Dilwale
Langue | Hindi |
Genres | Mélodrame / Romance, Comédie, Film d’action |
Dir. Photo | Dudley |
Acteurs | Shah Rukh Khan, Kajol, Boman Irani, Vinod Khanna, Kabir Bedi, Johnny Lever, Varun Dhawan, Kriti Sanon, Varun Sharma |
Dir. Musical | Amar Mohile, Pritam Chakraborty |
Parolier | Amitabh Bhattacharya |
Chanteurs | Arijit Singh, Benny Dayal, Neha Kakkar, Siddharth Mahadevan, Anushka Manchanda, Nakash Aziz, Antara Mitra, Amit Mishra, Kanika Kapoor |
Producteurs | Gauri Khan, Rohit Shetty |
Durée | 154 mn |
Si le manque de scénario et la non-direction d’acteurs étaient des délits, Rohit Shetty mériterait de croupir à jamais en prison, tant l’attentat qu’il commet contre les spectateurs — et ses acteurs ! — est une abomination criminelle. Toute tentative de rationalisation de ce film serait infructueuse, car son désert scénaristique est infini. Shetty, réalisateur, coproducteur et initiateur cette vaste ânerie, porte toute la responsabilité de son échec.
Les scénarios de Yunus Sajawal (Singham, Chennai Express, etc.) ne sont pas réputés pour leur raffinement intellectuel, mais jusqu’ici ils étaient, au moins, des divertissements efficaces. Le scénario de Dilwale tient sur une épluchure de pomme — celle que Raj (SRK) partage avec son frère Veer (Varun Dhawan) —, il peine à susciter le rire, et quand il parvient à faire sourire… c’est de condescendance.
Dire que Dilwale traite de la force des liens familiaux et de la piété fraternelle serait lui accorder trop d’intelligence. Imaginer qu’il évoque la tragédie des apparences et la confiance qui cimente les relations, reviendrait à vouloir le sauver à tout prix. C’est peut-être un film expérimental, en ce sens qu’il théorise le vide ineffable qu’il étale (SRK brasse des masses d’air en mode « romantique »), mais ce serait croire que Dilwale réussit à prendre de la hauteur, ne serait-ce qu’une fois.
Dilwale narre les amours tourmentés de deux couples de frères et sœurs appartenant à des bandes rivales de la mafia indienne. L’histoire d’amour frustrée du couple aîné empêche la relation des cadets de se concrétiser : Raj (SRK) et Meera (Kajol) se sont aimés en Bulgarie, mais de cet amour ils n’ont conservé que de la rancune l’un envers l’autre, surtout Meera convaincue que Raj a tué son père. Des années plus tard — non plus en Bulgarie mais à Goa — leurs petits frère et sœur, qui ignorent tout de cette histoire, veulent à leur tour démarrer une relation. Mais le refus intransigeant de Meera et l’amertume de Raj (qui ne cache pas sa hargne contre les femmes) apparaissent comme des murs infranchissables. Alors, pour vivre leur amour ces jeunes gens essayeront de faire renaître celui de leurs aînés – ressuscitant le passé et provoquant des situations lassantes et absurdes.
L’esthétique publicitaire, maniérée et criarde, de Dilwale, donne l’impression qu’il est une suite excessive de placements de produits (c’est d’ailleurs le cas). Or, ce manque d’authenticité traduit, aussi, l’abandon de toute ingéniosité, car Dilwale c’est du recyclage perceptible à chaque plan : si les copiés-collés de Fast and Furious et How I Met Your Mother peuvent laisser indifférent, il est plus difficile d’assimiler les citations explicites à DDLJ et KKKG. En effet, le film ne parvient jamais à surmonter sa contradiction conceptuelle : il devait proposer un dépassement du couple SRK–Kajol [1] tout en exploitant/offrant de la nostalgie au spectateur ; nonobstant, Dilwale ne trouve jamais une ligne directrice suffisamment autonome, et il navigue dans un entre-deux sans originalité. On ne sursautera donc pas aux airs du violoniste bulgare jouant Tujhe Dekha Toh, on ne frémira pas à l’invocation du non moins célèbre « bade bade desho mein », car ce ne sont plus des références, c’est du déjà-vu — artificiellement assemblé.
La façon dont Shetty abandonne ses acteurs — notamment SRK — fait vraiment de la peine à voir. Derrière le fouillis amphigourique et aléatoire de clichés usés, on perçoit clairement la fatigue et le peu d’entrain de l’acteur, comme s’il ne comprenait pas son personnage (tantôt violent, tantôt infantilisé). A contrario, Kajol apparaît comme un beau personnage cérébral (son revirement machiavélique et inattendu est un pur moment de bonheur), mais, beaucoup moins présente à l’écran que son partenaire, elle sera lamentablement reléguée et vidée de son potentiel. Les jeunes, Kriti Sanon (potiche attitrée) et Varun Dhawan (clown de service), sont attendrissants, cependant leur jeu d’acteur est écrasé par l’odeur du bitume et le ronronnement des mitrailleuses, ce n’est pas avec Dilwale qu’ils démontreront l’étendue de leur talent (s’ils en ont).
Le plaisir pathologique que Rohit Shetty prend à dégommer des bagnoles n’a d’égal que la misogynie de son film. Le réalisateur s’est fait le thuriféraire d’un discours machiste et rétrograde, qu’il traduit à l’écran non seulement par le peu de temps accordé aux femmes, mais aussi par les stéréotypes attribués à ses personnages : les femmes sont la source intarissable de tous les problèmes (s’interposant avec perversité entre des frères) ; et même huilés, friqués et baraqués les hommes sont physiquement et émotionnellement blessés par ces créatures perfides. Dilwale paraît un pamphlet sur la virilité, assumé et asséné sur un ton moralisateur, non voilé, à l’instar de la platitude idiote, insipide et infamante des dialogues de Sajid-Farhad.
Rohit Sheety, fils du « fight master » M. B. Shetty - et qui a fait ses débuts auprès d’Anees Bazmee (Hulchul) — s’était fait une spécialité des films d’action délirants, assez écervelés et à l’indice d’octane particulièrement élevé. Or, même dans ces domaines-là Dilwale est un ratage, son cocktail d’action, d’émotion, de comédie et de romance est tout simplement imbuvable. Les voitures volantes ne font pas vibrer (le réalisateur réussit même à faire que les scènes d’action manquent d’énergie), l’émotion ne fait pas tressaillir, la comédie ne transporte pas (bien que nous ne l’ayons jamais porté dans nos cœurs on a même de la peine pour Johny Lever), et la romance —tant attendue — ne fait pas frissonner de joie…
Dilwale n’est pas seulement un mauvais film — qui mérite son Golden Kela Award du pire film [2] —, c’est surtout une grande déception pour tous ceux qui l’attendaient avec impatience et espéraient un minimum de qualité.
La bonne nouvelle de Dilwale est évidemment le retour sur les grands écrans des beaux yeux de Kajol. Elle est, soyons solennels, le glamour et la beauté descendus sur terre.
Ces cheveux couleur de miel, avec des nuances de brun foncé (des subtiles vaguelettes qui ont dû prendre des heures de travail à coup de bigoudis et à renfort de sèche-cheveux) ; ces yeux marron qui respirent le feu, rehaussés par une utilisation généreuse du khôl et d’un eyeliner gris argenté (smoky eyes du meilleur effet), ainsi qu’un fard à paupières aux ombres étrangement lumineuses ; ces lèvres incandescentes, fraîches et brillantes ; ce petit haut rouge, flottant, qui laisse son épaule dénudée, ces talons hauts, ces belles jupes imprimées, ces longues robes tourbillonnantes, ces chemisiers et ces saris qui flattent sa silhouette mince, encore sinueuse… c’est Kajol, un rêve fantastique devenu réalité !
L’actrice place la barre très haut en termes de classe et d’élégance. Ce serait commettre une injustice que de ne pas citer Tanya Ghavri, son styliste, et Manish Malhotra le designer de ses costumes, tant leur travail est rayonnant. Car en dépit de leurs défauts, Gerua et Janam Janam sont des défilés merveilleux où l’actrice apparaît dans toute sa splendeur.
Dans ces deux titres, accompagnés pour l’essentiel de cordes, Arijit Singh et Antara Mitra nous offrent une interprétation douce et romantique, que l’on retrouve visuellement dans l’allusion pluvieuse au couple mythique Nargis–Raj Kappor. On regrettera cependant que les paroles et la chorégraphie n’aient pas le charme — piquant et délicieux — des SRK–Kajol d’antan.
Et si le film n’est pas vraiment ennuyeux c’est parce qu’on passe ces 154 minutes d’horreur à guetter les apparitions de Kajol, sublimées par le soin exquis mis au travail de cadrage : Dudley (le chef opérateur) et ses cadreurs se sont indéniablement surpassés, Kajol est le contre-champ rédempteur de ce film insipide.
Vous ne voulez pas vous infliger cette purge infâme qu’est Dilwale, sa course à la dégueulasserie et sa chute lourdingue ? Écrivez-nous, nous vous transmettrons avec plaisir les minutes d’apparition de Kajol.
Dilwale réussit le pari formel de se contredire : toute l’histoire repose sur une méprise et le message — s’il y en a un — c’est de ne pas se fier aux apparences… or, l’apparence de ce film est désastreuse. En dehors de la beauté éthérée de Kajol, Dilwale peine à susciter ne serait-ce qu’un frémissement chez le spectateur. Et, bien que la comédie d’action soit le domaine réservé de Shetty, le réalisateur conduit son film au naufrage. Dilwale est, peut-être, l’exemple paroxystique de ce qui arrive à l’industrie cinématographique de Bollywood : une débauche de moyens au service de l’éclat visuel, mais sans vision cinématographique.
Dilwale pâti de sa vacuité, mais son infortune au box-office provient aussi des polémiques qui ont parasité sa sortie. Les commentaires de SRK sur l’intolérance en Inde ont provoqué le boycott du film dans certaines villes. Comme à leur habitude le Bajrang Dal, la Shiv Sena et la HJM se sont adonnés à leur sport préféré : s’en prendre aux acteurs musulmans. Le MNS a même mobilisé des agriculteurs de la région, accusant SRK de ne pas les avoir aidés alors qu’ils étaient touchés par une forte sécheresse.
Sinon, en tant que coproducteur SRK a fait le choix de refinancer 50% des pertes des distributeurs, qui ont souffert du mauvais accueil de la bobine. C’est un geste qu’il avait déjà eu après la mauvaise réception d’Asoka et de Paheli. C’est finalement une pratique commerciale honnête et intelligente puisque les pertes encourues par les distributeurs risquent d’affecter le prix de vente de ses films postérieurs.