment ménager les acteurs, etc. En tant qu’assistant j’ai travaillé sur trois films pendant cinq ans environ. Puis, j’ai préféré m’orienter vers ce que j’avais toujours souhaité, c’est-à-dire jouer. Cela a débuté en 1971, j’ai joué de l’âge de 21 à 23 ans mais je n’ai pas eu de succès. Mon travail était apprécié mais quelque chose me freinait pour progresser. C’était peut-être la volonté de Dieu et Il m’a montré une autre orientation. Alors, je suis devenu réalisateur-producteur. Les bénédictions des Dieux sont apparues dans cette activité-là donc j’ai poursuivi dans cette voie.

BLK : Tous vos titres de films ont pour initiale la lettre K, pouvez-vous nous donner des détails de ce choix ?
Rakesh Roshan : Mon premier film était Aap Ke Deewane (1980) avec Rishi Kapoor et mon second film, Kaamchor (1982) qui a connu un réel succès. Le troisième était Jaag Utha Insan, par un réalisateur du Sud K. Vishwanath. Ensuite, j’ai reçu une lettre d’un fan qui m’a suggéré de nommer tous mes films par un mot commençant par K car mes films en tant qu’acteur qui on eut une bonne notoriété commençaient tous par K : Khel Khel Mein, Khoobsurat, Khatta Meetha, Kaamchor, Khandaan. Je ne l’ai pas pris au sérieux à ce moment-là.

Pour mon premier film en tant que réalisateur, l’histoire se nommait Khudgarz et j’avais totalement oublié ce message. Le film a très bien marché alors que je débutais cette nouvelle carrière. Shatrughan Sinha jouait le rôle principal tandis que j’avais endossé les responsabilités de réalisateur-producteur. Ce fan m’a écrit à nouveau en me recommandant de poursuivre mes films avec la lettre K. Sa remarque m’est restée à l’esprit. Ainsi, l’aventure a pris tournure avec Khoon Bari Mang, Karan Arjun, Koyla, Kaho Naa Pyaar Hai, Krrish, Kites et maintenant Kaabil.

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Rakesh Roshan dans Khubsoorat avec Rekha

BLK : Vous avez créé Film Kraft en 1980. On peut supposer qu’il y avait déjà de nombreuses sociétés prospères et donc que la compétition devait être rude. Comment avez-vous fait pour vous lancer à cette époque ?
Rakesh Roshan : Mon ami Rishi Kapoor était une très grand star avec Tina Munim, ce qui m’aidé à vendre le film aux distributeurs [1]. J’écris tous mes scénarios moi-même, sauf Kaabil, dont les droits appartiennent à quelqu’un d’autre. A chaque fois, j’aime me renouveler.

BLK : Avec Krish, est-ce que vous pensiez que cela aurait un impact aussi puissant ? une franchise maintenant !
Rakesh Roshan : J’apprécie énormément de tenter ma chance. Dans notre culture indienne, nous n’avions pas l’habitude des super-héros. Les comic books américains montrant Batman, Superman ou Spiderman ne sont pas dans les kiosques.

En créant Koi… Mil Gaya, le public a découvert Hrithik avec des pouvoirs inhabituels et ça m’a donné l’idée d’enrichir le héros et de proposer au public ce nouveau personnage. Krrish 3 est sorti en 2013 et bientôt, je vais préparer Krrish 4, toujours en production indépendante. Je prends le temps de créer jusqu’à ce que je sente que le projet est abouti. Je ne cherche pas à accélérer le rythme de mes productions. Kaabil est sorti trois ans après notre dernier long-métrage.

BLK : Pourquoi avez-vous choisi Sanjay Gupta comme réalisateur de Kaabil ? Est-ce encore une histoire de vengeance ?
Rakesh Roshan : La maîtrise technique de Sanjay Gupta était adaptée à l’histoire. Nous nous sommes rencontrés pour écrire le scénario. Pour changer mon style de narration, je l’ai invité à participer à l’écriture et il a fait un travail absolument remarquable, supérieur à ce que j’aurais pu faire. Le personnage principal, Rohan, est un homme ordinaire et il prend sa revanche comme dans Khoon Bari Maang [2], dans lequel joue Rekha. Mes histoires donnent toujours un espoir au public, leur prouvant qu’ils ont la capacité d’accomplir leurs projets. Krrish est une personne normale lorsqu’il vit dans ses montagnes. Dans la seconde partie du récit, il atteint des possibilités insoupçonnées au départ. Je tente de faire sentir au public qu’il existe en chacun de nous des pouvoirs et qu’on ne les utilise pas. Si ces pouvoirs sont utilisés dans le bon cadre, vous pouvez atteindre le succès dans vos entreprises.

BLK : Votre personnage principal dans Kaabil perd son épouse et veut se venger des coupables. Est-ce une manière de dire que la société indienne a du mal à protéger les femmes ? En Europe, on entend souvent parler des contraintes auxquelles doivent se soumettre les Indiennes. Par exemple, leurs tenues vestimentaires n’autorisent pas de liberté. Même prendre les transports en commun constitue une épreuve pour les femmes.
Rakesh Roshan : Pas seulement la société indienne, dans le monde entier ! La situation se répète partout et même en France.
Il y a des tabous partout mais tout cela est artificiel. Les jeunes peuvent s’habiller comme ils le veulent sans être obscènes, bien sûr. Ils ne doivent pas être rabaissés par la société. Heureusement, les mentalités évoluent actuellement. Il y a une prise de conscience de plus en plus importante. Plus les femmes progressent et plus la société en tire profit. L’éducation des femmes indiennes a été longtemps un tabou alors que de nos jours, dans les couples, la femme et son époux travaillent. C’est très positif !

BLK : Par exemple, Hollywood investit beaucoup pour séduire les fans des héros de Marvel, plutôt un public adolescent, ou même des franchises comme Fast and Furious, ce qui complique la tâche pour les autres genres.
Pensez-vous qu’il y ait de nouvelles tendances dans le cinéma indien actuellement ?

Rakesh Roshan : Je constate simplement que peu importe l’origine des films, chinois, japonais, américain, français, indien, il faut un contenu émotionnel. Sans émotions, rien ne vous saisit pour apprécier une histoire. Prenez un film comme Avatar, ou Titanic, si ces films avaient été tournés sans un contenu émotionnel, ils auraient pu faire un succès commercial mais pas une marque comme ils l’ont fait. Ils ont un impact qui dépasse tout ce qui était imaginé grâce à cette force des émotions. Les films purement commerciaux ont un succès éphémère, mais ceux qui vont devenir des classiques restent en vous pour longtemps et votre attachement provient de la beauté des sentiments qui y sont décrits.

BLK : Une nouvelle génération de femmes réalisatrices commence à être connue. Seriez-vous prêt à en recruter pour vos films ?
Rakesh Roshan : J’adorerais, si elle se présente avec un bon sujet et avec toutes les qualifications. Certaines ont fait de bons films et leur capacité à ressentir émotionnellement les situations est un atout.

BLK : En 2000, on vous a tiré dessus. Il s’est avéré que la mafia était derrière cette attaque. Pourriez-vous me parler des circonstances et les conséquences pour vous ?
Rakesh Roshan : La mafia voulait que je leur verse de l’argent, ce que j’ai refusé catégoriquement. J’avais dit : "Si vous voulez que je construise une mosquée ou un hôpital, une école ou un temple, n’importe quelle construction pour le bien commun, je le ferai mais il est hors de question que je vous verse un centime qui pourrait servir à tuer des gens".

Ils m’ont poursuivi pendant deux ans en me menaçant de me tuer et de tuer mon fils Hrithik. Ma réponse a été : "Si je dois mourir entre vos mains, rien ne pourra changer le cours des choses". Ils ont essayé et je ne suis pas mort ! Si Dieu le décide, il me rappellera à lui. J’ai eu la protection du Seigneur car je me suis élevé contre une injustice. La police m’a aidé mais ils n’ont pas réussi à identifier une personne qui m’appelait de l’étranger. Ce sont des malfrats qui recrutent de pauvres gens prêts à tuer pour 5000 ou 10000 rupees avec un pistolet artisanal.
J’ai été agressé en 2000. Il y a eu l’attaque du World trade center en septembre 2001, puis en 2002 leurs menaces ont cessé. Un jour, j’écrirai cette histoire.

BLK : J’ai lu que la mafia avait des liens financiers avec Bollywood, était-ce le cas à cette époque ? C’était un moyen facile de blanchir l’argent puisqu’ils pouvaient fournir du cash aux producteurs sans problèmes.
Rakesh Roshan : Il y a eu dans le passé de telles implications. De 1998 à 2002 environ, il y a eu une phase de quatre ou cinq années où ils avaient infiltré Bollywood sur une grande échelle. Mais à présent, tout est professionnel avec des comptes très bien tenus par les sociétés de production. Cette phase est terminée depuis longtemps.


[1Il s’agit du film Aap Ke Deewane, première production de Rakesh Roshan.

[2Film produit par Rakesh Roshan, remake du téléfilm australien La vengeance aux deux visages.


Propos recueillis et traduits de l’anglais par Brigitte Leloire Kérackian. Bombay. Février 2017.

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