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La critique de Fantastikindia

Par Didi - le 29 novembre 2012

Note :
(8.5/10)

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La jeune Phoolan vit avec ses parents, de modestes bateliers (caste des mallah), dans un petit village de l’Uttar Pradesh. Le dénuement financier de la famille est tel, que le père doit utiliser sa fille comme monnaie d’échange pour régler une dette : la fillette n’a que onze ans lorsqu’elle est mariée à un homme, certes d’âge moyen, mais bien trop vieux pour elle. Dans son nouveau foyer, Phoolan fait office de bête de somme pour accomplir les tâches ménagères que sa belle-mère, trop âgée, ne peut plus faire. La vie de la fillette tourne au drame le jour où son mari, trop impatient d’attendre que sa jeune épouse soit en âge nubile, décide de consommer le mariage et la viole. À la concupiscence, il ajoute la cruauté : lorsque Phoolan se plaint des séquelles physiques de cette relation forcée, il la bat sans ménagement. La fillette décide alors de fuir son bourreau pour retourner chez ses parents.

Adolescente, Phoolan continue d’être l’objet de la convoitise des mâles. Cette fois c’est un jeune homme qui ne comprend pas pourquoi elle refuse ses avances et tente de la forcer. L’agresseur éconduit n’en reste pas là et, profitant de son statut social supérieur (il est de la caste des Thakur, une catégorie de rang moyen de kshatriya), il traîne sa victime devant le conseil des sages du village. À leur yeux, Phoolan est doublement coupable : en tant que femme, c’est forcément elle qui incite à la luxure, en tant que membre d’une caste inférieure, elle aurait dû se soumettre à la volonté d’un membre d’une caste supérieure. Par ailleurs, Phoolan était déjà coupable d’avoir fui son mari, peu importe que celui-ci l’ait violée et maltraitée. C’est pourquoi en tant que femme indocile et inamendable, le conseil des sages la condamne au bannissement.

Phoolan commence alors une existence marginale et hors la loi, car elle trouve refuge auprès d’une bande de bandits qui écument la campagne de l’Uttar Pradesh. Avec eux, elle parvient même à s’approcher du bonheur en ayant une relation amoureuse avec Vikram, bandit de la même caste qu’elle, qui lui apprend à manier la carabine et à n’avoir confiance en personne. Malheureusement pour Phoolan, Vikram est tué par Sriram qui prend ainsi le contrôle de la bande…

Bandit Queen, la reine des bandits, est le troisième film du réalisateur Shekhar Kapur, après Masoom et le célèbre Mr India, avec Anil Kapoor. Sorti en 1994, ce film réaliste est aux antipodes de ce qui se faisait à l’époque dans le cinéma hindi. Rappelez-vous, 1994, c’est l’année de Hum Aapke Hain Koun, de Sooraj R. Barjatya, qui montre, pendant trois heures, la joie du mariage arrangé. Bandit Queen, en dépit de son étiquette « film d’aventures », est plus proche du cinéma militant en dénonçant les pratiques archaïques de l’Inde rurale : mariage des enfants, violences faites aux femmes, inégalités sociales du système de castes. Toutes ces pratiques sont illégales au regard de la constitution indienne, mais difficiles à éradiquer, surtout en milieu rural. Satyajit Ray avait fait une dénonciation similaire avec Sadgati, en 1981. Plus d’une décennie plus tard rien n’avait changé. On peut même dire que Swades, de A. Gowariker, 2004, en est un lointain écho, certes avec une charge beaucoup moins virulente.

Ce parti pris réaliste et militant du réalisateur — l’histoire est toujours présentée du point de vue de la protagoniste féminine — fait de Bandit Queen un film parfois éprouvant à regarder d’autant plus qu’il y a surenchère dans les outrages que Phoolan Devi subit depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte. Je pense notamment à une séquence où la jeune femme est passée à tabac, puis violée et finalement dépouillée des restes de sa dignité humaine par les bandits qui ont tué son amant et pris le contrôle de son gang. La séquence finale de Paruthi Veeran, qui met également en scène un viol collectif, s’en inspire directement.

Avec Bandit Queen, Shekhar Kapur est le premier à porter à l’écran l’histoire, ou tout du moins une partie de l’histoire — de son enfance à sa réddition — de Phoolan Devi, alors que celle-ci était devenue une légende : celle de la femme qui avait dit non, qui avait osé se rebeller contre les hommes et qui avait pris les armes contre eux, quitte à devenir criminelle. Les médias, d’où qu’ils soient et quelle que soit l’époque, sont fascinés par la femme criminelle. Lors de l’épopée sanglante de Phoolan Devi, ils avaient contribué à forger sa notoriété, faisant de cette hors-la-loi justicière un nouvel avatar de Robin des Bois au féminin, militante de la cause des femmes, en particulier celles des castes inférieures. Autrement dit, ils en avaient fait l’archétype du bandit social, tel que l’avait défini l’historien Eric Hobsbawm.

Or, cet aspect de « bandit social », qui met le crime au service d’une cause sociale, est très peu présent dans le film de Shekhar Kapur. Je m’explique : on voit bien Phoolan se rebeller, prendre les armes avec les hommes contre d’autres hommes [1], commettre les mêmes forfaits qu’eux, et répondre au viol par l’assassinat, mais son côté militant est escamoté. Seules deux scènes y font brièvement allusion. Dans l’une d’entre elles, Phoolan donne à une petite fille, « pour son mariage », le produit de son larcin. Évoqué trop rapidement, on ne comprend si par ce geste elle prétend que cette petite fille s’émancipe de l’autorité paternelle ou si c’est sa contribution à sa dot. Il en va de même pour les conditions de la reddition de la reine des bandits. On passe trop vite pour qu’on puisse en saisir tous les enjeux. C’est bien le principal reproche que l’on peut faire à la deuxième partie du film, qui traite plus de l’aspect « bandit » que « social », même si ce parti pris montre en quelque sorte le côté inéluctable du destin de Phoolan Devi, laquelle, n’ayant connu que la violence depuis son plus jeune âge, ne pouvait plus que vivre pour et par la violence.

Seema Biwas crève l’écran en incarnant Phoolan Devi, telle une tigresse enragée au regard noir, tannée par les épreuves infligées par sa condition de femme de caste inférieure. Physiquement, on est bien loin des canons de beauté en vogue dans le cinéma hindi à l’époque et toujours en vigueur : pas de glamour, ni de poudre à blanchir. Cette reine des bandits est, de façon très réaliste, de taille moyenne, a le cheveu crépu et rebelle sous son bandeau rouge, la peau noircie par le soleil. Cette remarquable prestation valut à Seema Biwas le national award, récompense suprême, de la meilleure interprétation en 1995. Quant aux acteurs masculins, on retrouve des visages qui deviendront familiers par la suite comme Manoj Bajpal (Veer-Zaara,Rajneeti) ou Rajesh Vivek, déjà avec sa crinière très reconnaissable (Lagaan, Swades, Jodhaa Akbar), pour ne citer qu’eux.

Pour porter à l’écran la vie de Phoolan Devi depuis son enfance jusqu’à sa reddition, Shekhar Kapur avait un atout maître dans son jeu : Mala Sen, journaliste indienne et auteur d’une biographie de la reine des bandits [2], supervisait le scénario. Cela dit, lorsque Phoolan Devi découvre le film, elle s’insurge et entreprend une action en justice pour l’interdire. Selon Mala Sen, cautionner le film signifiait, pour Phoolan Devi, admettre publiquement avoir été victime de viols, humiliation difficilement avouable d’un point de vue social, et reconnaître le massacre de Behmai, alors que des charges criminelles pesaient encore contre elle. L’affaire fut résolue grâce à un dédommagement financier et Bandit Queen put alors sortir sur les écrans indiens et internationaux.

Le film eut beaucoup de retentissement en Inde, où il connut un succès au box-office et auprès de la critique. Shekhar Kapoor reçut les filmfares « meilleur film » et « meilleur réalisateur » adjugés par la critique. Mais le destin de Bandit Queen ne s’arrêta pas là. Il fut présenté à Cannes en 1994, ce qui lui ouvrit les portes d’une sortie mondiale, y compris en France où le film fut exploité en salles sous le titre de La Reine des Bandits. Ce succès mondial permit aussi à Shekhar Kapur d’entreprendre une carrière internationale et de réaliser ses deux films internationaux à gros budget consacrés à Elizabeth Ie d’Angleterre, Elizabeth et Elisabeth : l’âge d’or, avec Cate Blanchett dans le rôle titre.

Bandit Queen ne comporte aucune séquence chantée, seule la voix dolente du regretté Nusrat Fateh Ali Khan vient soutenir quelques scènes du film comme pour faire écho aux souffrances endurées par Phoolan Devi.



[1]
C’est là l’une des différences principales entre Phoolan Devi, reine des bandits, à la tête d’un gang composé exclusivement d’hommes, avec des armes d’hommes, la carabine, et Sampat Pal Devi, autre femme rebelle au destin similaire (femme de caste inférieure, originaire de l’Uttar Pradesh, mariée à douze ans et victime de violences de la part de son mari et de sa belle famille), chef du gang des saris roses, le Gulabi gang, composé essentiellement de femmes et ayant pour arme pour combattre et faire valoir leurs droits un bâton de berger. Cf. Moi, Sampat Pal : chef de gang en sari rose, Oh ! éditions.

[2]
Mala Sen, La Reine des bandits. La véritable histoire de Phoolan Devi, Stock, 2001. Cette biographie fut écrite grâce aux confidences que l’intéressée fournissait à la journaliste, sur des cahiers d’écolier alors qu’elle était en prison. À propos de la controverse qui eut lieu à la sortie du film, un article de la romancière Arundhati Roy, datant ce la même époque, apporte un éclairage intéressant sur la question. Finalement, vous pouvez lire l’autobiographie de Phoolan Devi, Moi, Phoolan Devi, Reine Des Bandit, J’ai Lu, 1997.



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