Roti Kapada Aur Makaan
Traduction : Nourriture, vêtements et abri
Langue | Hindi |
Genres | Drame, Classique, Films sociaux |
Dir. Photo | Nariman A. Irani |
Acteurs | Amitabh Bachchan, Zeenat Aman, Manoj Kumar, Shashi Kapoor, Premnath, Moushumi Chatterjee |
Dir. Musical | Laxmikant-Pyarelal |
Paroliers | Santosh Anand, Verma Malik |
Chanteurs | Lata Mangeshkar, Mukesh, Mahendra Kapoor, Narendra Chanchal, Jani Babu Qawwal |
Producteur | Manoj Kumar |
Durée | 182 mn |
Dans l’Inde des années 70, la classe laborieuse -même diplômée- a toutes les peines du monde à subvenir à ses besoins vitaux : du pain (roti), des vêtements (kapada, prononcer kapra) et un toit (makaan), dans un univers gangrené par les pourris à tous les étages de la société. C’est ce monde aux antipodes de l’usine à rêve Bollywood que nous dépeint Manoj Kumar, scénariste, réalisateur, producteur et principal acteur de ce film.
Ce dernier sacrifie pourtant aux nécessités du genre avec l’inévitable histoire d’amour, les Héros inoxydables et la grande scène finale de « baston » traitée au deuxième degré, où on s’amuse autant que lui.
Mais on sent bien que son propos est ailleurs, dans la dénonciation d’un système qui amène les plus innocents à enfreindre la Loi sociale ou morale et à subir celle des plus forts, pour simplement survivre. Roti Kapada Aur Makaan, sorti en 1974, fait partie des précurseurs de la vague des films « en colère » des années 70 en Inde, avec Zanjeer et Deewar. Le titre, « du pain, des vêtements et un toit », est aussi un slogan national de ces années-là, qui illustre ses priorités.
Trois parties se distinguent clairement, montées comme un crescendo pour aboutir à une apothéose commune.
Dans la première partie, Bharat (Manoj Kumar), honnête et diplômé, veut juste vivre normalement, subvenir aux besoins de sa famille, épouser Sheetal (Zeenat Aman). Pourtant, faute de travail et d’argent, les problèmes s’accumulent.
Dans la deuxième partie, Bharat travaille sur un chantier. Il y rencontre l’adorable Tulsi (Moushumi Chatterjee), jeune ouvrière que la misère a acculée au plus lourd des tribus, mais qui malgré tout conserve sa joie de vivre et sa combativité. Il y devient aussi l’ami d’Harnam Singh (Premnath), sikh imposant au cœur d’or, prompt à dégainer son épée pour voler au secours de ceux qu’il aime.
Dans la troisième partie, Bharat a « craqué », de nouveau au chômage il s’est mis au service de la pègre pour sauver le mariage de sa sœur et les études de son frère. Devenu riche, il n’en est pas moins malheureux de se compromettre. Ses frères devenus respectivement soldat (Amitabh Bachchan) et policier, volent alors à son secours…
La faiblesse du scénario est justement de trop découper le film en trois parties, qui auraient pu être davantage imbriquées, ce qui nous aurait aidés à entrer dans l’histoire et à nous y ancrer, car il est assez déconcertant de ne plus voir certains des personnages principaux pendant plus d’une heure… Mais sa richesse provient de l’analyse d’un même malaise profond dans chacun de ces trois univers, ces trois couches de la société.
Si la première et la troisième parties de Roti Kapada Aur Makaan sont traitées de façon assez classique par rapport aux autres films de cette époque, la deuxième partie est la plus troublante, la plus étonnante ; on plonge avec effarement dans l’histoire de Tulsi, peu habitués que nous sommes à voir traiter les femmes de cette manière dans un film Bollywood, et d’autant plus happés par la réalisation efficace de Manoj Kumar. Moushumi Chatterjee compose d’ailleurs le personnage le plus attachant de cette histoire, avec un franc-parler et une force de caractère qui font penser à Kajol, volant même la vedette à la belle Zeenat.
Manoj Kumar compose un gentil garçon dépassé par la situation, qui ne se départit jamais de sa bonne éducation, de sa générosité, qui assume comme il peut ses responsabilités. Amitabh Bachchan a un petit rôle mais il est déterminant. Certes on aurait préféré le voir dans le premier rôle, même si dans ce cas il aurait du oublier la colère…
La lutte du bien contre le mal, la solidarité de la famille et des amis contre l’adversité, l’immoralité de ceux qui exploitent la pauvreté de leurs concitoyens, tout cela constitue la toile de fond de Roti Kapada Aur Makaan. Curieusement, seul le gouvernement et ses instances sont présentés comme irréprochables, Indira Gandhi implore les spéculateurs de renoncer à affamer la population, les soldats et les policiers sont intègres et courageux. Manoj Kumar a ses bons et ses méchants, bien délimités… Mais cela fait partie du charme de ce film : le message est clairement éducatif, encourageant dans une société et une époque que l’on sent désespérées, résignées, décomposées. On pense à Mother India, à Shri 420, à Rang de Basanti…
La musique fait indéniablement partie des grands atouts de Roti Kapada aur Makaan. Composée par Laxmikant Pyarelal, elle véhicule merveilleusement les émotions du film. La première chanson Hai Jai Yeh Majboor, est ouvertement destinée à nous faire profiter des charmes de Zeenat Aman, envoûtant les spectateurs dès les premières minutes du film, avec son attendue séquence « sari mouillé ». Aur Nahi Bas Aur Nahi est un solo poignant de solitude, Main Na Bhulunga concentre toute une histoire d’amour dans son refrain lancinant. On pourra juste reprocher à la mise en scène de ces trois chansons, d’être terriblement datée années 70, avec des effets qui font sourire aujourd’hui.
Les deux autres chansons sont plus ancrées dans le contexte visuel et le propos du film : Mehangai Mar Gai est superbement mise en scène : au pied d’un échafaudage de fortune, ouvriers et ouvrières dansent et chantent à la fois leur fatalisme et leur courage devant la montée des prix qui assassine tout sur son passage. Panditji Maine Marne Ke Baad, tournée dans un village de paille à la communauté colorée, est très émouvante : la jeune fille se sait perdue et lance un dernier appel au héros, apparemment gaie et virevoltante, on la sent désespérée derrière son sourire.
Roti Kapada aur Makaan a été le « super hit » de 1974, offrant il faut le dire une brochette de stars impressionnante, entre les stars établies : Manoj Kumar, Zeenat Aman, Shashi Kapoor, des seconds rôles puissants comme Premnath en Sikh indomptable, Moushumi Chatterjee la jolie actrice bengalie, et la star montante : Amitabh Bachchan. Il est aussi l’un des principaux succès de Manoj Kumar, connu pour son patriotisme fervent, appelé depuis « Mister Bharat » (Monsieur Inde). Il a reçu pour ce film l’Award du meilleur réalisateur en 1974. Mais avant tout, ce film est le symbole d’une époque, d’un certain cinéma combatif, dénonciateur, sans concession (ou presque).