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La critique de Fantastikindia

Par Mel - le 21 décembre 2012

Note :
(6/10)

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Un journaliste (Brijendra Kala) parvient enfin à rencontrer le fameux Paan Singh Tomar (Irrfan Khan) pour une entrevue exclusive. Le dacoït lui fait le récit de sa vie, depuis son entrée dans l’armée en 1950, 31 ans plus tôt. Tout jeune homme, très simple, venant de sa campagne du nord du Madhya Pradesh, il ne rêvait que de défendre l’Inde, sa patrie. Mais c’est dans le sport qu’il s’est illustré, lorsque son talent extraordinaire pour la course à pied a fait de lui une vedette dans les années 50 et 60. Intégrant l’équipe sportive militaire, il devient champion national de steeplechase et ses records l’emmènent jusqu’aux jeux pan-asiatiques de 1958 à Tokyo, très loin de son petit village natal.

A la fin de sa carrière sportive, il quitte l’armée avec un grade de soubedar (capitaine) pour retourner s’occuper de l’exploitation familiale. C’est une dispute de voisinage qui va mettre le feu aux poudres. La justice comme la police locale se désintéressent de son affaire malgré sa notoriété passée de champion sportif. Impuissant, il perd une partie de sa terre et des membres de sa famille sont même sérieusement molestés. Pour faire valoir ses droits et se venger, il entre dans le banditisme à plus de 45 ans, devenant ainsi un de ces dacoïts de la vallée de la rivière Chambal…

Le film de Tigmanshu Dhulia est un biopic, la biographie filmée d’un personnage réel. L’entretien qui démarre le film a effectivement été donnée à Gwalior par Paan Singh au journaliste Hemendra Narayan, fin mars 1981, quelques jours seulement après le massacre de Pawa-Pawata. Mais cette interview qui permet de raconter une grande partie du parcours de Paan Singh, a été en réalité beaucoup plus courte que ne le laissent penser les 1h45 de flashback dans le film. De façon maligne, elle constitue cependant une base solide pour la description, dans la dernière demi-heure, des 6 mois suivants, lorsque la police fini par prendre son cas très au sérieux et traque sans relâche l’ancien champion.

Paan Singh était un dacoït, c’est à dire un bandit armé qui écume en bande organisée le nord-est de l’Inde, entre le Madhya Pradesh, l’Uttar Pradesh et le Rajasthan. Les bandes criminelles infestent encore aujourd’hui cette région aride, rançonnant les voyageurs et les villages, attaquant les trains et enlevant les habitants de la région pour extorquer de l’argent à leurs familles. Le cinéma indien les a souvent dépeint, parfois de façon presque romantique, mais aussi comme ils le sont généralement, c’est à dire à l’image de l’ignoble Gabbar Singh de Sholay.

Paan Singh Tomar est certes plus subtil, mais il fait assez peu de cas des victimes de la bande de Paan Singh. Ceux qui sont assassinés le sont en représailles, ou sont des policiers voire des informateurs ; comme si cela pouvait constituer une justification au meurtre. Il va même jusqu’à nous faire croire que ceux qui sont enlevés ont presque mérité leur sort du fait de leur vie dissolue. On voit parfois un semblant de regret dans l’œil de Paan Singh. Mais il est bien plus hanté par son propre destin que par le remord. Pour lui, les victimes sont un peu coupables.

L’inverse est ici également vrai, les coupables sont aussi des victimes. Comme dans Bandit Queen sur lequel Tigmanshu Dhulia était assistant, l’incurie de la société a créé le dacoït. Autant le martyr de Phoolam Devi pouvait expliquer certaines de ses actions, autant il est difficile de considérer l’inaction de l’État dans un conflit privé de propriété comme une justification à plusieurs années de mise en coupe réglée de toute une région. C’est pourtant le message du film, affiché à la toute fin : "Ce film est dédié à l’histoire oubliée des héros du sport indien.", suivi d’une litanie de noms de sportifs morts dans la misère. Comme si le manque de reconnaissance de la patrie légitimait le parcours criminel de Paan Singh.

L’Inde qui est montrée dans ce film est celle des campagnes sous-développées, très éloignées de la magie de Bollywood. Plus encore que par leur dénuement, le spectateur occidental est frappé par le fatalisme et la passivité des villageois. Ils sont littéralement écrasés entre des dacoïts déguisés en guérilléros et des unités de police anti-dacoity qui font elles aussi bien peu de cas de la vie humaine, au point d’exhiber les cadavres comme on le faisait des fauves lors des chasses au tigre autrefois. Mais il est malaisé de voir un message politique dans Paan Singh Tomar. La description minutieuse de ces lieux reculés et misérables ne semble être justifiée que pour insister sur le réalisme de la biographie.

Cette vérité est portée par Irrfan Khan qui est encore une fois magistral. De façon étonnante, il est tout aussi crédible lorsqu’il joue le personnage à 20 ans et à 50. Mieux même, il est très à l’aise dans les longs passages de course à pied, alors qu’il avait 42 ans au moment du tournage. C’est à croire que cet homme n’a pas d’âge ! Il reprend ici le ton monocorde et les phrases ciselées qui faisaient le sel de Billu. Avec une économie de moyens remarquable, il arrive à faire passer aussi bien un humour pince-sans-rire inimitable que la colère de l’homme bafoué ou même l’angoisse de la mort. C’est tout en sobriété qu’il incarne un Paan Singh introverti et attachant, qui passe de la soumission à l’armée, à la révolte dans le labyrinthe de la vallée de la Chambal.

Tous les rôles secondaires comme celui de la femme de Paan Singh, Indira, interprété par Mahie Gill, ou de l’entraîneur joué par Rajendra Gupta, sont parfaitement en place et renforcent la crédibilité du film. L’histoire nous est racontée de manière linéaire, complète et sans surprise de dernière minute. La première partie nous décrit l’ascension sportive de Paan Singh, la seconde son "œuvre" criminelle. On comprend cependant rapidement que la course devra se finir d’une manière ou d’une autre, et qu’il n’est pas sûr d’en sortir vainqueur.

Tigmanshu Dhulia a dit que l’envie de réaliser cette biographie lui était venue sur le tournage de Bandit Queen en 1994. Tout comme dans le film de Shekhar Kapur, l’histoire vraie est en elle-même suffisamment extraordinaire et prenante pour qu’il n’ait pas été nécessaire de rajouter des moments de tension artificiels ou des intermèdes musicaux. Mais à l’inverse de son illustre prédécesseur, il s’est appliqué à écrire un film qui colle autant que possible à la vérité historique sans qu’aucune omission vienne altérer la compréhension des évènements.

On pourrait penser que les films de dacoït ont maintenant du mal à convaincre les distributeurs car Paan Singh Tomar a été tourné en 2009 mais n’a pu sortir sur les écrans qu’en mars 2012. Fort heureusement et à la surprise générale, la performance des acteurs, Irrfan Khan en tête, et sa narration parfaitement maîtrisée ont poussé les spectateurs dans les salles au delà de toute attente.

Malgré son rythme un peu lent et un message discutable, ce biopic se laisse regarder sans déplaisir. Il nous emmène sans nous ennuyer une seconde dans la vallée de la rivière Chambal pour nous raconter une histoire profondément indienne, celle de la vie oubliée de Paan Singh Tomar, coureur de demi-fond et dacoït impitoyable.



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