Au Penjab, Chand fête son mariage avec sa famille sans avoir vu son mari ni sa belle-famille, qui l’attendront à l’aéroport au Canada. En guise d’encouragement, sa mère lui dit : "Ton oncle les connaît". Vraiment ??? Alors il n’a pas les mêmes critères que les nôtres pour envisager le bonheur de sa nièce.
Chand apprend à vivre dans une maison étriquée où s’entassent ses beaux-parents, sa belle-sœur avec son mari et ses deux enfants. Elle est pleine de bonne volonté et de l’abnégation qui sied à son rôle d’épouse et de belle-fille. Elle se plie dès son arrivée aux multiples tâches qu’on attend d’elle et travaille comme ouvrière à l’usine avec sa belle-sœur.
Mais cela ne suffit pas à Rocky, son mari, qui a du mal à trouver les mots pour lui parler et fait plus volontiers parler ses poings. Chand est terrorisée. Alors quand elle se retrouve seule la nuit, elle ferme les yeux et se raconte une histoire : elle est chez elle en Inde, sa mère la coiffe, l’embrasse, lui raconte la légende du naga, le cobra protecteur…
Chand aimerait tant que son mari lui ouvre son cœur, qu’elle est prête à utiliser un philtre magique que lui passe une amie à l’usine, il est censé le boire mais la mixture se met à bouillonner, elle prend peur et la jette au pied d’un arbre dans le jardin.
Quelque temps après, il semblerait qu’un cobra ait élu domicile à cet endroit, et toute la maisonnée se met à sa poursuite.
Rocky se met à lui parler doucement, à l’écouter sans la frapper, Chand se prend à espérer une vie meilleure. Serait-ce de la magie ? Mais qui pourrait bien croire une histoire de magie au Canada au XXIème siècle…
Deepa Mehta déploie, elle, des talents de magicienne pour raconter cette histoire. Avec un minimum de mots et de moyens, elle nous fait entrer dans l’univers de Chand et de sa belle-famille avec une précision chirurgicale, qui par là même possède une force de suggestion décuplée. Le film, comme les précédents, est centré sur la condition de la femme. Après Earth (la terre), Fire (le feu), Water (l’eau), la voici au ciel (heaven), enfin presque : le ciel sur terre, image idéalisée du mariage tel que l’imagine la jeune fille en Inde, nourrie de légendes et protégée par sa mère. La réalité bien sûr est loin d’être aussi idyllique.
On pourrait craindre que Heaven on Earth soit trop proche de Provoked, où le personnage joué par Aishwarya Rai tue son mari brutal et se reconstruit en prison. Les deux films ont en commun le mari violent doté d’un physique avenant et la belle-famille qui le laisse maltraiter sa femme. Mais la comparaison s’arrête là, Provoked est dans l’exceptionnel (meurtre, prison, jugement), Heaven on Earth s’inscrit dans le quotidien, hélas, dans une triste banalité entourée d’un silence de plomb.
Pour la version indienne, la réalisatrice a ajouté à son titre canadien, Videsh (Etranger). Ce titre-là porte l’autre message-clé du film : la condition des Indiens au Canada, des étrangers, et dénonce tout ce qu’on ne voit que trop rarement dans les films et dans les témoignages des NRI (Non Resident Indians) lorsqu’ils racontent leur vie "là-bas", font miroiter de bonnes situations aux jeunes filles à marier et à leurs familles. En toile de fond de l’histoire individuelle de Chand, figure le bourbier de la pauvreté et de l’exploitation des candidats à l’émigration.
Il est impossible ici de dévoiler la fin du film, mais elle vaut à elle seule l’achat du DVD, l’impression est très forte et l’issue n’est pas misérabiliste, contrairement à ce qu’on pourrait craindre pendant la première heure.
Preity Zinta y est magistrale, comme elle l’est tout au long de Heaven on Earth. Elle a reçu l’award de la meilleure actrice au Chicago International Film Festival, en 2008. On oublie complètement la star pour ne plus voir que Chand, qui fait face dignement à son quotidien, sans théâtralité, parfois très malheureuse mais jamais larmoyante, qui garde en elle cette étincelle de joie de vivre qui la rend humaine, "vraie" et évite de sombrer dans le mélodrame. Vansh Bhardwaj, un acteur de théâtre qui interprète Rocky, est également excellent dans cette sorte de double rôle, parvenant à échapper à la caricature dans un cas comme dans l’autre. Bravo aussi à la réalisatrice et au cadreur pour leur sens du portrait…
Il vaut tout de même mieux regarder ce film un soir où tout va bien. La première partie est très dure pour cette pauvre Chand et on se demande jusqu’où ça va aller, avant de respirer davantage dans la deuxième moitié, moins axée sur le contexte domestique, et dotée d’une touche fantastique originale. On peut regretter que Deepa Mehta n’ait pas apporté un ou deux éléments qui pourraient expliquer pourquoi Rocky frappe tout en souffrant d’être ainsi. Si c’est juste le schéma "je suis stressé et frustré donc je me défoule sur ma femme", c’est un peu facile. Et il est difficile de trouver un sens à l’utilisation du noir et blanc pour certaines scènes, même si c’est visuellement très réussi.
Cela dit, il serait dommage de passer à côté de ce film et de la performance de Preity Zinta, bouleversante.
Le thème du naga, plus précisément de sa version féminine, est magistralement mis en scène dans Nagina avec Sridevi dans le rôle-titre.
A lire également, mais de préférence après avoir vu le film, un conte populaire indien dont s’inspire le film (merci à Kendra pour le lien !).