Judaai
Traduction : Séparation
Langue | Hindi |
Genre | Comédie dramatique |
Dir. Photo | Harmeet Singh |
Acteurs | Anil Kapoor, Paresh Rawal, Urmila Matondkar, Sridevi, Johnny Lever, Farida Jalal, Kader Khan, Saeed Jaffrey, Poonam Dhillon |
Dir. Musical | Nadeem-Shravan, Laxmikant-Pyarelal |
Paroliers | Anand Bakshi, Sameer |
Chanteurs | Alka Yagnik, Shankar Mahadevan, Jaspinder Narula, Abhijeet Bhattacharya, Hariharan, Amit Kumar, Sapna Mukherjee, Bali Brahmbhatt |
Producteurs | Boney Kapoor, Surinder Kapoor |
Durée | 167 mn |
Le matérialisme et la société de consommation sont des thèmes abordés par le cinéma indien, et particulièrement lors de la mutation de la classe moyenne dans les années 1990. Certains films comme Pardes ont montré les dérives de certains NRI, d’autres comme Ishq ou Yes Boss montrent que l’on ne peut pas tout acheter.
Mais peu de films sont allés si loin que Judaai dans cette dénonciation du "tout s’achète".
Raaj (Anil Kapoor) est un ingénieur modeste dans son train de vie et dans ses habitudes. Et lorsqu’il épouse Kajal (Sridevi), celle-ci imagine qu’un ingénieur est obligatoirement riche et qu’il possède maison et voiture. Elle va vite déchanter, puisque Raaj est une personne intègre, fidèle à son patron et à ses valeurs, et qu’il ne compte pas investir dans des choses qui sont futiles pour lui. Donc pas de lave-vaisselle, pas de sorties cinéma, bref une vie très monotone pour l’excessive épouse de Raaj.
Après plusieurs années, et deux enfants, la frustration de Kajal se fait de plus en plus grande et ses reproches vis à vis de Raaj sont de plus en plus virulents. Si le couple tient toujours, ces problèmes d’argent hantent la vie de Kajal qui ne peut pas rivaliser avec ses copines de la classe moyenne. Jusqu’au jour où la nièce du patron de Raaj, Janvhi (Urmila Madontkar) , débarque des États-Unis et s’éprend de Raaj…
Judaai est un remake du film telugu Shubhalagnam sorti 3 ans avant et également du film américain Proposition Indécente. Kajal va donc "vendre" son mari et accepter de divorcer, pour qu’il puisse se marier avec Janvhi pendant une période définie, en échange de 2 crores (plusieurs centaines de milliers d’Euros, une somme très coquette pour l’époque).
Quand on connait la place du mari dans la société indienne, c’est une décision encore plus symbolique et provocatrice d’échanger l’homme de la maison contre une somme d’argent.
En cela, Judaai est un film qui suscite la réflexion et qui dénonce les errances de la société de consommation entrainant le déchirement des relations humaines au détriment des valeurs familiales.
Mais Judaai est aussi un film où l’on peut divorcer et se remarier sans souci, plutôt osé à une époque où cela n’était pas forcément bien vu, surtout lorsqu’on va voir un film en famille.
Anti-conformiste jusqu’au bout, Judaai fait la place belle aux héroïnes qui prennent le pouvoir, ici pas de Sunny Deol ou d’Akshay Kumar qui dégomment tout le monde et représentent la puissance. Le héros est manipulé entre les deux femmes, et n’est finalement pas maître de son destin.
Si son thème est novateur, la construction du film est, elle, somme toute classique. L’histoire principale est ainsi interrompue régulièrement par des intermèdes de comédie joués notamment par Johnny Lever et Paresh Rawal, quelquefois drôles, souvent ridicules, et alourdissant le film pour pas grand chose. Mais heureusement l’histoire principale est prenante et plusieurs scènes sont mémorables. Le sauvetage de Janvhi par Raaj est assez bien mené et l’évolution des sentiments de la jeune femme est crédible. Les scènes de caprice de Kajal, le changement de lit conjugal de Raaj, et le rapprochement entre Raaj et Janvhi, sont plutôt naturels.
On peut se poser des questions sur la force du couple Raaj/Kajal, puisque les deux sont diamétralement opposés et leurs réactions à la fin du film sont assez édulcorées pour que le film reste un divertissement familial. Pas de brulot anti-consumériste, mais une réflexion bien distillée tout au long de Judaai.
On peut aussi souligner la fin du film, plutôt étonnante et non consensuelle, qui met à mal l’image traditionnelle de la famille et répond à plusieurs questions soulevées au cours du film.
Si la direction de Judaai n’est pas mémorable, ses prestations de premier plan permettent de le rendre vraiment intéressant.
Anil Kapoor joue parfaitement l’homme intègre, loin des tentations de la société de consommation. Il n’a dans ce film aucune scène de bagarre, et il faut remarquer que peu d’acteurs auraient accepté d’interpréter l’homme soumis à sa femme au point d’accepter d’être vendu à la plus offrante. Il a souvent joué dans des films destinés à faire évoluer les mentalités (Virasat, Lamhe), et Judaai lui offre la possibilité de montrer d’autres talents que celui d’un héros standard. Tout à tour harcelé par sa femme, déçu de la situation, il montre sa résignation et s’attache à faire ce qu’il faut pour les enfants. Un scénario plus proche de la réalité que bien d’autres films indiens.
On ne voit pas d’autre actrice capable de jouer l’enfant gâtée et l’envieuse comme Sridevi. Sa forte personnalité et sa présence à l’écran permettent à son personnage d’être crédible, même si parfois certaines scènes frisent la caricature (tapisser le lit conjugal de billets n’est pas forcément ce que tout le monde ferait). Sa métamorphose au fur et à mesure qu’elle s’enivre à consommer est réussie, son personnage devenant détestable (comme dans Laadla). C’est après ce film que la talentueuse actrice a pris un break de 15 ans (!) pour revenir dans English Venglish.
Urmila est surprenante en Janvhi. Au départ arrogante, elle aussi évolue au cours du film pour devenir l’épouse modèle qui sait se faire accepter des enfants de son mari. La comédienne montre ici qu’elle aurait pu faire une très grande carrière en tant qu’actrice de films commerciaux, mais elle a préféré se tourner vers des œuvres moins grand public (Bhoot, Naina, Deewangee, Jungle) et tracer un parcours non moins intéressant. Mais quelle danse hyperactive dans Mujhe Pyaar Hua !
La musique du duo Nadeem-Shravan est un argument non négligeable dans la réussite de Judaai. Le surréaliste Muhje Pyaar Hua et son rythme hyper saccadé complètement dingue est très bien mis en scène dans la belle Suisse allemande, la chanson titre Judaai Judaai est langoureuse et mélodique, et les chorégraphies aux saris colorés de Main Tujhse Aise Milun sont très agréables à visionner. L’étrange délire cuir de Oee baba-Pyaar Pyaar Karte Karte à Las Vegas peut laisser pantois, mais le tranquille Raat Ko Neend Aati Nahin nous dépeint le quotidien du couple avec humour.
Les seconds rôles sont nombreux, et les scènes comiques avec Johnny Lever et Paresh Rawal sont comme souvent inutiles et alourdissent le timing du film. Les indiens appréciant le comique de répétition, on se retrouve comme dans bon nombre de films avec un gag décliné en plusieurs scènes, devenant rapidement lassant.
On sent que Judaai a été produit et réalisé à la croisée des chemins, entre le début des années 90 et leurs moyens de production limités (hormis les grandes productions Yash Raj), et l’arrivée de Kuch Kuch Hota Hai en 1998. Judaai est un film a budget contrôlé, donc l’image et surtout le son sont très datés, les voix sont ainsi criardes et les lieux de tournage ne donnent pas le rendu attendu.
Mais c’est bien là un des seuls bémols d’un film qui reste un des meilleurs des années 90 comme témoignage de l’évolution des mentalités vis à vis de l’argent et de l’individualisme dans la société. Pas étonnant qu’il ait bénéficié d’un bouche à oreille efficace lui permettant de faire partie des hits de l’année.
Judaai reste donc un film ancré dans son époque qui vous rappellera les bons masala de l’époque, avec des bons acteurs, une bonne musique et un message social.
En résumé :
+ + + Le trio d’acteurs est magnifique
+ + La thématique sociale
+ La musique est vraiment sympa et les clips en Suisse déments !
- Un parti pris d’exagération (manque de finesse)
- - Les moyens sont limités pour l’image et le son, alors ça a vieilli
- - - Les scènes d’humour pas trop drôle, passages obligés