That Girl in Yellow Boots
Traduction : Cette fille en boots Jaunes
Langue | Hindi |
Genre | Drame |
Dir. Photo | Rajeev Ravi |
Acteurs | Naseeruddin Shah, Kalki Koechlin, Gulshan Devaiah, Prashant Prakash |
Dir. Musical | Naren Chandavarkar, Suhaas Ahuja, Benedict Taylor |
Paroliers | Varun Grover, Sant Kabir |
Chanteurs | Shilpa Rao, Megha Sriram |
Producteur | Anurag Kashyap |
Durée | 102 mn |
Ruth (Kalki Koechlin), une jeune Anglaise de 20 ans, n’a de cesse de retrouver son père indien, parti mystérieusement alors qu’elle avait 5 ans. Elle doit pour cela se débattre seule dans les méandres de l’administration indienne afin de renouveler son visa de tourisme qui ne l’autorise pas à travailler. Mais il ne la dissuade pas pour autant d’être employée comme masseuse dans un petit salon de Bombay où sa clientèle d’habitués peut apprécier son "final digital" facturé 1000 roupies. Du côté de sa vie privée, elle est affublée de Prashant (Prashant Prakash), un minable petit ami cocaïnomane qui ne pense qu’à se ruer sur elle entre deux rendez-vous interlopes et qui traficote avec Chittiappa (Gulshan Devaiah), un petit caïd kannada.
Accrochée à quelques mots d’une lettre qu’il lui a envoyée, Ruth court les détectives privés en essayant de suivre la trace de ce père évanescent. Son univers sinistre a parfois la chance d’être éclairé par la gentillesse paternelle du fidèle Diwakar (Naseeruddin Shah) ou la neutralité aimable de ses collègues de travail dont la réceptionniste du salon (Puja Sarup) qui babille toute la journée au téléphone. Mais à l’occasion d’un "revers de fortune" de Prashant, Chittiappa dépouille Ruth de toutes ses économies acquises à la force du poignet, et destinées à la recherche désespérée de son père qui, elle n’en doute pas, l’aime encore…
That Girl in Yellow Boots est sorti sur les écrans en septembre 2011 après avoir été présenté dans plusieurs festivals l’année précédente. Tourné en une dizaine de jours caméra numérique à l’épaule et exclusivement en décors naturels, c’est un film minimaliste totalement atypique dans la production de Bombay. Il ne ressemble non plus en rien aux productions précédentes d’Anurag Kashyap qui est crédité en tant que réalisateur. Cela explique peut-être pourquoi certains murmurent qu’il a été réalisé en fait par Kalki Koechlin, co-auteur avec Anurag Kashyap du scénario et son épouse à la ville.
Le rythme lent, le centrage sur un personnage féminin, la gravité et au final la solitude insondable pourraient évoquer la nouvelle vague allemande et en particulier le cinéma de Margarethe von Trotta. Mais c’est bien un film indien résolument moderne qu’il nous est donné de voir. On est à Bombay, aujourd’hui, et That Girl in Yellow Boots ne nous permet pas de l’oublier.
Il n’y a pas à proprement parler de progression narrative dans That Girl in Yellow Boots. On assiste à une succession de tableaux dont l’ordre a pour la plupart finalement assez peu d’importance. Bien sûr la quête du père idéalisé sous-tend le film et le dirige vers un dénouement qu’on devine cathartique. Mais c’est bien à une tranche de la vie de Ruth que nous sommes conviés et Kalki Koechlin l’habite de manière éblouissante. Elle est de toutes les scènes et de presque tous les plans. On ne voit le monde que par ses yeux et tous les personnages qui peuplent son univers n’existent que par elle.
Tous les acteurs, même ceux dont le rôle est le plus insignifiant, sont parfaitement à leur place et très convaincants. Prashant Prakash comme Gulshan Devaiah qu’on reverra dans le malheureux Hate Story, composent des personnages aussi détestables qu’il l’est souhaitable. Naseeruddin Shah offre un contrepoint très bienvenu à la noirceur et la médiocrité. Il est le seul qui arrive parfois à faire sourire Ruth.
Ruth est une jeune femme forte, belle et totalement seule qui évolue dans un milieu d’hommes pour la plupart répugnants et pitoyables. On devine que pour mieux survivre et suivre son chemin, elle en a adopté les codes et les usages. Cela rend acceptables ses transgressions comme les pots-de-vin proposés aux fonctionnaires ou la "fin heureuse" de ses massages. Le film pourrait cependant être pris comme une gifle par les spectateurs masculins car il est raisonnablement impossible de s’identifier sans honte au moindre personnage masculin. Mais à la réflexion, c’est peut-être plus un seau d’eau glacée dans la figure qu’une gifle, car nous ne sommes pas comme ça, n’est-ce pas ?
C’est également un film où l’amour est impossible. Pas à cause de contraintes extérieures comme dans la plupart des Bollywood, mais parce que Ruth ne peut pas trouver d’hommes à la hauteur, simplement compréhensifs et aimants. En fait, ils n’existent pas dans son Bombay à elle. A leur décharge, si l’on peut dire, elle est totalement investie dans la quête de son père et n’est pas prête à s’ouvrir, même aux marques de gentillesse de Diwakar. En réalité Ruth est à l’opposé de ce qu’elle croit : elle semble fragile mais elle est indestructible, elle voudrait être aimée mais elle ne peut pas l’être.
Sans avoir l’air d’y toucher, en suivant cette jeune femmme, sans aucun effet si ce n’est quelques filtres colorés de temps en temps, That Girl in Yellow Boots propose une réflexion coup-de-poing sur la relation homme-femme dont on ne sort pas forcément indemne. Mais il va plus loin en abordant le sujet de la recherche du père rêvé. Il s’agit plus ici du dévoilement d’un non-dit que d’interrogations sur la filiation. A cet égard, le film présente beaucoup de similitudes avec Paris, Texas de Wim Wenders. Mais là où Travis fait la paix avec lui-même avant d’affronter la vérité, c’est en fureur et désespérée que Ruth se présente à elle. Et alors que Jane nous émeut profondément, l’explication finale de That Girl in Yellow Boots nous laisse tout comme Ruth, pétrifiés.
That Girl in Yellow Boots contient deux chansons qui ne sont pas chorégraphiées et qui participent de la gravité du film. Mais au-delà, la bande originale contient plusieurs passages modernes dissonants qui collent formidablement aux images. Par moment, l’alto de Benedict Taylor rejoint la guitare de Ry Cooder. On pourrait peut-être regretter que ces instants magiques, tout comme les silences, ne soient pas plus nombreux pour nous permettre de respirer. Mais le format ramassé (le film dure 1h42) ne s’y prêtait probablement pas.
Le couple Kalki Koechlin/Anurag Kashyap a composé avec That Girl in Yellow Boots une œuvre exceptionnelle. Elle n’est certes pas destinée à tous les publics, ne contient pas de chansons colorées ni d’histoire d’amour romantique, mais elle reste très longtemps dans le cœur de ceux qui l’ont vue.
Si je peux me permettre une suggestion à l’issue de cette chronique, revoir le film permet de se rendre compte de détails qui avaient pu passer inaperçus lors du premier visionnage. On réalise alors ce que croit savoir ou ne sait pas Ruth, et ça n’en est que plus déchirant.