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Rencontre avec Prakash Jha

Publié mardi 4 mars 2014
Dernière modification mardi 4 mars 2014
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Par Alineji, Mel

Rubrique Entretiens
◀ Trois réalisateurs indiens à Paris
▶ Interview de Ketan Mehta et Nawazuddin Siddiqui

Prakash Jha, l’auteur de Raajneeti, film projeté lors du premier festival Extravagant India !, en octobre dernier, était à Paris à cette occasion. Alineji, Gandhi Tata et Señorita sont allés à sa rencontre dans un grand hôtel au cœur de la capitale et il a accepté de répondre à leurs questions.

Vous réalisez des films politiquement et socialement extrêmement engagés, avec des thèmes sensibles, quel type d’audience attendez-vous en Inde ?

Prakash Jha : En Inde, la politique et la démocratie telle qu’elle est pratiquée sont très compliquées. Donc mes films sont aussi très compliqués du point de vue scénaristique. D’habitude, et spécialement à l’Ouest, on connait mieux les films comme ceux de Satyajit Ray ou alors les films qui associent le chants et la danse, comme ceux de Shah Rukh Khan, mais pas les films qui se situent au milieu.
J’essaie de m’insérer dans cette fenêtre qui comporte une vaste catégorie de films. Il y a beaucoup d’expérimentations, un nouveau type de sujets et de réalisateurs, et spécialement des gens comme moi qui viennent du cinéma d’art et d’essai. J’ai commencé par faire des documentaires, puis des films appelés parallel cinema en Inde, des films qui vont beaucoup dans les festivals, partout dans le monde.
Lorsque l’économie de marché, de libre concurrence, est arrivée, le financement pour ce parallel cinema et pour les petits films s’est arrêtée, aussi on a du essayer de trouver de nouvelles voies pour montrer ce qu’on voulait dire et utiliser aussi le langage commercial.
Rapidement, j’ai réalisé un de mes premiers films qui s’intitulait Death Sentence, Mrityudand avec des stars, dont Madhuri Dixit. J’ai été surpris par son succès auprès du public indien, mais ce film n’est pas allé à l’étranger ni dans des festivals. Ce n’était pas très grave car il y a un marché très important en Inde.
Puis j’ai fait de nombreux films avec des thèmes sociaux et politiques, parfois controversés, parfois dangereux, et pendant les périodes où je les réalisés, mes films ont souvent rencontré des tas de problèmes, des procès, des arrêts de la projection, mon bureau a été caillassé, on ne pouvait pas se déplacer en toute sécurité. Mais, mes films trouvent une vraie résonance avec le public habituel et donc j’ai été en capacité de faire des très grands films, avec les plus grandes stars, toujours sur des thèmes sociaux et politiques.
Ce type de films est maintenant accepté, par exemple le film Madras Café qui a été tourné récemment a été très bien reçu, il traite des tamouls et du Sri Lanka. Mon film, Satyagraha traite d’un soulèvement dans la classe moyenne et de protestations des classes moyennes contre les partis politiques, et il a eu un public.
Et j’ai été très surpris que dans ce festival de Paris, Raajneeti ait été choisi parce qu’il a eu un vrai grand succès en Inde. En général, mes films coûtent 10 à 15 million de dollars à produire et on réussit à couvrir les frais et à faire un profit suffisant pour faire le prochain film. C’est bien. Et il n’y a pas jamais de chanson ni de danse, de poursuite amoureuse autour d’un arbre dans mes films, toujours des thèmes sociaux politiques. Mais je pense que dans des festivals pointus comme celui-ci, où le cinéma sérieux indien est invité, il y aura une forte identification sociale et politique. Car les protestations sont similaires, les questions sociales sont les mêmes en France, au Brésil, partout dans le monde, au Nord et à l’Est, en Asie. Et je pense que ces films auront du succès.

Quel film a été votre plus grand défi ?

Prakash Jha  : Cela été Satyagraha, en terme de narration, car il a fallu mettre en évidence les raisons du conflit. L’économie est un type de problème, mais le plus grand problème est la pratique de la démocratie en Inde. C’est très dynastique. Il n’y a pas de vrai processus démocratique. Celui qui remporte la majorité obtient les pouvoirs, mais la plupart du temps, la majorité se trompe et décide de faire des choses qui sont des erreurs.
D’un point de vue cinématographique et scénaristique, il a été très difficile de faire ce film et de faire surgir une histoire émouvante qui puisse maintenir le public concentré. Cela été un grand défi.

Et du point de vue de la production, lequel a été le plus grand défi ?

Prakash Jha : Cela a souvent été le cas. L’Inde est un grand pays, avec beaucoup de gens, et quand vous faites des films sociaux et politiques, vous avez besoin de beaucoup de monde. Vous avez les meetings politiques où vous avez besoins de milliers de gens. C’est actuellement une période électorale en Inde, et vous avez des meetings politiques tous les jours avec 100 000 ou 200 000 personnes, c’est énorme. Lorsque vous faites un film qui représente cela, vous travaillez souvent avec 5000 à 7000 personnes sur le plateau.

C’est une armée ? Quelle armée !

Prakash Jha : Oui, une armée. Et, Il faut faire bouger tous ces gens. Si vous avez vu Raajneeti, il y a une foule, toute une rue remplie de monde, et il a fallu s’y prendre plusieurs mois, six mois, avant le tournage pour former les gens, les mettre en ordre et leur dire ce qu’ils devaient faire. Ce n’est pas une foule rassemblée à la va-vite. Tous les jours, vous devez les habiller, les positionner, les transporter sur le plateau, et commencer à tourner le matin à 7h30. On commence réellement à travailler à 2h du matin, et j’ai une équipe d’une cinquantaine d’assistants dont le rôle est de mettre la foule en place avant de commencer à tourner. Parce que la lumière du jour doit être correcte.
Concrètement, j’ai une très bonne équipe de production et en Inde, nous travaillons tous ensemble, de cette façon nous sommes capables de réaliser beaucoup comparativement à ce qui est fait à l’ouest. Et ça ne coûte pas cher, c’est abordable.

Vous faites des films à caractère social et politique, mais vous tournez avec de grandes stars du cinéma grand public, n’avez-vous pas de problèmes avec eux, comment faite-vous pour arriver à concilier les egos ?

Prakash Jha : En Inde, on me pose souvent cette question. Les grandes stars ensemble ? Amitabh Bachchan, Ajay Devgan, Manoj Bajpai, Arjun Rampal, etc., je ne sais pas, je dois avoir de la chance. En fait, j’ai une histoire et je crois à cette histoire ; je vais la leur raconter et ils me font confiance, et ils sont prêts à travailler, ils font partie d’une équipe. Je n’ai jamais eu de problème. Personne n’est arrivé en retard sur mes plateaux, personne n’a fait perdre du temps, jamais. Ma façon de faire un film consiste, avant de tourner, à faire des répétitions avec eux, à discuter avec eux et à répondre à leurs questions. Car pendant le tournage, il n’est plus temps de poser des questions. Ils doivent y prendre plaisir.

Pensez vous que le cinéma indien soit suffisamment présent en France, et que les festivals tels que celui-ci, aident à développer la présence de Bollywood ?

Prakash Jha : Non, je pense que nous devrions avoir en Inde des festivals équivalents consacrés au cinéma français. Pas des festivals internationaux, mais des festivals du cinéma français, en Inde. Et la cérémonie d’ouverture m’a inspiré l’idée d’en organiser. Il devrait y avoir une réciproque à Extravagant India ! en Inde, sous la forme d’Extravagant France ! Et je vais sans aucun doute essayer de faire que cela arrive. Et nous allons y travailler, même si cela doit commencer modestement.
Nous pourrions avoir Extravagant France ! dans différentes villes indiennes. Dans les grandes villes, nous pourrions amener les réalisateurs, acteurs, techniciens français, et les faire rencontrer leurs homologues indiens.
Vraiment, même s’il ne s’agit que d’une douzaine de films. Mais faisons venir le cinéma français. Parce qu’heureusement, Hollywood n’a pas réussi à prendre pied sur le marché indien. Ce n’est qu’1% du marché du cinéma indien. Nous avons une très forte présence du cinéma indien en Inde. Et les gens, les masses, sont très attachés à leur cinéma.
Ils acceptent même les petits films, comme The Lunchbox. Il a très bien marché en Inde, tout comme Madras Café. Le prochain film que j’essaye de faire sera aussi un petit film. Il n’y aura pas de grandes vedettes. Parce que le public est prêt, et il y a des milliers de salles là-bas. Grâce aux multiplexes, il y a maintenant de l’espace pour les petits films, et pour faire venir les films étrangers. Je suis certain que la « niche » du cinéma européen peut laisser son empreinte, et trouver un public. Cela permettra à la population indienne de comprendre comment la société française fonctionne, la politique française, le type de gouvernement, ou les problème que l’homme de la rue français affronte.
Les histoires françaises… Ça serait fantastique. Je veux absolument les voir en Inde.

Pensez-vous qu’Extravagant India ! remplisse son rôle, ou son ambition, d’ouvrir une fenêtre sur le cinéma alternatif indien ?

Prakash Jha : Cela va prendre du temps je crois. Ce n’est que le début. S’il s’écrit plus d’articles, s’il touche plus de français, s’il y a plus de public… c’est comme cela que ça débute je pense. Mais c’est fantastique que ça arrive. Vous savez, on a plus besoin d’aller uniquement à Cannes ou à Venise. On peut aller n’importe où si les gens sont au courant du type de films indiens qui sont faits.
Parce que vous savez, à n’importe quel moment, il y a des centaines de films qui sont présentés. Et il y a tant de langues dans le monde, tant de gens dans le monde, tant d’histoires. D’Iran, du Japon, d’Indonésie, des pays de l’Ouest comme le Brésil, le Chili… chaque pays a tant d’histoires merveilleuses, et tant de formidables interactions sociales à faire partager. Je pense que ça serait fantastique d’avoir une petite fenêtre ouverte n’importe-où.

L’industrie indienne a aidé ces festivals à trouver leur public. Comment est-ce arrivé ?

Prakash Jha : On dit toujours que si vous ouvrez les portes et les fenêtres et laissez l’air entrer, et bien la maison devient plus saine.

Quel est le sujet de votre prochain film ?

Prakash Jha : Je travaille sur deux sujets, mais je vais probablement me concentrer sur les relations de la société avec la police en Inde. Je l’ai fait il y a dix ans dans un film qui s’appelait Gangaajal. Je pense qu’il est temps de revisiter ce sujet, parce que ces relations sont très dégradées aujourd’hui.

Où allez-vous le situer ? Au Bihar par exemple ?

Prakash Jha : Non, pas au Bihar.

Mais cela se passait au Bihar.

Prakash Jha : Gangaajal se situait au Bihar, mais mon prochain film pourrait se passer dans n’importe quel état qui parle hindi.

Allez-vous tourner un film en France ? Vous savez, Claude Lelouch va en Inde avec Dujardin. C’est un acteur connu en France. Voudriez-vous faire quelque chose en France, un jour ?

Prakash Jha : J’adorerais. J’aime ces interactions. Et vous savez, c’est étonnant parce que… j’ai été à Paris. Je me sens tellement à l’aise à Paris. Je rêve de parler la langue, de communiquer. C’est une grande chose si vous parlez français, vous pouvez plus apprécier la France. Et je n’arrête pas de revenir ici en fait.
Vous serez surpris, mais pour trois de mes films, j’ai effectué des sessions d’écriture en Corse. J’aime cette île. Je vais là-bas et séjourne une dizaine de jours dans un hôtel éloigné. Je me pose, j’apprécie la mer, et j’écris. Raajneeti, une des sessions d’écriture de Raajneeti, a été effectuée en Corse.

La Corse, c’est comme de la dynamite parfois. Vous savez pourquoi ?

Prakash Jha : C’est une bonne chose, ils ont au moins empêché les constructions anarchiques. D’une certaine façon, c’est une bonne chose me semble-t-il.

Allez-vous faire un film sur le problème des femmes en Inde ?

Prakash Jha : Peut-être plus tard, parce qu’en ce moment, c’est trop récent.

Je ne faisais pas référence uniquement à la sécurité, le rôle de la femme, la société qui change…

Prakash Jha : Vous vous rappelez de Mrityudand ?

Mais cela se passait il y a quelques années…N’est-t-il pas temps de rependre le sujet ?

Prakash Jha : Probablement, oui. Vous savez, c’est étonnant comme la société évolue, toujours à essayer de trouver sa voix. Les médias sociaux sont très puissants en Inde. Partout, mais en Inde, les gens se rassemblent en quelques minutes. C’est leur temps de réaction. Et la jeunesse en Inde, qui constitue 70% de la population, représente une force immense. Et cela me semble positif, car à cet instant, elle n’est pas bien dirigée, mais le jour où elle trouvera sa voix, le jour où elle sera consciente des enjeux politiques, alors je pense qu’il y aura un espoir pour l’avènement de la démocratie réelle.
Parce qu’en ce moment, le vote pour les élections politiques est défini entièrement par des choses diverses comme le système des castes, la communauté ou même la puissance financière. Et tout cela doit s’en aller. La démocratie est un mode de vie si beau et si puissant…
Mais malheureusement, si elle n’est pas pratiquée correctement, cela devient pire..
Et vous avez la peur que l’autoritarisme, la dictature, ce genre de comportement, arrive dans notre gouvernement et ce n’est pas une bonne chose. Mais à nouveau, les choses bougent. Nous avons besoin de nouveaux leaders, de nouvelles directions. Et j’espère que la jeunesse le fera.

Et le cinéma peut-il jouer un rôle ?

Prakash Jha : J’en suis absolument certain. J’ai fait continuellement des films, vous le savez, sept ou huit films en réalité qui ne traitent que de la politique et de la société.

Vous avez débuté avec des documentaires dans les années 80. Qu’est ce qui vous a orienté vers la fiction ?

Prakash Jha : Et bien le désir de toucher une plus large audience.

Merci, merci beaucoup.

Prakash Jha : Merci


Un grand merci à François Vila d’Extravagant India ! pour nous avoir facilité cette interview
Questions posées par Señorita ; vidéo, Gandhi Tata ; montage et sous-titrage, Mel ; traduction Alineji et Mel.

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