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Interview de Govind Nihalani

Publié mercredi 19 mai 2010
Dernière modification lundi 17 mai 2010
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Par Tomchop

Dossier Festival de Cannes 2010
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Samedi 15 mai, au festival de Cannes 2010

Ceux qui suivent l’actualité de Fanta à Cannes sur Twitter ou Facebook le savent déjà - j’ai assisté à la Indian Party qui a eu lieu au Grand Hôtel, accompagné de la productrice de "Love, Sex Aur Dhokha", Priya Sreedharan. Etant relativement nouveau dans le milieu, je ne connaissais pas toutes les têtes, et j’ai demandé à Priya de m’indiquer quelles personnes étaient intéressantes à interviewer. Elle ne m’a pas pointé grand-monde, mais elle a insisté sur le fait que je parle à Govind Nihalani, qui était, d’après elle, un grand réalisateur indien, mais dont je n’avais pas entendu parler avant.

Après m’être renseigné, j’ai constaté qu’en effet, Govind Nihalani a produit plusieurs longs-métrages depuis la fin des années soixante-dix. On retrouve, parmi ses plus grandes œuvres, Aakrosh (1980 - Naseeruddin Shah, Smita Patil, Amrish Puri, Om Puri), détenteur de pas moins de six prix du festival indien Filmfare ainsi que le National Film Award du meilleur film, Ardh Satya (1983 - mêmes acteurs principaux que dans Aakrosh), qui a aussi remporté cinq prix à Filmfare, et les National Film Award et Karlovy Vary International Film Festival Award du meilleur acteur pour Om Puri. Ces deux films ont été extrêmement bien reçus en Inde et ont eu un certain succès à l’international.

Le rendez-vous est donc fixé au pavillon de l’Inde, aujourd’hui à 12h30. J’arrive à l’heure et j’attends que Nihalani se libère. On s’assoit à une table du pavillon, et la discussion commence.

Nihalani est quelqu’un qui voit son cinéma d’une manière très personnelle - toutes ses histoires tournent autour de la politique et des problèmes sociaux que rencontrait le pays à l’époque de la sortie de ses films. Mais aussi, et surtout, ce qu’il cherche à faire ressortir dans ses films est la lutte intérieure que l’être humain peut avoir, la crise à laquelle il doit faire face à certains moments de sa vie, que ça soit contre la corruption, contre le communautarisme, ou d’autres sujets qui peuvent le toucher fortement. Ses films sont donc tous axés sur ces sujets polémiques, mais le message transmis se centre surtout sur l’impact qu’ils ont sur l’individu en tant que tel, sur le "human predicament". Quand à la raison pour laquelle il traite des matières comme ça, il s’explique en disant… qu’il n’a pas d’explication (si ce n’est le fait qu’il apprécie beaucoup la littérature, mais il n’avait pas l’air très convaincu), c’est juste une question d’attrait spontané.

Je lui ai demandé s’il ne considérait pas que ces sujets tabous puissent heurter son public, ou encore intimider les producteurs ou distributeurs, qui ne voudraient pas diffuser des films aussi polémiques. Sa première réaction a été de défendre son public - il a insisté sur le fait que ses œuvres n’étaient pas destinées à tout genre de public, qu’il était impossible de plaire à tout le monde et que ce n’était, de toute façon, aucunement son intention. Son public-type est un public tout d’abord "urbain" : professionnels, littéraires, et intellectuels ; un public donc plus à même de comprendre la profondeur de ses idées.

En effet, il n’utilise pas les chansons de la même façon que les films indiens classiques, la "indian fabula" comme il l’appelle, pour qui elles forment un élément crucial de leur réussite. Elles sont utilisées pour exprimer des émotions, ou des éléments qui ne sont généralement pas exprimables sous d’autres formes. Nihalani, lui, utilise la musique pour rehausser des moments qu’il considère comme d’une intensité plus importante que d’autres, plus qu’en tant que simple élément divertissant du film. Il dit que ses œuvres font partie d’un "genre" (au sens cinématographique du terme) qui diffère du genre des films où les chansons sont plus présentes et jouent un rôle complètement différent.

Ayant produit des films si polémiques, quid de la censure ? En effet, Nihalani dit que même si ses films ont fait l’objet d’une censure plus ou moins conséquente, leur message principal reste intact. Pour ce qui est de la polémique, il a été servi ! Sa minisérie Tamas ("obscurité") a occasionné tellement de remous qu’il a dû être placé sous protection policière armée pendant huit semaines, suite à plusieurs menaces de mort !

Ceci dit, la donne n’est plus la même aujourd’hui. Nihalani affirme que le cinéma, et donc la culture indienne sont en train de s’ouvrir, en acceptant des concepts chaque fois un peu plus éloignés de leurs racines culturelles. Niveau censure, le pouvoir judiciaire est d’ailleurs très ouvert de ce point de vue-là, et encourage les efforts qui sont faits de la part des réalisateurs. Il insiste aussi lourdement sur le fait que cette transition est un processus très lent, mais qui finira forcément par aboutir ; le public indien se voit pourvu d’une "sensibilité moderne", et les nouvelles générations ont une vision beaucoup plus ouverte du cinéma et de leur culture.

Un mot pour les lecteurs ? Le cinéma (et donc la culture) indien est en train d’effectuer une longue traversée, d’une expression plus particulière, à une expression plus universelle ; ce qui est une très bonne chose, car cela montre que la vision des Indiens ne reste pas confinée, et qu’elle est capable de s’adapter aux changements du monde dans lequel elle évolue.

Suite à ça, et après une poignée de main, je me suis levé et je suis reparti, en pensant vraiment avoir rencontré quelqu’un qui a réellement contribué à la transformation du cinéma indien vers sa forme d’aujourd’hui. Une bonne journée pour moi !

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