Manichitrathazhu
Traduction : La serrure ornée
Langue | Malayalam |
Genres | Film fantastique, Comédie, Thriller |
Dir. Photo | Venu |
Acteurs | Mohanlal, Shobana, Suresh Gopi, Vinaya Prasad, Shridhar , KPAC Lalitha |
Dir. Musical | M. G. Radhakrishnan |
Paroliers | Bichu Thirumala, Madhu Muttam |
Chanteurs | K. J. Yesudas, Sujatha, K. S. Chithra, G. Venugopal, M G Radhakrishnan |
Producteur | Appachan |
Durée | 169 mn |
On connaît tous désormais -au moins de nom- Bollywood, mais au-delà de cette industrie phare du cinéma indien, au Sud de l’Inde d’autres états réalisent des films dans leur propre langue.
L’industrie de l’Etat du Kerala est appelée Mollywood ou Malluwood car ses films sont en langue Malayalam. Si elle n’est pas la plus connue, elle n’en demeure pas moins l’une des plus brillantes. Ses productions sont très souvent honorées de prix nationaux (National Awards) et bon nombre sont projetées dans des festivals internationaux. Mollywood est au cinéma du Sud de l’Inde ce que le cinéma bengali est au Nord : même s’il respecte les critères commerciaux des films indiens, il est dans l’ensemble plus intellectuel et plus orienté vers les films d’auteur ou films semi-commerciaux. Il est souvent pionnier, ses innovations étant par la suite copiées ou reprises par les autres industries cinématographiques, argentées mais à court d’idées, Bollywood en tête.
Nakulan (Suresh Gopi) revient habiter dans la vieille maison familiale après s’être marié avec la belle Ganga (Shobana). La maison, autrefois un palais, fut le théâtre du meurtre de la danseuse de bharat-natyam Nagavalli par son mari. Son esprit avide de vengeance habiterait toujours les lieux, qui ont été condamnés.
En se promenant dans l’immense demeure, Ganga découvre les appartements proscrits et les fait rouvrir. Peu de temps après des événements étranges surviennent : de la musique carnatique et le bruit des grelots d’une danseuse se font entendre. Le gardien aperçoit une silhouette blafarde se promener dans le jardin au son des bracelets de cheville…
Le comportement de Ganga devient de plus en plus étrange, peu à peu elle essaye d’assassiner son mari.
Nakulan ne croit pas au surnaturel mais il doit pourtant se rendre à l’évidence ; il fait venir des Etats-Unis son ami Sunny Joseph (Mohanlal), psychologue réputé qui tentera de résoudre ce mystère.
Contrairement à ce que pourrait laisser penser son histoire, Manichitrathazhu, est bien plus qu’un film de fantôme ou un simple thriller, c’est avant tout un film social, un film de femmes. En ce sens, il appartient totalement à Shobana, impressionnante dans son interprétation de cette femme troublante et troublée, heureuse en apparence mais traumatisée au fond car, comme beaucoup de femmes indiennes, elle a subi les contraintes familiales et sociales, qu’il s’agisse des impératifs de réussite scolaire ou de mariage. Son attirance pour le personnage de Nagavalli qui a eu une vie similaire même si elle a vécu plusieurs siècles auparavant, n’est donc pas anodine et en dit long sur les pressions exercées sur les femmes, quel que soit leur statut. En se situant dans un milieu familial traditionnel, le film prend des dimensions de film social, le fantastique n’intervenant en fin de compte que pour cristalliser des angoisses et traumatismes existants - et non pour les créer.
Oui, Manichitrathazhu est avant tout un film d’Héroïne, et même s’il bénéficie de la présence d’un Héros (Mohanlal) celui-ci n’intervient qu’après une heure de film, juste avant l’intermission !! Impensable dans toute autre industrie cinématographique indienne, surtout quand on sait que Mohanlal, superstar dans son Etat, est l’égal des Rajinikanth et autres Amitabh Bachchan, qui à leurs grandes heures apparaissaient dès le générique du film avec une chanson d’introduction… Il livre ici une véritable performance dans son rôle de psychiatre pratiquant aussi l’hypnose. Incroyablement charismatique, il a une intensité de jeu peu commune (et hypnotisante justement), contrebalancée par un timing parfait pour la comédie. Il fait merveille dans la seconde partie, la première appartenant exclusivement à Shobana.
Cette utilisation du héros dans le film n’est pas la moindre des qualités du scénario, modèle de rigueur où rien n’est laissé au hasard. En situant l’histoire dans une petite communauté familiale, il prend le risque d’avoir à gérer un nombre conséquent de personnages, tous importants, et il y réussit car chacun est assez développé pour être crédible…et soupçonnable.
Plutôt que de céder à la facilité en copiant les scénarios hollywoodiens comme c’est souvent le cas de nos jours, Manichitrathazhu garde sa spécificité de film indien en passant d’un genre à l’autre sans complexe, et sans pour autant s’écarter de son objectif : le héros pourtant très sérieux se met soudain à cabotiner, des scènes de comédie hilarantes succèdent à des scènes plus graves ou d’autres vraiment terrifiantes… Le tout est bien géré, l’humour très présent est le plus souvent créé par la réaction des personnages (notamment l’oncle craintif) face aux évènements, ce qui maintient la sensation de peur.
Avec un aspect fantastique risqué pour un film indien, le réalisateur a eu l’intelligence de choisir une mise en scène sobre et minimaliste. Au lieu d’utiliser des effets spéciaux qui auraient mal vieilli, il a préféré employer des méthodes simples mais efficaces. C’est sa manière de filmer, et notamment les cadrages lors des nombreuses apparitions de L’Esprit, qui font la différence. Il nous laisse croire certaines choses sans rien révéler de la réalité des phénomènes, jusqu’à la résolution finale.
Les intrusions de l’esprit qui parsèment le film sont en effet généralement des vues subjectives et la plupart des scènes clés filmées en plans séquence caméra à l’épaule. Ces méthodes simples accentuent l’impression de présence de l’Esprit, le rendent presque palpable et font de ce fait réellement peur, alors même que l’Esprit n’est jamais montré avant la scène finale, à la manière des films de Tourneur ou Hitchcock.
Ces apparitions sont soulignées par une utilisation diaboliquement efficace du son et des bruitages.
Manichitrathazhu désigne en malayalam les bracelets à grelots que les danseuses de Bharat-natyam portent aux chevilles, aussi appelés « paayal » en hindi. Le fantôme en porte, et si on ne le voit jamais on l’entend toujours se déplacer. Cela, ajouté à des vues subjectives, donne un effet saisissant.
Des bruitages et une musique de fond réussis viennent accentuer la force des images, mais ne la créent pas, si bien que même muet, le film reste tout aussi éprouvant (à l’inverse de films comme Bhoot qui se transforment alors en comédies).
Respectueux des principaux éléments commerciaux, Manichitrathazhu comporte aussi de jolies chansons qui s’intègrent bien. Dans ce domaine aussi, les maîtres mots sont simplicité et sobriété : donc pas de montagnes suisses ou de décors coûteux élaborés en studio… soit les chansons viennent elles aussi cristalliser les émotions des personnages, soit elles servent la narration. Pour la première catégorie on citera la chanson douce Varuvanilla exprimant toute la mélancolie de Ganga et où perce sa tristesse. Pour la seconde, la chanson finale où Ganga possédée par l’esprit se met à danser, et s’imagine au siècle où la danseuse a vécu, entourée de princes et de celui qu’elle a aimé ; une chorégraphie colorée somptueuse exécutée par Shobana -experte en bharat-natyam- qui force l’admiration.
Mélange osé entre thriller, film de fantôme, comédie et film social résolument féministe, Manichitrathazhu est un film multifacettes qui impressionne par ses innovations, sa grande rigueur de réalisation et son scénario, un modèle du genre qui intègre à merveille les éléments commerciaux, à commencer par la danse, élément clé.
Il réalise la fusion idéale entre modernité du propos et éléments socio-culturels traditionnels propres à l’Inde, à l’image du personnage de Mohanlal, adepte aussi bien de la médecine védique que des méthodes occidentales les plus modernes. Il reste un film encore incroyablement actuel qui n’a pas vieilli d’une image et qui ridiculise bien des films sortis récemment à Bollywood comme à Kollywood.
Vous l’aurez compris, Manichitrathazhu est un chef d’œuvre, il fait partie de ces classiques incontournables à voir au moins une fois.
Il rencontra à sa sortie en 1993 un énorme succès critique et public, et eut une influence majeure sur le cinéma indien. Ce fut le premier film en malayalam à être édité en VCD. Il fit l’objet d’un remake en kannada (Aptamitra) et plus récemment en tamoul (Chandramukhi) ; à noter égalemment que le film Anniyan, l’un des plus gros succès tamoul de l’année 2005, lui empreinte allègrement une grande partie de son intrigue et de ses scènes clés.