Namak Haraam
Traduction : Traitre
Langue | Hindi |
Genre | Films sociaux |
Dir. Photo | Jaywant Pathare |
Acteurs | Amitabh Bachchan, Rekha, Rajesh Khanna, Durga Khote, Asrani, Manmohan Krishna, Simi Garewal, A. K. Hangal, Om Shivpuri |
Dir. Musical | R. D. Burman |
Parolier | Anand Bakshi |
Chanteurs | Asha Bhosle, Kishore Kumar, Usha Mangeshkar |
Producteurs | Jayendra Pandya, Rajaram, Satish Wagle |
Durée | 136 mn |
Vikram (Amitabh Bachchan) et Somu (Rajesh Khanna) sont les meilleurs amis du monde. Le premier est le fils unique d’un riche entrepreneur (Om Shivpuri) tandis que le second est issu de la classe moyenne. Un jour, le père de Vikram subit un infarctus, et demande à son fils de diriger l’usine familiale à sa place pendant deux mois. Dès le premier jour, il se montre désagréable avec le dirigeant syndical Bipinlal Pandey (A.K. Hangal). Son père l’oblige immédiatement à s’excuser auprès du vieil homme qu’il a blessé, mais Vikram se sent si humilié après cela qu’il décide de se venger : son ami Somu va ainsi se faire engager dans l’usine sous le nom de Chander et, avec la complicité de Vikram qui jouera au méchant patron, remplacer peu à peu le leader Bipinlal dans le cœur des ouvriers. Alors qu’il a progressivement réussi à détrôner son rival, Somu/Chander se prend cependant d’affection pour ses collègues et leurs familles, et tombe amoureux de la pauvre Shama (Rekha)…
Quelques mois seulement après Abhimaan, Amitabh Bachchan tourne à nouveau avec Hrishikesh Mukherjee, son réalisateur fétiche des années 70, qui n’a donné quasiment que des œuvres majeures à la longue (mais qualitativement inégale) filmographie de la star (on peut aussi citer Mili), tout comme à la carrière de Jaya Bachchan (Guddi), Rekha (Khubsoorat), des films qui étaient toujours profonds et accessibles à la fois… La vraie vedette du métrage, toutefois, c’est Rajesh Khanna, encore au sommet de sa gloire pendant la montée en puissance de l’angry young man Bachchan au box-office (Zanjeer est sorti quelques mois auparavant). Tous deux se retrouvent deux ans après le superbe Anand, toujours de Mukherjee, l’un des plus beaux films de leurs carrières respectives.
Comme souvent dans ses œuvres, le cinéaste bengali traite d’un sujet social précis, ici le monde de l’usine, du travail, et plus particulièrement les rapports entre ouvriers, a fortiori syndicat, et patronat. Son scénario malin ressemble d’abord à une comédie satirique, avec nos deux héros qui jouent des rôles afin d’assouvir une vengeance. Mais le personnage d’Amitabh joue-t-il vraiment un rôle lorsqu’il chasse le leader syndical qui vient lui présenter une doléance ? Dès le début, et dès qu’il ne partage pas des scènes d’amitié "fusionnelle" (une constante du cinéma hindi viril de cette époque, cf la chanson Yeh Dosti de Sholay) avec Rajesh Khanna, il se montre régulièrement irascible envers les ouvriers de son usine, les domestiques… Il appartient à une classe sociale élevée, celle des entrepreneurs, et semble avoir hérité de son père un certain mépris pour les gens modestes, les simples salariés.
Rajesh Khanna, au contraire, s’amuse bien, au début, de son personnage d’ouvrier et de son pseudonyme, puis de son ascension dans la hiérarchie syndicale grâce à la crédulité des ouvriers qu’Amitabh et lui manipulent en coulisses… Pourtant, il va bientôt se rendre compte que, certainement parce qu’il est issu de la classe moyenne, il se sent plus proche de ces pauvres gens que de son ami qui est leur patron, autrement dit plus proche des travailleurs que de l’"exploiteur". Ce déterminisme qui, bien que non dénué de chaleur humaine, conditionne le comportement des hommes selon la classe sociale à laquelle ils appartiennent, fait un peu penser aux romans fatalistes de Zola, un auteur que Mukherjee connaît probablement. Même le père d’Amitabh, en patron expérimenté, le met en garde en lui prédisant à l’avance que son ami "infiltré" dans l’usine finira par prendre au sérieux son rôle de meneur des opprimés. Le film est ainsi une réflexion sur la classe moyenne indienne émergente de l’époque, tiraillée entre le patronat et le prolétariat qui, même si elle nourrit parfois des ambitions professionnelles, a gardé une conscience sociale, une "conscience de classe".
Outre une belle bande originale de R.D. Burman, on a toujours droit, côté distribution, à une bonne direction d’acteurs avec Mukherjee : Rajesh Khanna est drôle, naturel et attachant comme il en avait l’habitude ; quant à l’impulsif Amitabh, bien qu’ayant des colères trop systématiques dues à quelques scènes un peu redondantes, il imprimait déjà la pellicule de son charisme. Parmi les seconds rôles, plus que les jolies Rekha et Simi Garewal ainsi que le sympathique comique G. Asrani (qui n’a jamais été aussi sobre que chez Mukherjee), c’est le superbe A.K. Hangal (Sholay, Lagaan) qui fait une belle impression dans son éternel rôle de vieux sage dont on ne se lasse pas. L’abonné aux seconds couteaux Om Shivpuri est toujours fiable également.
Avec ce film, le grand Hrishikesh Mukherjee, ami de Bimal Roy et de Raj Kapoor, nous propose donc une fois de plus un cinéma populaire et authentique à la fois, à mi-chemin entre l’idéalisme d’un Capra et la justesse du cinéma d’auteur naturaliste (on parle de middle-of-the-road cinema), autrement dit ni trop naïf, ni trop sec, un équilibre auquel contribue grandement un duo d’acteurs passionnants… Comme nombre de films réalistes hindis des années 70 (ceux de Mukherjee, mais aussi ceux du talentueux Gulzar, qui est ici scénariste et dialoguiste), Namak Haraam est une véritable perle, assez originale.
A noter que ce genre de film social sur la lutte des classes a donné d’autres œuvres intéressantes en Inde comme, beaucoup plus récemment, le film tamoul Kanchivaram de Priyadarshan.