Nargis et Raj
Publié dimanche 27 février 2022
Dernière modification dimanche 27 février 2022
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Nargis et Raj Kapoor ont formé le couple le plus emblématique de l’âge d’or du cinéma hindi. Ensemble, ils ont tourné 16 films entre 1948 et 1956. Le public les a suivi en masse, leur permettant de placer trois films en tête du box-office au cours de ces 9 années. Tous ne sont pas des chefs-d’œuvre, loin s’en faut, mais ils ont toujours réussi, parfois l’espace d’une seule chanson, à faire frémir le cœur des spectateurs.
Amoureux à l’écran, ils l’étaient aussi à la ville. Leur séparation a causé un vide qui n’a été comblé que très longtemps après par un autre couple de légende : Kajol et Shah Rukh Khan.
Titre : Tere Bina Aag Yeh Chandni et Ghar Aaya Mera Pardesi
Année : 1951
Chanteurs : Lata Mangeshkar et Manna Dey
Compositeurs : Shankar-Jaikishan (musique), Shailendra (paroles)
Ce qui se passe à l’écran : Raj (Raj Kapoor) a projeté de voler Rita (Nargis), son amie d’enfance dont il est amoureux. Il s’endort rongé par la culpabilité…
Pourquoi ? Cette séquence allégorique de 9 minutes est composée de deux chansons enchaînées, Tere Bina Aag Yeh Chandni et Ghar Aaya Mera Pardesi. Certains ont dit qu’elles représentaient la terre, l’enfer et le paradis. Mais on pourrait aussi imaginer que le premier segment nous plonge dans une sorte d’antichambre de l’enfer ou du paradis. Les symboles hindouistes sont omniprésents, du bindi lunaire de Nargis à la statue monumentale de Nataraja, le danseur cosmique, qui est détruite à la fin.
Les influences occidentales, réinventées, sont également multiples. Ainsi, l’image des angelots qui montent l’escalier sans fin lors de l’ouverture se retrouve dans Le Songe d’une Nuit d’Été de 1935 réalisé par les allemands William Dieterle et Max Reinhardt. La chorégraphie atypique est signée de Simkie, une danseuse française qui a sillonné le monde avec Uday Shankar dans les années 30. Elle parvient à tirer de Nargis des mouvements d’une grâce infinie.
Même si une grande partie de la symbolique se dérobe à la compréhension, cette séquence reste un rêve fabuleux.
Titre : Pyar Hua Iqrar Hua
Année : 1955
Chanteurs : Lata Mangeshkar et Manna Dey
Compositeurs : Shankar-Jaikishan (musique), Shailendra (paroles)
Ce qui se passe à l’écran : Raj (Raj Kapoor) a trouvé un travail honnête dans une blanchisserie. Bien que pauvre, il trouve le courage de proposer le mariage à Vidya (Nargis), la douce institutrice. Elle l’aime mais, emportée par le doute et l’émotion, elle ne sait que répondre. Il se met à pleuvoir…
Pourquoi ? Cette chanson immortelle nous montre Raj Kappor qui fait le joli-cœur et Nargis qui rend les armes. Une fois de plus, il emporte l’affaire. Les spectateurs, comme le vendeur de thé sur le bord de la route, sont aux anges. Plus d’un demi-siècle après, Pyar Hua Iqrar Hua se regarde toujours avec un sourire aux lèvres. Ce n’est pas le plus beau, ce n’est pas la plus belle, mais quel beau couple ils forment !
Titre : Yeh Raat Bheegi Bheegi
Année : 1956
Chanteurs : Lata Mangeshkar et Manna Dey
Compositeurs : Shankar-Jaikishan (musique), Shailendra (paroles)
Ce qui se passe à l’écran : L’irascible Kammo (Nargis) s’est enfuie du yacht paternel pour aller épouser un margoulin tellement séduisant. En chemin, elle fait la rencontre de Sargar (Raj Kapoor), un journaliste qui tire le diable par la queue. Le père de Kammo a proposé une forte récompense à qui la retrouverait. Alors bon gré mal gré, elle accepte la protection de Sagar. Ils passent la nuit dans une chambre d’hôtel où Sagar finit par lui dire ses quatre vérités ; avant d’aller se coucher dans le jardin…
Pourquoi ? Le film est un remake de New York-Miami avec Claudette Colbert et Clark Gable. On voit même dans la chambre le fameux mur de Jéricho fait d’une couverture tendue sur un fil qui sépare les deux lits. Mais cette version indienne, si elle a copié l’histoire sans vergogne, apporte une contribution majeure : ses chansons. Le trio Shankar-Jaikishan et Shailendra se sont dépassés pour offrir une bande-son intemporelle. Lata Mangeshkar et Manna Dey sont magiques, tout comme le merveilleux couple formé par Nargis et Raj Kapoor.
Titre : Jahan Mein Jati Hun
Année : 1956
Chanteurs : Lata Mangeshkar et Manna Dey
Compositeurs : Shankar-Jaikishan (musique), Shailendra (paroles)
Ce qui se passe à l’écran : Après avoir quitté leur hôtel et échappé (provisoirement) à leurs poursuivants, Kammo (Nargis) et Sagar (Raj Kapoor) croisent une troupe d’artistes ambulants qui présentent un spectacle de marionnettes …
Pourquoi ? La complicité de Nargis et Raj Kapoor est palpable dans cette délicieuse chanson. Ils sont tellement adorables déguisés en marionnettes que ce procédé a été repris à l’identique dans le générique de fin de Paheli, 50 ans plus tard.
Note : Le film a été tourné en noir et blanc et colorisé récemment. L’édition actuelle du DVD le présente en couleurs, mais avec une image malheureusement tronquée. J’ai restauré le noir et blanc original de Yeh Raat Bheegi Bheegi mais laissé Jahan Mein Jati Hun en couleurs car elle s’y prête finalement assez bien.
Titre : Aaja Sanam Madhur Chandani
Année : 1956
Chanteurs : Lata Mangeshkar et Manna Dey
Compositeurs : Shankar-Jaikishan (musique), Hasrat Jaipuri (paroles)
Ce qui se passe à l’écran : Le voyage arrive bientôt à son terme. Kammo (Nargis) va retrouver son prétendant coureur de dot et Sargar (Raj Kapoor) va retourner tirer le diable par la queue. Mais Kammo commence à en pincer pour Sagar qui sait bien qu’un amour avec une riche héritière est impossible…
Pourquoi ? Peu importe la lune peinte au plafond du studio, peu importe l’image sévèrement tronquée, peu importe la situation à laquelle on ne peut pas croire, Lata Mangeshkar et Manna Dey interprètent une des plus jolies chansons d’amour que le cinéma hindi nous ait apportée, et Nargis comme Raj Kapoor nous offrent une fois encore ces regards à faire fondre les pierres.
Titre : Jaago Mohan Pyaare
Année : 1956
Chanteurs : Lata Mangeshkar
Compositeurs : Salil Choudhury (musique), Shailendra (paroles)
Ce qui se passe à l’écran : Le soleil se lève enfin. Le cauchemar est terminé. Il (Raj Kapoor) n’en croit pas ses yeux et quitte la ville sans un regard. Au détour d’une rue, une femme (Nargis) chante un bhajan (chant religieux) …
Pourquoi ? Jaago Mohan Pyaare est un chant religieux traditionnel du matin, adapté ici par Shailendra. Il loue Mohan (un des noms de Krishna) qui s’éveille avec le jour. Les auteurs en font la représentation symbolique de l’aube nouvelle qui se lève sur l’Inde. Les portraits des pères fondateurs Gandhi, Tagore, Vivekananda et Nehru (1er ministre en fonction à l’époque) signent un message politique en appelant à suivre leurs exemples, et le bhajan lui-même lie irrémédiablement l’Inde à l’hindouisme.
L’apparition de Nargis à la fin de Jagte Raho est la dernière fois qu’ils se retrouvent ensemble à l’écran. Pour la toute dernière fois, elle porte sur lui un regard bienveillant, le rassure et lui apporte ce dont il a besoin sans pouvoir le dire. Son doux sourire qui clôt le film comme leur collaboration n’en est que plus émouvant.