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Interview de Kabir Bedi

Publié vendredi 1er juillet 2016
Dernière modification lundi 18 juillet 2016
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Par Brigitte Leloire Kérackian

Rubrique Entretiens
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À l’occasion de l’édition en version hindi de la série Sandokan, célèbre en France et en Italie dans les années 1970, Kabir Bedi nous reçoit pour répondre à quelques questions.

Sa carrière internationale l’a mené depuis les studios de Bombay jusqu’en l’Italie, et aussi aux États-Unis, où il a joué dans un James Bond (Octopussy, 1983). Si Kabir Bedi est de la même génération qu’Amitabh Bachchan, il ne se voyait pas danser autour d’un arbre auprès d’une belle ingénue dans le cinéma commercial indien de l’époque. Ayant commencé une carrière de mannequin, il est remarqué par un producteur italien et l’aventure Sandokan (inspiré d’un roman du XIXe siècle d’Emilio Salgari) démarre. Elle lui ouvrira les portes de studios européens mais surtout hollywoodiens. Les journaux de l’époque relatent les foules le poursuivant dans les rues dès qu’il apparaissait en Italie, en France ou en Espagne (sans téléphones portables ni internet pour nos jeunes amis).

Non seulement il a gardé sa haute taille et ses très beaux yeux verts, mais sa profonde voix de basse, à presque 70 ans, contribue au magnétisme de cet acteur qui a enflammé les cœurs pendant plus de quarante ans.


Brigitte Leloire Kérackian : Sandokan, le tigre de Mompracem, fut le grand succès populaire qui vous a propulsé comme l’une des très grandes stars de la télévision dans toute l’Europe. Ne représentait-il pas le symbole du héros asiatique combattant l’envahisseur britannique ?
Kabir Bedi : Nous sommes justement en train de préparer la version doublée en hindi de Sandokan pour la toute première fois. J’ai passé quasiment 25 années de ma vie en dehors de l’Inde. Quand je suis revenu, il y a cinq ou six ans, j’ai décidé de produire la version hindi de la série Sandokan, en DVD, comme un héritage. C’est une occasion pour le public indien de voir ce qui m’a fait connaître en Europe.

En fait ce héros malais et asiatique s’est battu pour la liberté de son peuple et l’amour de sa vie. Il combattait le pouvoir colonial britannique, mais il s’est compliqué l’existence en tombant amoureux d’une anglaise. Une histoire universelle en fin de compte ! Il est exemplaire par son courage personnel, sa quête de la justice sociale, mais c’est surtout une histoire très romanesque dans des décors de rêve accompagnés d’une superbe musique. En Italie et dans le reste de l’Europe, Sandokan avait un prestige encore plus important que Robin des Bois dans le folklore local.

BLK : Au cours de vos premières années dans le cinéma, vous aviez le souhait de travailler comme acteur en Inde. Comment avez-vous pris la décision de tenter votre carrière en Europe ?

Kabir Bedi : Au départ, je n’avais aucun projet d’aller en Europe. Je voulais devenir acteur ici, en Inde. J’ai commencé ma carrière à Bollywood mais je me suis vite rendu compte que le genre de film que je voulais faire était plutôt créé à l’étranger. Une opportunité s’est présentée, le producteur et le réalisateur de Sandokan sont venus à Bombay avec un programme de visite de dix villes asiatiques. J’ai été le premier acteur qu’ils ont rencontré dans la première ville de leur périple. Le directeur artistique Nino Navorese, qui a eu un oscar pour Cléopâtre, a non seulement apprécié mon jeu mais voulait aussi que j’aille à Rome pour faire des essais. Ils sont venus en Asie avec un brief spécifique afin de découvrir un Sandokan asiatique.

À cette époque j’étais jeune et grand, athlétique et barbu et j’avais eu quelques films à succès. Étrangement, les dessins d’Emilio Salgari, auteur du roman Sandokan, me ressemblaient dans une certaine mesure. Cela a eu un impact aussi. J’ai dû me rendre à Rome pour des bouts d’essai à cheval, des combats à l’épée, des scènes d’action, du drame, avant d’être finalement retenu pour le rôle. La sérié était tournée en anglais, car c’était une coproduction allemande, française et italienne et la seule langue acceptée en coproduction était l’anglais. J’ai eu la chance de pouvoir jouer dans ma première coproduction européenne en anglais.

BLK : Parlez-nous plus précisément de l’industrie du cinéma indien des années 70. Vous disiez que vous ne trouviez pas les films à la hauteur de vos attentes.
Kabir Bedi : Il y a toujours des bons et des mauvais films dans l’industrie du cinéma indien. Mais le point commun du cinéma commercial résidait dans les chansons et les danses. Pour être un acteur de premier plan à Bollywood vous deviez être un bon danseur et chanter de façon convaincante à l’écran. J’adore les chansons et les danses, mais je ne le fais pas très bien. Je ne me suis pas spécialisé là-dedans. J’ai pris conscience du fait que je me créais un handicap en ne faisant pas de danses ni de chansons. Par conséquent, la question s’est posée de partir pour trouver d’autres opportunités et participer à un cinéma plus réaliste. C’est ainsi que Sandokan s’est présenté à moi.
J’étais acteur de théâtre au départ et c’est ainsi, par la suite, que j’ai débuté à Bollywood. En Inde, à cette époque, les salaires n’étaient pas très élevés au théâtre et ne permettaient pas d’avoir une vie décente. Nous n’avons pas la notoriété suffisante, comme à Broadway ou Londres, et nos productions ont des budgets très limités. Il y a des créations très intéressantes actuellement, mais ce n’est pas très profitable aux acteurs.

BLK : Après votre succès européen, comment êtes-vous parti aux Etats-Unis ? Était-ce un plan de carrière préparé ?
Kabir Bedi : Le succès européen était très imposant dans tous les pays. J’ai même gagné le prix Télé7 jours en France. On m’a décerné un nombre incroyable de prix à travers l’Allemagne, l’Italie, partout ! Cependant, j’étais tellement identifié au personnage de Sandokan qu’il était difficile pour les réalisateurs de me recruter pour un autre rôle. Je devais donc faire très attention à mes choix en Europe, j’ai enchaîné dans la foulée The Black Pirate [1]. J’étais encore Sandokan. J’ai pris conscience que je devais patienter et jouer d’autres rôles pour modifier cette image. Un acteur de films commerciaux rêve d’aller jouer à Hollywood. Quand des possibilités d’aller sur place se sont ouvertes, j’ai quitté l’Europe.
J’ai débuté à Hollywood avec The Thief of Bagdad [2], puis Ashanti avec Michael Caine et Omar Sharif, puis Octopussy. Par conséquent, mon succès européen m’a servi de bon démarrage à Hollywood dans les années 80. J’ai ensuite eu beaucoup de rôles dans des séries télévisées.

BLK : Sur un plan plus personnel, je voudrais vous parler de votre rôle dans Les 40 jours du Musa Dagh. Mes grand-parents sont arméniens et c’est la seule version à l’écran du roman Les 40 jours du Musa Dagh. Depuis cette adaptation, tous les producteurs ou réalisateurs de Hollywood qui ont voulu le porter à l’écran ont dû renoncer à cause des cercles d’influence du gouvernement turc.
Kabir Bedi : Je rends hommage à la mémoire de John Kurkjian, le producteur, car il a dû faire face à de nombreux problèmes pendant ce tournage. Au moment où nous jouions, il y a eu des grèves à Hollywood et tous les syndicats demandaient de cesser le travail et de signer avec eux. Ce qui a entraîné des retards, des frais énormes. Il a dû mettre en gages les bijoux de son épouse pour terminer le film. Il a beaucoup sacrifié personnellement pour accomplir Les 40 jours du Musa Dagh.

BLK : Pourquoi avez-vous décidé d’accepter de jouer ce personnage de Gabriel Bagradian ?
Kabir Bedi : J’étais honoré du fait qu’on me le propose. Quand j’ai fait des recherches, j’ai compris que le roman de Franz Werfel se trouvait dans les bibliothèques du monde entier. Au fil du temps, j’ai pris conscience de l’importance pour la communauté arménienne d’avoir un tel document. John Kurkjian a littéralement demandé de l’argent à ses amis et mis ses propres économies dans ce film. S’il avait eu un budget plus important, il l’aurait investi. Au moins, il a eu le courage d’accomplir ce film-là.

BLK : Vous avez joué dans Octopussy, un James Bond. Comment s’est passé cette expérience dans le cinéma d’Hollywood ?
Kabir Bedi : Les systèmes étaient totalement différents. À l’époque en Inde, les producteurs étaient des entreprises familiales. Il y avait les très grandes stars, ainsi que les familles de stars qui géraient les affaires. Hollywood était composé des ces Major Companies. Les étapes étaient multiples pour obtenir les approbations, des plannings très étudiés. Ils pouvaient faire un planning de deux ans avant de tourner la première scène, pour un tournage de deux mois. Ici, on préparait deux mois et on tournait pendant deux ans. (Rires !)
L’Italie, c’était le moyen terme entre les USA et Bollywood. En théorie, ils préparaient les programmes comme Hollywood et en pratique ils tournaient comme à Bollywood, avec une énorme capacité d’improvisation, et de liberté pour développer une histoire au fil du temps.
À Hollywood, le travail du casting est une affaire de casting de genre, de type. Pour jouer Othello, ils ne me recruteraient pas même si j’ai déjà joué Othello au théâtre. J’ai joué des sud-américains, un allemand, mais je jouais toujours un étranger, ce qui me convenait très bien. Je n’ai jamais été perçu comme l’Américain ordinaire.

Dans The Bold and the Beautiful, la série TV [3], j’ai joué pendant un an. Si vous entrez dans le casting d’un James Bond, vous vous trouvez dans un écosystème, une sous-culture avec une base de fans, des rassemblements spécifiques, des clubs actifs dans le monde entier. Cette popularité renforce toute la structure, les clubs de James Bond sont là pour vous. Idem pour Dynasty, pour Highlander [4].
Les séries TV européennes auxquelles j’ai participé sont : Mysteries of the Dark Jungle, Daughter of the Maharajah, Le Retour de Sandokan ; des mini-séries aussi, et également un show TV, A doctor’s in the family, sur une chaîne italienne.

BLK : On vous a vu ces dernières années dans des films comme Main Hoon Na dans des rôles plus sévères.
Kabir Bedi : J’ai participé à de nombreux films comme Kites et Blue. Je suis basé à Bombay mais je continue à travailler à l’étranger. Au Canada, j’ai interprété Shah Jahan dans une pièce formidable.
J’ai juste terminé un film malayalam au Kérala, Anarkali, et aussi un film avec Shah Rukh Khan, Dilwale, on ne me voit pas dans la bande-annonce, car c’est un rôle de parrain qui a une importance dans le contexte.
Mon rôle le plus valorisé sera dans mon film de l’année 2016 : Mohenjo Daro d’Ashutosh Gowariker et avec Hrithik Roshan, sa sortie est programmée pour le 12 août 2016. Je ne peux pas donner de détails sur mon personnage mais il est très puissant dans l’histoire.

BLK : Le cinéma indien semble adopter une nouvelle tendance avec des références historiques importantes ou mythologiques comme dans Baahubali, Bajirao Mastani, Mohenjo Daro. Qu’en pensez-vous ?
Kabir Bedi : Je les adore ! Mon film préféré est Beckett, ou Le Docteur Jivago, et les ambiances historiques me plaisent énormément. J’avais eu l’occasion de jouer Shah Jahaan même si le récit n’était pas purement historique. L’essentiel est de fournir une belle histoire. Mohenjo Daro correspond à un film comme dans la Rome antique, pour vous donner un repère. J’aimerais dans l’avenir produire et écrire. Il faudra que j’y consacre du temps.

Message du reporter : Rencontrer un héros de sa jeunesse vous transporte dans un état entre la nostalgie et l’excitation de la découverte. Il ne faut pas bouder son plaisir, avoir la chance de rencontrer Kabir Bedi est une joie exceptionnelle du fait de sa carrière internationale et de sa vision très transversale de toutes ces industries. Son équipe de communication est très attentive et ouverte sur les médias du monde entier puisque sa carrière l’a guidé vers tous les continents.


[1Le Corsaire noir en France.

[2Le Voleur de Bagdad.

[3En français, Amour, Gloire et Beauté.

[4Deux séries dans lesquelles l’acteur a joué.


Propos recueillis et traduits de l’anglais par Brigitte Leloire Kérackian. Novembre 2015.
Note de la rédaction : les DVD des deux séries Sandokan sont disponibles en France.

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