Peepli [Live]
Traduction : En direct de Peepli
Langue | Hindi |
Genre | Comédie dramatique |
Dir. Photo | Shanker Raman |
Acteurs | Naseeruddin Shah, Nawazuddin Siddiqui, Raghuvir Yadav, Omkar Das Manikpuri, Malaika Shenoy, Shalini Vatsa, Farrukh Jaffer, Vishal O. Sharma |
Dir. Musical | Ram Sampath, Indian Ocean, Nageen Tanvir, Sanjeev Sharma, Brij Mandal, Bhadwai |
Paroliers | Swanand Kirkire, Sanjeev Sharma, Noon Meem Rashed, Gangaram Sakhet, Brij Mandal, Bhadwai |
Chanteurs | Raghubir Yadav, Nageen Tanvir, Indian Ocean, Brij Mandal, Bhadwai |
Producteurs | Aamir Khan, Kiran Rao |
Durée | 110 mn |
La nouvelle production d’Aamir Khan (et de sa moitié Kiran Kao) faisait figure d’outsider à sa sortie cet été 2010. Un sujet loin du glamour habituel, pas vraiment un film d’action non plus, mais la condition catastrophique des paysans indiens, poussés au suicide à cause de leurs dettes.
Pour saisir l’étendue du problème, il faut savoir qu’en 2007, 16 632 suicides de paysans ont été comptabilisés en Inde (17 060 en 2006), et que depuis 1997, on arrive au chiffre gigantesque de 182 936 paysans suicidés (1). La réalisatrice Anusha Rizvi s’est emparé de ce sujet peu habituel pour les écrans de cinéma et en fait le cœur d’une histoire renvoyant dos à dos médias, politiques et société civile.
Le film a pour point de départ deux frères, Natha (Omkar Das Manikpuri) et Budhia (Raghubir Yadav). Dès le générique, on les voit revenir vers Peepli, leur village éloigné de tout, de retour d’un long trajet entrepris pour aller voir leur banque : ils savent déjà qu’ils sont sur le point de perdre leur terre, suite à un emprunt qu’ils ont contracté notamment pour payer les médicaments de leur mère malade (acariâtre, par ailleurs, la mère). Les deux frères décident d’aller voir le politicien local (on est en pleine élection) qui, hilare avec ses conseillers, lui suggère de se suicider, de façon à ce que sa famille touche l’argent que l’Etat donne aux familles en pareil cas. Les deux paysans apprennent la nouvelle avec surprise mais bientôt, face à la misère du quotidien, l’idée fait son chemin, et Budhia arrive à convaincre son frère Natha, naïf et un peu simplet, de commettre ce suicide pour sauver sa terre et sa famille.
L’histoire aurait pu s’arrêter là si Rakesh, un journaliste local, n’avait pas croisé par hasard les deux frères et consacré un article à Natha. Il n’en fallait pas plus pour que l’attention des médias (toujours en quête de scoop) se porte sur le petit village de Peepli et que les leaders politiques (quelle publicité en pleine période d’élection !) s’en mêlent.
L’emballement médiatique qui en découle est montré avec une ironie mordante : la maison de Natha et sa famille, au bout du village de Peepli, déjà au bout du monde, se transforme en centre d’attention national, avec retransmission [live !] donc, par un amas de journalistes appartenant à des chaînes concurrentes, installation de fêtes foraines, balades de badauds, et surtout visite de politiciens de tous bords.
Le film raconte avec cynisme que le suicide - ou non - de Natha, devient un enjeu électoral : sa mort profiterait à l’opposition qui montrerait à quel point le gouvernement actuel ne s’occupe pas des paysans, son sauvetage redorerait le blason du parti au pouvoir. Natha est d’ailleurs couvert de cadeaux inutiles sans que personne ne lui demande de quoi il a vraiment besoin. Et le comportement des hauts dirigeants à Delhi est sans scrupule : leur inertie face à la moindre action en devient comique tellement elle est révoltante, aucun ne se soucie de la prochaine mort de Natha, mais tous pensent à son utilisation possible sur le plan médiatique. La palme revient au ministre de l’agriculture qui ne voit de salut que dans l’industrialisation des campagnes (Naseeruddin Shah, pince-sans-rire).
Les journalistes en prennent tout autant pour leur grade. Sans aucune déontologie, à la recherche du scoop qui leur fera prendre l’avantage sur leurs concurrents, échafaudant les reportages les plus absurdes à coups d’interviews bidonnées, et ne prenant bien évidemment jamais le temps de vérifier leurs sources : le cirque médiatique est montré sans aucune concession, peu de personnages à racheter au milieu de tout cela, et cette vision atteint son but, car on ne peut s’empêcher de penser à plusieurs faits divers et affaires politiques en France ou à l’international, qui ont déclenché ce genre d’hystérie médiatique.
La force de Peepli [Live] est d’ailleurs dans ce contraste : tout a l’air exagéré, mais tout a l’air possible aussi, en Inde, aux Etats-Unis, en Europe, au Chili, ou ailleurs… Et que l’éventuel suicide d’un homme soit au centre de tout ça n’incite personne à la retenue, au contraire : personne ne veut aider Natha en fait, ou vraiment trouver une solution pérenne au problème des paysans indiens, par contre tout le monde veut faire son beurre sur son dos.
On peut également voir là les limites du film : l’aspect comédie satirique laisse l’émotion de coté. Le personnage d’un vieux paysan famélique qui s’acharne à creuser un puits loin de l’agitation du village apporte de la gravité, mais l’aspect cynique de l’ensemble empêche le film d’emporter totalement le spectateur. Comme avec le personnage de Natha, attendrissant, doux et visiblement dépassé par la situation : mais sa passivité est un des freins du film, la condition paysanne est finalement laissée de côté, au profit du cirque médiatique et politique qui accompagne l’histoire.
Peepli [Live] est finement réalisé : le rythme rapide où s’enchaînent les scènes reflète bien la façon dont dégénère la situation. Les acteurs sont d’un naturel confondant. La réalisatrice a laissé sa caméra traîner dans le village où se déroulait le tournage pour habituer la population et, au bout de 10 jours, la population n’y prêtait plus attention. Les premiers rôles sont joués avec brio : mention spéciale aux membres de la famille de Natha, surtout sa femme (Shalini Vatsa) et sa mère (Farrukh Jaffer), ainsi qu’à Nandita, la présentatrice télé (Malaika Shenoy), et au reporter local Rakesh (Nawazuddin Siddiqui). Omkar Das Manikpuri, qui joue Natha, et plusieurs autres acteurs du film, appartiennent à la troupe du Naya Théatre de Habib Tanvir : le haut niveau de leur interprétation d’ensemble contribue grandement à la réussite du film. Et la musique, œuvre du groupe indien Indian Ocean et de Ram Sampath, s’intègre très bien au film, avec une touche légèrement folklorique.
Le pari de cette production s’est révélé gagnant. Succès critique et au box-office, premier film indien présenté au festival américain de Sundance, entrée indienne aux oscars, Peepli [Live] collectionne les réussites, avec le lot de polémiques qui va avec : accusation de plagiat pour l’une des chansons, plainte d’un collectif de paysans indiens arguant que le film exploite leur image sans compensation et sans se préoccuper de leurs vrais problèmes et, dernièrement, plainte d’un avocat contre le "langage abusif" du film. Par ailleurs, depuis quelques jours, une polémique semble naître entre le couple de réalisateurs Anusha Rizvi-Mahmood Farooqui et leur producteur Aamir Khan (accusé plus ou moins de mainmise sur le film à la fin du tournage, sans laisser sa liberté de décision à la réalisatrice)… Peepli [Live] devrait donc continuer à faire parler de lui cette année !
Terminons donc cette critique en laissant la parole à la réalisatrice Anusha Rizvi, qui a donné à son film une fin très très amère. D’ailleurs, elle prévient le spectateur : "c’est définitivement un film politique. Je ne dirais pas que c’est un film plein d’espoir. Si les spectateurs se surprennent à rire, ils devraient se demander ce qu’ils trouvent drôle dans la situation actuelle de l’Inde. Le but du film n’est pas de mettre à l’aise le public" (2).
Et effectivement, Peepli [Live] nous laisse avec l’idée diffuse et effrayante que le monde est devenu fou et que personne ne semble s’en apercevoir.
Sources :
(1) "Quel espoir pour les petits paysans en Inde" par Valérie Fernando, 2009, accessible sur le site Dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale http://www.d-p-h.info/.
(2) Interview parue dans Time Out Delhi du 6-19 août 2010.